La publicité des professionnels de santé

L'exemple des chirurgiens dentistes

Elise PASTWA - Prix Jacques Breillat 2018

Elise PASTWA

Directrice de thèse : Céline CLEMENT

Faculté : NANCY


L’interdiction de la publicité est un principe fondamental du Code de Déontologie des chirurgiens-dentistes, et du Code de la Santé Publique. Cependant, il est à l’heure actuelle remis en question par l’émerget de nouvelles formes d’exercice.

La publicité est une forme de communication pour attirer l’attention d’un public visé, et la limite entre publicité et information, souvent difficile à établir, repose dans la finalité du message.

 

Quels sont les fondements et limites de ce principe déontologique fondamental de notre profession ?

Notre travail a pour objectif d’une part de comprendre le principe d’interdiction, de connaître son incidence sur la pratique quotidienne, et son importance dans l’exercice de la profession ; d’autre part de comparer la législation française à d’autres législations étrangères, et d’appréhender les évolutions possibles de ce principe et leurs conséquences potentielles sur la pratique de la chirurgie-dentaire et sur la société dans son ensemble.

Ainsi, tous procédés directs ou indirects de publicité sont prohibés dans notre Code de Déontologie et nous ne devons pas exercer la profession comme un commerce. Ceci est sanctionné par des peines ordinales (disciplinaires) et pénales ou civiles qui ne sont pas exclusives. Mais le patient exprime, comme dans tous domaines, la volonté d’être informé.

Il existe de nombreux supports pour diffuser l’information, et c’est le message qu’ils véhiculent, et non les supports eux-mêmes, qui sont publicitaire. Pour encadrer et guider les chirurgiens-dentistes, l’Ordre a établi deux chartes : la Charte ordinale applicable aux sites internet professionnels des chirurgiens-dentistes et celle relative à la publicité et à l’information dans les médias (consultables sur le site Internet de l’Ordre National). Une fiche d’auto-évaluation de son site Internet a également été éditée afin de savoir si nous sommes en conformités avec la réglementation.

Pour chaque support de communication (presse, réseaux sociaux, annuaires, imprimés professionnels…), il existe du contenu autorisé et prohibé, afin de préserver deux principes fondamentaux de notre profession que sont la non-concurrence (article R.4127-277 du Code de Déontologie) et l’indépendance professionnelle, et c’est l’intention du praticien qui sera toujours recherchée pour savoir s’il est réellement l’auteur de la communication.

En simplifiant, on peut résumer le contenu autorisé et prohibé comme ci-contre.

Mais ce principe d’interdiction formelle est remis en cause. Ainsi, la publicité a de nombreuses fonctions et fait partie intégrante de notre société, elle est tantôt prônée par certains, décriée par d’autres. Réprimée dans le secteur de la santé, aurait-elle cependant une utilité ?

La publicité sert à attirer, à accrocher, à séduire, à vendre, à faire acheter, à faire consommer, mais aussi à informer, à faire connaître, à faire changer d’habitude, à créer des besoins, à faire réfléchir.

Elle sert également à créer de la concurrence, et c’est le cœur du débat : peut-il y avoir concurrence entre les professionnels de santé ? Ceci est une autre vaste problématique, mais à l’heure actuelle la concurrence entre les chirurgiens-dentistes est plutôt prohibée par les syndicats de chirurgiens-dentistes, mais encouragée de plus en plus par le gouvernement et les représentants des patients, en instaurant par exemple les devis conventionnels ou l’affichage des tarifs.

S’ajoute à cela la problématique des centres de santé dentaire, polyvalents, mutualiste ou low cost, en augmentation croissante sur notre territoire (pour des raisons économiques principalement, mais également dans le but d’optimiser le maillage territorial en matière de santé bucco-dentaire), et pour lesquels il y a actuellement un vide juridique, la justice se basant alors sur la jurisprudence. Selon le numéro de mai 2015 de La Lettre, « [ils] sont dirigés par des gestionnaires qui sont le plus souvent impliqués directement ou indirectement dans des sociétés commerciales au travers desquelles ils recueillent le bénéfice de dépenses qu’ils décident de mettre à la charge des centres de santé ».

Il s’agit bien dans ce cas d’un gain de productivité, ce qui s’oppose bien évidemment totalement (en plus du fait que le créateur-gérant est aussi le promoteur) à l’article R. 4127-215 du Code de Déontologie (« la profession dentaire ne doit pas être pratiquée comme un commerce ») et au concept « non lucratif », résultant de la loi Hôpital, Patients, Santé et Territoires (HPST, 2009) et de la loi Fourcade (2011). Est alors apparu le problème de leur statut et la question de savoir s’ils étaient assignés aux mêmes contraintes que les chirurgiens-dentistes « traditionnels », notamment en matière de publicité. En effet, plusieurs centres ont été portés devant les tribunaux car ils vantaient leurs prestations au public par des affichages urbains, ou via Internet. Ainsi, de nouvelles ordonnances, une adaptation du Code de la Santé Publique et la création de postes de chirurgiens-dentistes experts « centre de santé » à l’Agence Régionale de Santé ont pour but d’encadrer les centres tant au niveau de leur création que de leur organisation, gestion et fonctionnement et d’accompagner la création et la pérennisation des centres, de les inspecter, de conseiller les promoteurs, et de réfléchir à une évolution de la législation.

A Lyon, les centres Dentexia ont été condamnés à verser 5000 euros de dommages et intérêts au conseil départemental pour comparaison de tarifs, promesses de bons résultats et dans des délais courts, les assimilant à des entreprises commerciales.

La publicité est donc bien encadrée en France, tant au niveau ordinal que législatif, malgré une remise en question.

 

Qu’en est-il à l’étranger ?

La règlementation de la publicité est différente selon les pays. Au sein de l’Europe, mais aussi de l’Union Européenne, les multiples législations rendent difficile l‘encadrement et le contrôle des procédés publicitaires.

Une clinique ou un centre de soin étranger s’installant sur le sol français est bien évidemment soumis aux lois françaises, mais pour le cas inverse, des problèmes émergent avec la multiplication de publicités françaises pour des soins à l’étranger, notamment en Italie ou en Hongrie où la loi est beaucoup plus tolérante.

La législation suisse est moins restrictive mais encadre les pratiques des professionnels de santé.

En Belgique, plusieurs affaires sont venues remettre en cause la loi du 15 avril 1958 relative à la publicité des chirurgiens-dentistes, comme celle de Monsieur Doulamis en mars 2008 qui avait inséré des annonces publicitaires dans un annuaire, ou celle en 2014 où un chirurgien-dentiste avait notamment installé un panneau publicitaire. Ce dernier a été dans un premier temps condamné par la législation belge qui interdit la publicité en santé, puis relaxé par la cour d’Appel qui a estimé que cela était contraire au droit de l’Union.

Et c’est donc là toute la difficulté d’établir des règles universelles, étant donné les multiples facettes que représente entre autre l’Union Européenne. Actuellement, la position de l’Union est en faveur d’un encadrement de la publicité professionnelle, mais qui ne doit pas aboutir à une interdiction absolue.

Les états membres sont d’accord sur le fait que l’usage de la publicité, parfois trompeuse ou mensongère, contribue d’une part à dégrader l’image, la dignité et l’honneur de la profession ; d’autre part altère la relation praticien-patient ; conduit parfois à la réalisation de soins non nécessaires ou abusifs ; et nuit à la protection de la santé.

Internet a par ailleurs véritablement levé les frontières et permis la diffusion d’information à grande échelle. Il est courant également de trouver des publicités pour des soins dentaires sur les réseaux sociaux ou tous types de supports, au Québec ou en Espagne.

Quant aux Etats-Unis, à l’instar du système de soins diamétralement opposé au système français, les règles en termes de réclames publicitaires sont elles aussi très différentes, ce qui aboutit par exemple à ces panneaux publicitaires routiers, comportant les prix et numéro de téléphone des structures de soin.

L’actuelle tendance de mutation des patients en consommateurs de soin, l’émergence de nouveaux modes d’exercice et l’explosion des moyens et techniques de communication placent plus que jamais aujourd’hui la publicité au cœur de notre quotidien. Certains chirurgiens-dentistes sont alors tentés d’aller à l’encontre de principes fondateurs, pour non seulement répondre à un besoin d’information, mais également établir la transparence sur les thérapeutiques.

Avec l’évolution permanente des supports de communication, des comportements sociétaux, de la législation et de la jurisprudence, il est légitime de se demander si les condamnations vont se multiplier et/ou se durcir si nous aurons une législation européenne commune à tous les états membres. En tout état de cause, il semble qu’une actualisation du code de déontologie est nécessaire.

Il faut garder à l’esprit que chaque chirurgien-dentiste est soumis à des règles de droit commun en tant que citoyen, mais aussi à des principes propres à sa profession. Les divers problèmes pouvant survenir lors de la pratique professionnelle, autant sociétaux, économiques, éthiques ou déontologiques ne doivent en aucun cas occulter les missions de chaque chirurgien-dentiste que sont la protection des patients, la sécurité et la qualité des soins.

 

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