Critères de succès des reconstructions osseuses en 3D

Dossier spécial : Voyage en terre méconnue... l'os

AONews#17 - Avril 2018


Pierre KELLER, Strasbourg

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Critères de succès des reconstructions osseuses en 3D
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Introduction

 

Une restauration implantaire esthétique et fonctionnelle implique une bonne gestion des tissus durs et des tissus mous. Compte tenu de sa capacité de cicatrisation et de sa prédictibilité, l’os autogène reste le « gold standard » pour la reconstruction de grands défauts alvéolaires. Cependant, de nombreux facteurs influencent le succès des reconstructions. Cet article a pour but de définir des critères techniques qui permettent de fiabiliser les reconstructions osseuses autogènes en 3D.

La gestion des blocs osseux

 

L’os rétromolaire est un os cortical difficile à être revascularisé. Un greffon faiblement revascularisé contenant beaucoup d’ostéocytes morts va être éliminé par des processus de résorption ostéoclastiques. Certains auteurs décrivent une résorption très importante des greffes de bloc d’os cortical rétromolaire (Cordaro, 2002). La technique originelle de greffe de blocs osseux corticaux épais a été modifiée pour améliorer la revascularisation et la régénération des greffes. La formation de la couche ostéoide est possible sur chaque surface libre du greffon grâce au processus d’ostéoconduction. Si le bloc osseux est divisé en petites particules, la surface totale de l'os greffé augmente exponentiellement et sa capacité d’être régénéré est démultipliée. La surface totale de couche ostéoide est bien supérieure à celle d’un bloc intact. La taille des particules du greffon osseux concassé influence le taux et la vitesse de régénération: après 2 et 4 semaines la régénération et le volume total de l'os créé sont plus grands et plus matures dans des défauts remplis de petites particules osseuses (0,5-2,0mm3) que dans les défauts osseux remplis de taille supérieure (10mm3) (Pallesen, 2002). De plus, comparé à un bloc d’os cortical, l’espace intergranulaire laisse l’espace nécessaire à l’angiogénèse (Springer, 2004).L’os particulaire a une meilleure régénération mais il faut pouvoir donner une forme à la greffe. Certains auteurs décrivent l’utilisation de membranes non résorbables pour maintenir les particules mais ces membranes montrent un taux d’exposition associé à un taux de complications très élevé (Simion, 2001).

Le concept biologique de greffe consiste à dédoubler le bloc cortical rétromolaire en le coupant longitudinalement avec la MicroSaw® (Dentsply Sirona) (Khoury, 2007). Chaque bloc est encore travaillé avec une rappe à os pour l’affiner et obtenir des particules d’os riches en ostéoblastes et ostéocytes de qualité (Zaffe, 2007).

 

Les blocs d’os corticaux obtenus sont utilisés pour donner la forme à la greffe et les petites particules osseuses forment le corps de la greffe. Les blocs osseux amincis sont d’abord fixés à distance pour qu’un espace subsiste entre la crête atrophiée et le greffon. Cet espace résiduel est rempli d’os spongieux et de petits morceaux osseux corticaux mandibulaires. Les blocs corticaux affinés jouent alors le rôle d’une membrane biologique. La régénération de ce type de greffe atteint sa maturité́ au bout de 4 mois : la zone remplie avec de l’os broyé́, où les implants vont être posés, est bien vascularisée et possède par conséquent une couleur rougeâtre. Les implants sont donc insérés dans cet os vivant et stable dans le temps (Khoury 2007, 2011).

 

Le concept biologique de greffe est appliqué pour les déficits osseux verticaux sous forme de reconstruction 3D. La première fine lamelle d’os cortical est fixée en occlusal pour donner la forme et la hauteur à la nouvelle crête. La régénération est dépendante du niveau d’os de part et d’autre du défaut. Le niveau greffé est défini par les pics osseux adjacents au défaut. L’espace est comblé d’os particulaire. La deuxième fine lamelle d’os cortical est fixée en vestibulaire pour fermer la reconstruction. Une étude clinique décrivant les résultats de 132 patients traités par une telle reconstruction en 3D entre les années 1995 et 2000 (Khoury et al. 2004) a montré un taux de complications assez réduit. Au total, deux complications ont été observées : une exposition de la greffe et une régénération incomplète avec migration de tissu conjonctif dans la zone greffée. Une bonne cicatrisation de la plaie muqueuse et osseuse a pu être observée chez tous les autres patients et a permis d’insérer 237 implants. A l’aide de cette technique, la moyenne du gain osseux obtenu serait de 7,2mm. Ce faible taux de complications est lié à une bonne gestion des tissus mous.

 

La gestion des tissus mous

 

Pour la reconstruction de défauts osseux latéraux ou verticaux inférieurs à 5mm, une incision crestale est adaptée. Cette incision offre une excellente visibilité au défaut et permet une bonne accessibilité. La fermeture est réalisée, après une incision du périoste, par le repositionnement et la suture étanche du lambeau vestibulaire (Khoury et Happe, 1999). A la mandibule, la préparation au décolleur du lambeau lingual permet également de gagner en laxité et de limiter le décalage de la jonction muco-gingivale en lingual.

 

Le risque principal d’une reconstruction osseuse verticale est l’exposition. Les défauts osseux verticaux de plus de 5mm ou le traitement de patient à risque d’exposition indique l’utilisation de tracés alternatifs. Une tension sur la plaie peut provoquer une ouverture et/ou une nécrose du lambeau. Le tunnel latéral consiste à décaler l’incision à distance de la zone greffée. Une incision en épaisseur partielle est réalisée en supra-musculaire dans le fond du vestibule. La distance entre la crête et le tracé d’incision doit correspondre à une fois et demie la hauteur du déficit vertical. Cette incision est longitudinale, parallèle à la crête et se poursuit sous les dents adjacentes au défaut et/ou jusqu'à la région rétromolaire. La préparation du lambeau en épaisseur partielle dans le plan supra-musculaire se fait jusqu'à la jonction muco-gingivale. A ce niveau, il s’en suit une préparation en épaisseur totale en direction apicale et linguale pour visualiser le défaut osseux. La desincertion linguale doit se faire avec le décolleur pour ne pas risquer de léser les structures anatomiques linguales. Grâce à ce tracé alternatif, la suture des plaies peut se faire en 2 plans. Le premier plan musculaire permet d’obtenir une bonne étanchéité de la plaie. Enfin la suture du plan muqueux largement à distance de la greffe limite le risque d’exposition.

Le manque de gencive kératinisée et de vestibule peut compromettre la stabilité des tissus osseux péri-implantaires. En effet, la traction musculaire sur l’os greffé entraine sa résorption dans le temps. De plus, l’absence de gencive fixe péri-implantaire peut entrainer une inflammation gingivale pouvant se compliquer en péri-implantite. L’absence de vestibule empêche également le passage de la brosse à dents et limite donc l’accès à l’hygiène.

 

Lors de la reconstruction de défauts osseux verticaux, le recouvrement de la greffe entraîne une perte de vestibule. Cette situation peut être traitéepar une greffe épithélio-conjonctive lors de la mise en place des vis de cicatrisation. Cette technique nécessite cependant un prélèvement au palais et entraine des suites post-opératoires douloureuses. La plastie vestibulaire de Kazanjian est une alternative réalisable lors de la pose des implants (Khoury, 2007). Après la préparation supra-musculaire du lambeau muqueux, les muscles sont séparés du périoste vestibulaire. L’ouverture crestale du lambeau lingual permet l’insertion des implants. Enfin, le lambeau muqueux vestibulaire est suturé au périoste vestibulaire en position apicale.

 

 

Conclusion 

 

 

 

Malgré la progression des biomatériaux, l’os autogène est irremplaçable pour les reconstructions volumineuses. La préparation des blocs corticaux et la gestion des tissus mous sont les clés du succès et de la stabilité des tissus péri-implantaires à long terme.

 

Bibliographie :

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- Misch CM Comparaison of intraoral donor site for onlay grafting to implant placement Int J Oral Maxillo Implts 1997 ;12 767-76

- Pallesen L, Schou S, Aaboe M, Hjorting-Hansen E, Nattestad A, Melsen F. Influence of particle size of autogenous bone grafts on the early stages of bone regeneration: a histologic and stereologic study in rabbit calvarium. Int J Oral Maxillofac Implants 2002;17:498–506.

- Simion M, Jovanovic SA, Tinti C, Benfenati SP. Long-term evaluation 
of osseointegrated implants inserted at the time or after vertical ridge augmentation. A retrospective study on 123 implants with 1-5 year follow-up. Clin Oral Implants Res 2001;12:35–45.

- Springer IN, Terheyden H, Geiss S, Härle F, Hedderich J, Açil Y. Particulated bone grafts--effectiveness of bone cell supply. Clin Oral Implants Res. 2004 Apr;15(2):205-12.

- Zaffe D, D’Avenia F. A novel bone scraper for intraoral harvesting: a device for filling small bone defects.
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