Introduction
Le traitement des patients ayant besoin d’une réhabilitation globale étendue, incluant une modification de la DVO et une nouvelle orientation du plan d’occlusion, en flux numérique complet peut encore paraître délicat à planifier et mettre en œuvre.
Le traitement de ces patients nécessite une approche esthétique et fonctionnelle. Les codes de ces dimensions doivent être compris, maîtrisés et partagés par le clinicien et le laboratoire. En effet, l’équipe dentiste-prothésiste doit appréhender une mosaïque de problématiques interconnectées, auxquelles il faut répondre chronologiquement afin de guider son exécution.
Au travers d’un cas traité, entre Basse Terre (Guadeloupe) et Bordeaux (GAD CENTER, GLOBAL ESTHETIC), par concept ODA développé par Dr Cyril Gaillard, nous allons
montrer pourquoi le numérique est un outil de choix dans les réhabilitations globales.
Etapes préliminaires (Basse Terre)
Un patient est adressé au cabinet pour des douleurs oro faciales (Fig.1 et 2). Après anamnèse complète, l’examen clinique
montre des dents usées, un excès de recouvrement antérieur et une instabilité occlusale. Un plan de traitement est ensuite élaboré après une photo, et des empreintes numériques des arcades
maxillaires et mandibulaires.
Pour simuler numériquement le futur sourire nous avons utilisé Smilecloud. Cette application permet la conservation, le partage et le traitement des données numériques du patient. Grâce à l’intelligence artificielle, l’application interprète les références faciales du patient et propose des formes de dents en fonction de son morphotype. La longueur et la position des incisives centrales va nous renseigner sur la quantité d’espace nécessaire pour restaurer l’enveloppe fonctionnelle. (8)
Le projet esthétique, validé avec le patient, nous permet de passer à l’étape suivante d’enregistrement de la position mandibulaire à l’aide du TENS (Myotronics) et
d’une plaque de KOIS. (Fig. 3 et 4)
Le KOIS se présente comme un plan rétro incisif dont on règle la hauteur en fonction du projet esthétique (ODA : occlusion driven by esthetic). Le KOIS utilisé seul nécessite un port par le patient pendant quelques jours pour obtenir une déprogrammation neuromusculaire. Associé au TENS, il nous servira à enregistrer la position de repos
neuromusculaire de façon extemporanée. Le TENS va permettre d’obtenir la cinématique d’ouverture et fermeture en stimulant les muscles masticateurs indépendamment de la volonté du patient, on aura ainsi enregistré la position mandibulaire en équilibre neuro musculaire. Une empreinte numérique de cette position est réalisée. Elle sera la position de référence pour la réalisation du mock up. Le laboratoire réalise le wax up numérique en fonction des données enregistrées (photos empreintes numériques en position déprogrammée) et imprime les modèles pour réaliser des clés de transfert en silicone lourd par condensation pour sa rigidité, associé à un silicone light par addition pour la précision des détails (Cendres & Métaux, 3M).
Les mock up sont réalisés à l’aide d’une résine bys-acryl (Bisico). L’occlusion est équilibrée en statique et dynamique selon le concept d’occlusion fonctionnelle
décrit par M. Legall et JF. Lauret. L’occlusion statique est équilibrée en déglutition.
Le mock up plaçant le patient en position d’équilibre neuro musculaire, nous lui demandons de placer sa langue derrière les incisives centrales maxillaires, d’élever doucement la mandibule jusqu’à l’OIM et de nous indiquer à quel endroit il « sent » le premier contact. Nous répétons la procédure en plaçant du papier à articuler de 20 microns. Toute prématurité sera éliminée jusqu’à retrouver des contacts cuspides-fosses masticatrice simultanés, d’intensité équivalente. La fonction d’incision sera aussi évaluée.
Nous veillerons à obtenir des contacts sur l’ensemble des surfaces masticatrices en fonction. Les sur-guidages seront éliminés, des adjonctions en composite seront réalisées sur les surfaces déficientes. Nous veillerons à ce que les sorties de cycles soient bien prises en charge par la canine et la première prémolaire maxillaire controlatérales.
Une empreinte numérique est réalisée pour enregistrer les morphologies occlusales ajustées, garantes de la cinématique fonctionnelle.
Le patient quitte le cabinet avec les mock up collés en bouche. Un contrôle de la disparition des symptômes valide la partie fonctionnelle.
Toutes ces étapes ont été réalisées en Guadeloupe.
Direction Bordeaux
A ce stade, nous faisons intervenir le Modjaw (19) qui va permettre d’enregistrer et transmettre au laboratoire les cycles masticatoires, et optimiser les contacts d’entrées et sorties de cycle, en débutant la construction à partir de la première molaire (18) (Fig. 5).
Il s’agit un outil numérique qui permet l’enregistrement en temps réel des mouvements cinématiques mandibulaires et permet leur visualisation et leur exploitation
en 3D. Sans Modjaw, il est impossible au praticien d’enregistrer les mouvements masticatoires du patient, et donc impossible au laboratoire de prothèses de reproduire une anatomie occlusale avec
des entrées de cycles et des sorties de cycles. L’articulateur n’est pas un outil qui représente la physiologie. Ici, le praticien va pouvoir enregistrer la physiologie du patient, la transmettre
au laboratoire, et ce dernier, lorsqu’il va faire la conception prothétique via le numérique va travailler sur le patient virtuel.
Voyons ensemble un exemple : si vous souhaitez allonger les dents maxillaires antérieures (uniquement les incisives par exemple), de combien
pouvez-vous les allonger ? La limite physiologique est la phonation du patient. En effet lorsque le patient prononce les S, les dents antérieures mandibulaires se rapprochent pour effleurer
les bords libres des incisives maxillaires. Avec le Modjaw, nous enregistrons préalablement la phonétique du patient. Le laboratoire aura alors l’information de la physiologie du patient
(l’enveloppe fonctionnelle) et pourra fabriquer le wax-up en fonction de celle-ci.
Autre exemple : Le Gall et Lauret ont parfaitement décrit les cycles de mastication, les mouvements mandibulaires partant de l’extérieur pour revenir vers l’intérieur (mouvement inverse des latéralités). Mais il est impossible sans le Modjaw d’enregistrer, de transmettre ces informations au laboratoire de prothèse. Il nous permet de diminuer de manière importante les retouches, les équilibrations occlusales que nous devons faire sur nos mock-up, provisoires ou prothèses d’usages.
Autre point à souligner : lorsque nous voulons augmenter la dimension verticale du patient, nous devons le faire directement en bouche et ne
pas le faire sur la tige incisive de l’articulateur. Avec le Modjaw, vous pouvez déterminer et enregistrer la nouvelle dimension verticale directement car il enregistre la physiologie du patient,
l’ouverture et la fermeture.
Des empreintes numériques des arcades sont réalisées, des modèles sont imprimés et des clés de transfert son confectionner selon le projet fonctionnel reconstruit.
Le laboratoire : avec les différentes données (empreinte numérique, photos, Modjaw), le laboratoire peut réaliser un wax-up complet. (Fig. 6 et 7)
Les préparations
Les préparations sont réalisées à travers le mock up (Fig. 8 et 9). Cette méthodologie, développée par Gurel (20), permet la calibration des profondeurs de préparation et la préservation de l’émail substrat de choix pour les restaurations collées.
Afin de conserver les rapports d’occlusion, les préparations sont réalisées par secteurs. Un mordu d’occlusion du secteur préparé est enregistré à l’aide d’un silicone de haute viscosité (Regidur, Bisico) avant la préparation du suivant. Lors des enregistrements successifs, il faut veiller à ce que les différents mordus ne débordent pas les uns sur les autres.
Empreintes numériques des préparations (Fig. 10)
Une fois les préparations terminées, une empreinte numérique des deux arcades est enregistrée. Ces dernières sont envoyées au prothésiste immédiatement. A ce moment, l’outil Cut View (Exocad) permet de superposer les empreintes pré-opératoires du mock up et celles des préparations, et de vérifier si les épaisseurs ménagées sont suffisantes pour les matériaux choisis. (Fig. 11 et 12)
Dans le cas où une préparation serait insuffisante, il suffirait de préparer la zone où l’épaisseur est insuffisante, d’effacer la zone scannée et de scanner de nouveau la zone modifiée pour corriger l’empreinte.
Le digital workflow permet un traitement extemporané des empreintes par le technicien de laboratoire, et de valider la cohésion des préparations avec le projet esthétique et fonctionnel planifié.
Laboratoire
Le laboratoire réceptionne les empreintes optiques des provisoires validées et équilibrées en bouche et les empreintes des préparations. Grâce aux logiciels de CAO (3shape, Exocad), ces différentes empreintes optiques sont superposées afin de rester fidèle au Smile Design validé avec le patient, et de conserver l’occlusion équilibrée au cours des étapes préparatoires. Ensuite il faut délimiter chaque préparation pour créer des dies unitaires. La conception de chaque élément se fera en copiant le scan des provisoires aussi bien sur les antérieures que sur les postérieures pour rester fidèles à l'esthétique et à la fonction. Pour optimiser le résultat de notre conception on peut aussi insérer une photo du patient (visage, sourire sans contact entre dents maxillaires et mandibulaires). La conception des postérieures a été réalisée avec les données du patient prisent avec le Modjaw, ce qui nous permet de parfaitement gérer les courbes ainsi que les contacts masticatoires en entrée et sortie de cycle. Une fois ces étapes réalisées, les restaurations seront usinées (FAO) avec les Rolland (DG Shape). Les matériaux choisis sont l’IPS e-max (Ivoclar) pour les secteurs postérieurs (épaisseur et solidité), et en Empress Esthetic Multi (Ivoclar) pour les secteurs antérieurs (esthétique). Ces éléments seront contrôlés (ajustage, points de contacts et occlusion) sur des modèles imprimés sur Form's Lab. Après un travail sur les états de surface sur les antérieurs, les éléments sont maquillés et glacés avec les colorants Ivocolor (Ivoclar)
Le collage (Fig. 13 et 14)
Les restaurations sont essayées une à une pour vérifier leur ajustage sur les préparations, puis toutes ensemble pour s’assurer que les points de contacts proximaux ne compromettent pas leur insertion.
Pour l’assemblage, les dents ont été isolées à l’aide du champ opératoire. Après sablage des préparations (Rondoflex KaVo alumine 50 microns), nous avons conditionné les surfaces dentaires à l’acide ortho phosphorique, rincé abondamment à l’eau, séché et appliqué un adhésif universel (friction des surfaces pendant 20 secondes), éliminé les excès d’adhésif et photopolymérisé pendant 40 secondes.
En parallèle les pièces en céramiques ont été préparées à l’acide fluorhydrique et silanées. Pour le collage nous avons utilisé un composite collage Kuraray. Photopolymérisation avec application de glycérine pour la couche inhibée de surface. Les excès sont éliminés à la lame de bistouri numéro 12.
Conclusion
Dans les cas de réhabilitations globales esthétiques et fonctionnelles, le succès du traitement réside dans l’établissement d’un plan de traitement et le respect des étapes cliniques séquentielles. Le flux numérique permet de fractionner un plan de traitement complexe en une succession d’étapes simples dont l’information sera préservée. Il est difficile de répondre à ces exigences dans un procédé conventionnel.
L’approche présentée permet le développement d'une analyse complète et précise des réhabilitations fonctionnelles-esthétiques, l’objectif étant de rendre les traitements complexes reproductibles dont les résultats reflètent le plan établi.
Travaux cités
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