Introduction
Le sportif, et plus particulièrement le sportif de haut niveau est par définition en bonne santé. Il s’entraine, se prépare physiquement, suit souvent un régime diététique et il est généralement encadré par une équipe de soignants (médecins, kiné, diététicien, coach mental et psy,…)
Cependant de nombreux travaux montrent une réalité bien différente : une haute prévalence de problèmes bucco-dentaires tels que les caries, les érosions dentaires et les pathologies parodontales a été mise en évidence chez les sportifs de haut niveau.
Plusieurs études montrent qu’une mauvaise santé bucco-dentaire peut affecter le sommeil, le bien être de l’athlète, la nutrition et provoquer un impact négatif sur la confiance en soi. Certaines pathologies bucco-dentaires peuvent compromettre les performances physiques des sportifs ou même jouer un rôle dans le développement de certaines pathologies inflammatoires telles que les tendinopathies. Une mauvaise santé bucco-dentaire peut limiter la capacité de l’athlète à s’entrainer ou l’empêcher d’atteindre son meilleur niveau lors des compétitions.
Une bonne santé bucco dentaire apparaît donc primordiale pour la pratique et la performance chez le sportif.
L’OMS a déclaré (1) que les maladies bucco dentaires (comme les caries et les parodontopathies) posaient un problème de santé mondial. 90 à 95% de la population présentent des signes de gingivites, adultes comme enfants.
Chez l’adulte, les premiers stades de parodontopathies sont observés dans 40% à 60% des cas à partir de 35 à 44 ans. Et plus de 50% de la population adulte est atteinte d’une maladie parodontale débutante (gingivite) ou plus sévère (parodontite). La parodontite sévère touche 5 à 15% de la population.
Depuis plusieurs décennies, de nombreuses études ont montré une relation entre la maladie parodontale et certaines maladies systémiques (2-7), comme l’endocardite (8), l’athérosclérose (9-13), le diabète (14,15), l’arthrite rhumatoïde (11,16) et les naissances prématurées (17). Parahitiyawa et al. (8) montrent dans une étude les différentes entrées systémiques provoquant une endocardite, et commencent par les lésions carieuses intra pulpaires qui permettent le passage bactérien à travers la chambre pulpaire jusqu’à l’apex dentaire. Il existerait également une relation étiologique entre les parodontopathies et les tendinopathies (18).
Dès lors, l’existence de certaines pathologies bucco-dentaires pourrait compromettre les performances physiques des sportifs ou jouer un rôle dans le développement de certaines pathologies inflammatoires ou blessures telles que les tendinopathies.
Sportifs et santé bucco dentaire
Un bon état de santé et la prévention des blessures et des maladies sont très importants chez les sportifs et plus particulièrement les sportifs de haut niveau.
Cependant, plusieurs études scientifiques montrent que les athlètes pratiquant différentes disciplines sportives (19)(20)(21)(22)(23) présentent une santé bucco dentaire déficiente avec une haute prévalence de problèmes bucco-dentaire tels que des caries , des érosions dentaires et de la gingivite.
Lors des Jeux Olympiques et para-olympiques d’Athènes en 2004, une étude a mis en évidence une négligence de leur santé bucco-dentaire chez de nombreux athlètes dont certains confirmés (24). Durant 17 jours, 1640 soins dentaires ont été réalisés sur 870 sportifs (386 obturations, 112 traitements endodontiques, 21 extractions - certaines pour péri-coronarite de la dent de sagesse).
Gay Escoda C. et coll. ont réalisé en 2011 une étude sur la santé bucco dentaire chez 30 footballeurs professionnels du FC Barcelone (25). De nombreux joueurs présentaient des pathologies bucco-dentaires (caries non traitées, gingivites et interférences occlusales). Malgré un suivi médical intensif, 20% des joueurs n’avaient pas été chez le dentiste depuis les 5 dernières années et 60 % présentaient régulièrement des saignements gingivaux. Cette étude a même mis en évidence une corrélation statistiquement significative entre l’indice de plaque, le sondage parodontal ainsi que le saignement gingival, et les blessures musculaires des joueurs.
Une autre étude menée lors des jeux Olympiques de Londres en 2012 sur 399 athlètes (21) a montré que 55 % présentaient des caries dentaires, 45% des érosions dentaires modérées à sévères, et 76% une pathologie parodontale allant de la gingivite localisée à la gingivite généralisée.
Enfin, une revue de littérature faite par Ashley P et coll. en 2015, montre que 15 à 75% des athlètes présentent des lésions carieuses, 15% une parodontite modérée à sévère, 76% une gingivite, 36 à 85% présentent de l’érosion dentaire et 5 à 39% ont eu des épisodes de péricoronarite ; très peu présentent des dysfonctionnements temporo-mandibulaires (26).
L’ensemble de ces études montrent que le sportif de haut niveau n’a pas un suivi adapté de sa santé bucco-dentaire contrairement à son suivi médical général.
Pathologie bucco-dentaire et performance chez le sportif. (21)
Selon l’étude de Needlman I. et coll., sur environ 400 athlètes lors des Jeux Olympiques de Londres en 2012, 4% d’entre eux se sont dit « être gênés » par leur état de santé bucco dentaire, 28% ont reconnu « un impact sur leur qualité de vie » et 18% ont déclaré « un impact sur leur entrainement et leurs performances ».
Les pathologies bucco-dentaires peuvent être à l’origine de certaines contre-performances chez les sportifs.
L’étude de Needlman I. et coll., (en 2012) (21) montre qu’une carie aura un impact au niveau psychologique chez l’athlète, qui fait une association entre la carie et son bien-être, et même sa performance.
En effet, une douleur dentaire déclarée peut avoir un impact sur l’environnement de l’athlète. S’alimenter devient plus difficile et une mauvaise nutrition va à l’encontre de la performance.
La douleur empêche également l’athlète d’avoir une concentration maximale sur sa technique (selon le sport pratiqué) ou sur l’effort lié à des souffrances physiques afin de progresser.
La douleur perturbe également le sommeil nécessaire à la récupération. L’athlète n’évolue plus dans son environnement optimal, et si la douleur se déclenche à quelques jours, voire le jour de la compétition, il peut être amené à l’abandon.
Dans son étude, Ashley P. et coll. (2015), (26) montrent que le taux d’athlètes déclarant avoir souffert d’une dent de sagesse varie entre 4,6 et 39%. En effet, dans le cadre d’éruption de dents de sagesse ou de dents de sagesse enclavées, la muqueuse peut s’enflammer dans un premier temps et s’infecter par la suite. L’infection peut alors engendrer une asthénie, un trismus, de la fièvre, une cellulite, une sinusite, une dissémination vasculaire bactérienne.
Toutes ces possibles conséquences peuvent altérer l’état général de l’athlète et être à l’origine de contre-performances (27).
En 2014, Kipgen L. et coll. (19) montraient l’existence de multiples facteurs étiologiques communs aux parodontopathies et aux tendinopathies. Cela attira leur attention sur une relation éventuelle entre les parodontopathies et les blessures sportives comme les tendinopathies.
Il est communément admis que les parodontopathies sont en interaction forte avec certaines maladies systémiques.
En médecine sportive, les blessures liées à un surentrainement sont évaluées entre 30 et 50% (28). La tendinopathie est une des blessures les plus communes résultant d’une surcharge physique, et la première cause de consultation en médecine sportive (28-29).
Sa guérison s’avère longue et difficile, et de nombreux sportifs se voient dans l’obligation de réduire, voir d’abandonner leur pratique sportive. Les tendinopathies peuvent souvent évoluer vers la chronicité malgré un traitement conservateur bien conduit.
De nombreux facteurs étiologiques des parodontopathies peuvent être plus ou moins directement impliquées dans la survenue des tendinopathies (28). On peut penser qu’en présence d’une lésion à distance les parodontopathies sont responsables d’un défaut ou d’un ralentissement de la régénération musculaire ou tendineuse.
D’ailleurs, Kipgen L. et coll. ont démontré dans leur étude une relation entre les parodontopathies et les tendinopathies.
En effet, sur 52 athlètes retenus répartis en 2 groupes en fonction de leur état de santé physique, non blessés et blessés (tendinopathies), l’étude permet d’attester que les athlètes blessés présentent beaucoup plus de signes cliniques d’inflammations gingivales.
Cependant cette étude ne permet pas de déterminer l’origine, ni l’importance de cette relation.
Conclusion
La majorité des sportifs dépistés dans les études citées sont issus de pays ayant un système de soins développés ; ceci nous amène à considérer que la prise en charge de la santé bucco-dentaire chez les athlètes est peu efficace, voir négligée. Et pourtant, la santé bucco-dentaire chez les sportifs reste un challenge car ils sont soumis à plusieurs facteurs de risques tels qu’un régime nutritionnel riche en glucides, une déshydratation orale, ainsi qu’une diminution du système de défense liée à des entrainements intenses.
Cependant, la négligence de la santé bucco-dentaire conduit à des problèmes majeurs de caries dentaires, d’infections (péri-coronarite des dents de sagesse, …) et de parodontopathies. Toutes ces pathologies bucco-dentaires peuvent provoquer des douleurs et de l’anxiété, des troubles alimentaires, des altérations du sommeil et une réduction de la qualité de vie qui entrainent des répercussions directes sur les performances sportives. Nous savons également que les parodontopathies peuvent agir sur un terrain bien plus profond comme dans l’interaction avec certaines maladies systémiques et vraisemblablement lors de la survenue de tendinopathies. Or, la tendinopathie est une blessure qui entraine souvent l’athlète dans des moments pénibles, longs et douloureux avec parfois une pause forcée et des traitements médicaux fastidieux.
S’il est avéré que le sportif averti et motivé prête une attention particulière à son hygiène de vie générale avec très souvent un suivi médical régulier, il est donc aujourd’hui évident qu’il ne peut plus négliger son hygiène dentaire et doit mettre en place une conduite préventive (hygiène, dépistage régulier, soins) visant à diminuer le risque bucco-dentaire pour diminuer le risque de blessure.
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