La gestion des tissus mous après les chirurgies d’augmentation osseuse : focus sur la Strip Technique

Dossier  Focus sur le DU d’implantologie de la Pitié Salpétrière - AO News # 68 - Septembre 2024

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4. Gestion Tissus Mous AO 68 Sept 2024.p
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Introduction 

 

Lors d’une réhabilitation implantaire, il est fréquent d’être confronté à un site présentant une hauteur et/ou une épaisseur d’os résiduel insuffisante. Différentes techniques d’augmentation osseuse pré-implantaires sont alors mises en œuvre avant la pose d’implants. Ces techniques permettent d’obtenir un volume osseux compatible avec un positionnement tridimensionnel idéal de l’implant (en fonction du projet prothétique) tout en respectant les marges de sécurité face aux différents obstacles anatomiques (sinus, fosses nasales, nerf alvéolaire inferieur, artère perforante, etc.).           

Néanmoins, toutes ces techniques d’augmentation osseuse pré-implantaires nécessitent une fermeture dite « berge à berge » qui doit être sans tension. Pour fermer sans tension, une dissection périostée est très souvent réalisée. Cette dissection induit alors un déplacement coronaire de la ligne de jonction muco-gingivale, un fond du vestibule réduit voire inexistant et donc in fine, une absence de tissu kératinisé en vestibulaire de nos futurs implants.

À l’heure actuelle, l’absence de gencive kératinisée ne fait pas partie des facteurs de risque de la péri-implantite et il n’existe pas de consensus sur la quantité minimum requise de gencive kératinisée péri-implantaire nécessaire au maintien de la santé implantaire. Mais nous savons que la présence d’un bandeau de gencive kératinisée permet une meilleure hygiène autour de nos implants. En 2013, la revue systématique de Lin incluant 11 articles conclue qu’une gencive kératinisée péri-implantaire inférieure à 2mm de hauteur conduit à une augmentation de plaque dentaire, de saignement au sondage, de récession et de perte d’attache (Lin, 2013). Actuellement, une hauteur ainsi qu’une épaisseur de gencive kératinisée d’au moins 2mm autour des implants (Linkevicius, 2020) semble être le meilleur compromis afin de garantir un environnement tissulaire compatible avec leur pérennité. En plus de la présence de tissus attachés, l’épaisseur de ces tissus mous péri-implantaires semble être un facteur clé pour la stabilité osseuse dans le temps (Linkevicius, 2015).

 

 

Techniques d’augmentation de tissu kératinisé avec prélèvement palatin

 

Sullivan et Atkins proposent en 1968 la technique de greffe épithélio-conjonctive ou greffe gingivale libre pour apporter du tissu kératinisé autour des implants. Un greffon épithélio-conjonctif est prélevé au palais et suturé dans la partie coronaire du site receveur préalablement préparé. Cette technique est considérée encore aujourd’hui comme le gold standard pour augmenter la hauteur (et/ou l’épaisseur) de tissu kératinisé. L’inconvénient majeur reste la morbidité́ post-opératoire (douleurs, hémorragies, …) pour le patient ce qui limite son indication sur des zones étendues. En effet, des larges greffons sont souvent nécessaires afin de couvrir les sites concernés par l’augmentation osseuse verticale et horizontale, demandant parfois une quantité importante pour un secteur entier (Sullivan et al, 1968) ce qui dépasse l’indication d’une greffe épithélio-conjontive.

Face aux inconvénients de cette technique, Han propose en 1995 une technique qui diminue les douleurs post-opératoires en réduisant la taille des prélèvements palatins obtenant ainsi des «strips épithélio-conjonctif». Les strips prélevés au palais laissent des bandes d’épithélium natif entre des bandes de conjonctif exposées réduisant ainsi la morbidité post opératoire. Le site receveur est lui préparé comme pour une greffe épithélio-conjonctive classique, où le lambeau d’épaisseur partielle est suturé apicalement grâce à des points périostés. Les strips sont ensuite fixés un par un sur le site receveur, l’un au-dessus de l’autre en laissant des bandelettes de périoste exposé plus ou moins larges, laissant place à une cicatrisation de 2nde intention dans ces zones. L’auteur décrit l’application d’une feuille d’aluminium sur le site greffé en plus d’un pansement parodontal (Coepack®). En 2015, Urban propose une technique dérivée de la Strip technique de Han, appelée « Strip technique combinée » associant un lambeau positionné apicalement avec un greffon épithélio-conjonctif en forme de strip et une membrane Mucograft® exposée. Les cellules épithéliales en provenance de la gencive kératinisée (présente sur la crête et sur la strip épithélio-conjonctif suturée apicalement) migrent sur la Mucograft® et convergent jusqu’à l’obtention d’une plage de tissu kératinisé. Le lambeau positionné apicalement permet de retrouver une profondeur de vestibule convenable. Des gains de tissu kératinisé très importants sont possibles tout en limitant le prélèvement palatins à une bandelette étroite favorisant une cicatrisation rapide du palais et une morbidité bien moindre.

La strip technique est essentiellement indiquée sur des défauts larges et étendus (maxillaire complet, maxillaire postérieur, mandibule complète, etc.) lors du second temps et de la mise en condition tissulaire. Il semblerait que le maxillaire présente une meilleure indication que la mandibule du fait de ses insertions musculaires plus faibles.

 

 

Autres techniques ne nécessitant pas de prélèvement palatin

 

Lambeau déplacé apicalement et dérivés

 

Cette technique sans greffe est la technique de choix lorsqu’il existe un défaut faible à modéré en tissu kératinisé. Simple par son application celle-ci ne nécessite pas de prélèvement, et évite l’exposition de la table osseuse vestibulaire. Cependant, la présence d’un bandeau de tissu kératinisé suffisamment large (5mm minimum) est la condition nécessaire à sa réalisation. Elle est principalement indiquée au maxillaire, en décalant l’incision initiale au niveau de la gencive palatine.

Dans son prolongement, en découle la technique du rouleau qui permet aussi simplement d’épaissir le tissu kératinisé vestibulaire en regard de l’implant. Celle-ci consiste en un jeu d’incision permettant de désépithélialiser et de rouler la partie conjonctive mise à nu en la repliant sur elle-même en vestibulaire. L’ensemble est simplement suturé. Toujours en optimisant les incisions, on peut citer la technique de régénération de papilles interdentaires mise au point par Patrick Palacci en 2000.

 

Plastie vestibulaire de Kazanjian (1924)

 

Cette plastie est essentiellement indiquée en mandibulaire postérieur. La technique consiste en une première incision en épaisseur partielle en fond de vestibule. Un lambeau en épaisseur partielle est levé en direction coronaire. Le périoste vestibulaire est ensuite séparé et disséqué des insertions musculaires qui sont alors repoussées en direction apicale. Le lambeau d’épaisseur partielle est ensuite suturé au périoste vestibulaire. Il est intéressant de préciser qu’en cas d’absence totale de tissu kératinisé sur le site initial, seul un tissu adhérent et non kératinisé sera obtenu en post-opératoire car il n’y a pas d’apport de tissu kératinisé.

 

Protocole opératoire de la  « Strip technique » 

 

La « Technique combinée de Urban » combine un strip épithélio-conjonctif à une membrane collagénique d’origine porcine (Mucograft ®) suturée sur le lit périosté. La « Strip technique » que nous allons vous décrire par la suite est en réalité un raccourci de langage où est réalisée la technique combinée de Urban mais sans utilisation de membrane Mucograft ®. Une incision crestale arciforme en demi-épaisseur est réalisée à 0,5 mm de la ligne muco-gingivale afin de déplacer une bande de gencive kératinisée avec le lambeau positionné apicalement. L’incision doit être prolongée en direction des dents voisines afin d’obtenir un lit receveur avec des bords kératinisés en mésial, distal et en coronaire. À la mandibule, en présence d’une très fine bande de gencive kératinisée, l’incision est décalée en vestibulaire afin que la plus grande partie de gencive kératinisée soit conservée du côté lingual. En effet, un déficit lingual est plus difficile à corriger et conduit à des pertes d’attache plus grandes qu’en vestibulaire.

Un lambeau est élevé en épaisseur partielle à l’aide d’une lame 15C en laissant une muqueuse désépithélialisée en direction apicale. Il est primordial de rester superficiel dans la partie coronaire du lambeau afin d’éviter toute exposition des implants afin de garantir une bonne stabilité tissulaire autour de ces derniers. Plus apicalement, la lame doit être orientée plus profondément afin d’obtenir d’un lit périosté stable ce qui évitera d’obtenir une greffe mobile.

Le lambeau est déplacé et suturé apicalement au périoste par des points simples au fil monofilament 5.0 résorbable ou non. Ce type de points à ancrage périosté permet une éversion du rebord du lambeau (autrement appelé berge labiale).  Un strip épithélio-conjonctif unique de la longueur correspondant au site à greffer et de 2-3mm de large est prélevé au palais. Son épaisseur doit être égale à 1-1,5mm. Les berges du site de prélèvement sont légèrement rapprochées par des points réalisés au fil résorbable 4.0. Une éponge collagénique, un pansement parodontal ou une plaque palatine peuvent être utilisés afin de protéger le site du prélèvement palatin.

Le strip épithélio-conjonctif est positionné sur sa face conjonctive contre le lit receveur et est suturé en apical du lit périosté juste au-dessus de la berge labiale précédemment suturée apicalement. Des points en croix sont réalisés en apical et en coronaire du strip afin de le l’immobiliser sur le périoste (5.0 ou 6.0 monofilament résorbable ou non). Le strip doit être suffisamment long afin d’être étiré et de remonter légèrement en direction du tissu kératinisé laissé en proximal. Il est alors suturé berge à berge coronairement en mésial et distal. Ce strip suturé doit délimiter une zone qui est entièrement entourée de tissu kératinisé fixe on parle alors de « jardin ». Une compression du greffon épithélio-conjontif sur le site permet d’éliminer le caillot sanguin entre le lit receveur et le greffon. En effet, le rôle du strip épithélio-conjonctif est de créer une barrière contre la prolifération de la muqueuse alvéolaire lors de la cicatrisation. En créant un cadre de tissu attaché et kératinisé, la zone centrale va se réépithélialiser à partir des bords, permettant l’obtention d’une large zone de tissu kératinisé en seconde intention, sans avoir recours à un greffon autogène de taille importante. L’intérêt de cette technique est de réduire considérablement la douleur post-opératoire ressentie par le patient en limitant l’étendue de la zone de prélèvement, et d’améliorer l’esthétique de la zone approfondie en limitant l’effet « rustine » résultant d’une greffe épithélio-conjonctive classique. L’esthétique ainsi que la douleur post-opératoire peuvent encore être optimisées en venant prélever de la gencive kératinisée en tubérositaire, en vestibulaire, ou à proximité de la zone édentée lorsque cela est possible.


 

Discussion

 

L’avantage le plus important de cette « Strip technique » et qu’avec un prélèvement de taille réduite nous pouvons nous permettre de traiter des zones de large étendue. En effet, lors de la cicatrisation, par le strip épithélio-conjonctif et la gencive kératinisée coronaire et mésiale, vont induire la néoformation d’un tissu kératinisé au niveau du « jardin périosté » délimité par ces derniers. De ce fait, les douleurs post-opératoires sont réduites.

L’autre avantage de cette technique, comparé à la greffe épithélio-conjonctive, est l’aspect plus esthétique du tissu néoformé qui est comparable aux tissus préexistants. Ainsi, seule la partie la plus apicale présente un aspect inesthétique dit « rustique ». De l’autre côté, la courbe d’apprentissage ainsi que le coût de la membrane Mucograft® (si celle-ci est utilisée) doivent être gardé à l’esprit.

Également, une contraction importante de la greffe a lieu durant les premiers mois post-opératoires tout en restant identique à celle survenant suite à une GEC. Selon une étude de Urban, le gain moyen à 12 mois est de 6.33mm versus 11.07mm immédiatement après chirurgie, soit 43% de contraction à 12 mois (Urban et al, 2015). Le biais de cette étude est qu’elle provient du fondateur de cette même technique mais un paramètre reste intéressant : un gain plus important est observé dans les sites maxillaires antérieurs par rapport aux sites maxillaires postérieurs. Cela peut s’expliquer par un meilleur accès chirurgical, ainsi que des tissus plus fins en secteurs antérieurs et donc plus faciles à repousser notamment l’absence du buccinateur dont la gestion est parfois délicate dans les secteurs postérieurs. En 2018, Lim compare dans son étude 3 groupes : lambeau déplacé apicalement seul, lambeau déplacé apicalement avec un greffon épithélio-conjonctif et lambeau déplacé apicalement avec le Mucograft®. Même si à 6 mois tous les groupes présentent une contraction, celle-ci est majorée à 12 mois dans les groupes « lambeau déplacé apicalement seul » et « lambeau déplacé apicalement avec le Mucograft® ». Les auteurs concluent que la technique utilisant un greffon épithélio-conjonctif est la plus prédictible dans l’augmentation de tissu kératinisé dans la zone postérieure mandibulaire (Lim et al, 2018).

Cependant, à l’heure actuelle, aucune étude ne compare le gain de la technique combinée d’Urban (strip + Mucograft®) avec les autres techniques conventionnelles citées plus haut.

 

Conclusion 

 

La strip technique réactualisée par le Pr Istvan Urban semble être une technique intéressante pour augmenter la quantité de tissu kératinisé sur des sites présentant des défauts sévères initiaux ou à la suite d’une chirurgie d’augmentation osseuse verticale ou horizontale. La réalisation de cette technique sans la matrice collagénique semble aussi offrir des résultats intéressants tout en réduisant le coût et la durée de l’intervention mais nécessite néanmoins, tout comme la technique combinée, davantage d’études approfondies sur le long terme.

 

 

Bibliographie

Sullivan HC, Atkins JH. Free autogenous gingival grafts. I. Principles of successful grafting. Periodontics. 1968 Jun;6(3):121-9. PMID: 5240496.

Lin G-H, Chan H-L, Wang H-L. The significance of keratinized mucosa on implant health: a systematic review. J Periodontol. déc 2013;84(12):1755‑67. 

Linkevicius T, Puisys A, Steigmann M, Vindasiute E, Linkeviciene L. Influence of Vertical Soft Tissue Thickness on Crestal Bone Changes Around Implants with Platform Switching: A Comparative Clinical Study. Clin Implant Dent Relat Res. déc 2015;17(6):1228‑36. 

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Han TJ, Klokkevold PR, Takei HH. Strip gingival autograft used to correct mucogingival problems around implants. Int J Periodontics Restorative Dent. août 1995;15(4):404‐11.

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Palacci P, Nowzari H. Soft tissue enhancement around dental implants. Periodontol 2000. 2008;47:113‑32. 

Kazanjian V. Surgical operations as related to satisfactory dentures. Dent Cosm 1924;66:387-395.

Lim H-C, An S-C, Lee D-W. A retrospective comparison of three modalities for vestibuloplasty in the posterior mandible: apically positioned flap only vs. free gingival graft vs. collagen matrix. Clin Oral Investig. juin 2018;22(5):2121‑8.