Lauréate : Elisa CHOUKROUN
Faculté : Nice
Directeur de thèse : Dr Catherine Pesci-Bardon
La dentisterie moderne tend petit à petit à s’intéresser à l’état biologique et physiologique du patient, dans le but d’une approche globale et médicale. Parmi les facteurs influents sur la santé et le bien être en général, la vitamine D suscite un intérêt croissant pour le tropisme de son action. On compte près de 13 000 articles publiés à ce sujet, rien que ces trois dernières années. En effet, de nombreux articles relatent son rôle crucial dans le métabolisme osseux mais également dans d’autres affections, immunitaires, allergiques, cancéreuses ou encore cérébrales. Cette hormone clé de la « bonne santé » interagit aussi sur la sphère orale (1).
La vitamine D : Description et métabolisme
La vitamine D fait parler d’elle pour la première fois au 20ème siècle pour son implication dans la survenue du rachitisme. C’est en réalité une hormone de la famille des stéroïdes et non une vitamine au sens propre. On la retrouve sous 2 formes inertes, biologiquement équivalentes :
- la vitamine D2, aussi appelée ergocalciférol, d’origine végétale,
- la vitamine D3, ou cholécalciférol d’origine alimentaire ou synthétisée après exposition solaire.
Sources
La vitamine D a donc plusieurs origines possibles.
- L’exposition solaire : sous l’action des rayonnements UVB (290 à 315nm), la vitamine D est produite par les couches profondes de l’épiderme. Cette source constitue la voie principale de synthèse avec 80 à 90% des apports.
- L’alimentation : très peu d’aliments contiennent naturellement de la vitamine D. On retrouve surtout les poissons gras (de préférence sauvages) et les œufs. Pour contrer cela, des nombreux produits laitiers sont maintenant enrichis en vitamine D comme le lait ou les yaourts.
- Une supplémentation sous forme de compléments alimentaires est également une source fiable de vitamine D.
Métabolisme
L’exposition aux rayons UVB permet la conversion du 7-déhydrocholestérol en pré-vitamine D puis rapidement en vitamine D.
Dans le foie, elle subit une autre transformation en 25-hydroxy-vitamine D, qu’on appelle aussi calcifédiol. C’est cette forme qui est analysée lors des prélèvements sanguins en laboratoire.
La 25-hydroxy-vitamine-D va subir une deuxième hydroxylation en 1,25-di-hydroxy-vitamine D, ou calcitriol, au niveau des reins. Cette dernière étape est régulée par la parathormone (PTH), mais aussi par la phosphorémie et la calcémie.
La vitamine D, sous toute ses formes, va ensuite agir sur l’ensemble des tissus via son récepteur cellulaire le VDR (Vitamine D Receptor), présent aussi bien au niveau du tissu osseux, que de la peau, des intestins, du système immunitaire ou encore du tissu cérébral.
Dosage et taux physiologiques
Les ANC, décrétés par les autorités sanitaires françaises, sont de 200 UI par jour pour les adultes et adolescents et 400 UI pour les enfants et personnes âgées. Quant aux différents statuts vitaminiques, le consensus international est le suivant :
-0-5ng/ml – 0-15nmol/ml : carence sévère
-5-10 ng/ml ou 15-25nmol/ml : carence
-10-30 ng/ml ou 25-75nmol/ml : déficience
-> 30 ng/ml ou 75nmol/ml : optimal
-> 150ng/ml: toxicité
Le taux optimal est donc de 30ng/ml. Ce dernier peut être élevé à 50ng/ml en cas de pathologies telles que le cancer (2). Un surdosage en vitamine D reste un phénomène exceptionnel. En cas de taux élevé, les excès sont convertis et excrétés au niveau du rein, limitant la toxicité et la rendant rare. Des études ont démontré que cette dernière n’est toujours pas atteinte pour des doses quotidiennes même 8 fois supérieures aux ANC (3).
Hypovitaminose D : facteurs de risque, épidémiologie & étude
Facteurs de risque
Les facteurs de risques de l’hypovitaminose D sont multiples et variés.
Epidémiologie
Selon certains spécialistes de la vitamine D, la situation mondiale est qualifiée de « pandémique » (4,5). L’enquête SUVIMAX, menée en France en 2011, recense 78% de patients déficitaires, avec une atteinte plus marquée du sexe féminin (6).
D’autres études (7) estiment à 73% le taux de la population avec un taux inférieur à 20ng/ml en hiver.
Parmi les populations à risque, 100% des personnes institutionnalisées seraient déficitaires.
Étude
Aux vues de ces résultats, nous avons souhaité connaître l’état vitaminique de nos patients.
Méthode
Nous avons testé 3 populations distinctes :
Résultats
Série 1 : sur un total de 304 patients, seuls 69, soit 22,7% ont un taux adéquat de vitamine D, supérieur à 30ng/ml. 77,3% ont donc un taux insuffisant avec 4,9% de carencés (taux en dessous de 10ng/ml).
Fig. 1 : dosage de la vitamine D chez des patients se présentant à une consultation pré implantaire
Série 2 : le pourcentage de patients avec un taux inadéquat est semblable à la série 1, avec 79,2% de la population étudiée. Mais les patients cancéreux sont plus sévèrement touchés. En effet, 31,3% des patients sont en état de carence.
Fig. 2 : dosage de la vitamine D chez des patients se présentant à une consultation pré opératoire en cancérologie maxillo-faciale
Série 3 : le personnel médical soignant est tout aussi déficitaire que la population générale. Cependant le nombre de carencés est extrêmement élevé : 45,8%. Seuls 3 patients sur 24 soit 12,5% ont un taux de vitamine D supérieur à la valeur seuil de 30 ng/mL.
Fig. 3 : dosage de la vitamine D chez médecins et chirurgiens traitants hospitaliers
Discussion
Concernant les patients examinés en pré-implantaire, les données correspondent à la population générale avec 78,2% de déficients en vitamine D. En effet, ces personnes sont considérées comme globalement en bonne santé car non contre-indiquées à une chirurgie implantaire. Ces données correspondent à celles de la littérature. La population cancéreuse, elle, est plus gravement déficitaire que la population dite classique. Cela correspond également aux dernières données de la littérature qui ont démontré l’aspect protecteur de la vitamine D contre plusieurs types de cancer (8, 9,10).
Mais les personnes les plus carencées sont retrouvées parmi le personnel médical : plus de 45% du corps médical testé est carencé avec un taux inférieur à 10ng/ml. Ce nombre très élevé peut-être expliqué par un défaut de prise de conscience du corps médical ainsi que le rythme de vie et le volume horaire des journées de travail, sans voir la lumière du jour. Les médecins supplémentent leurs patients mais ne se sentent souvent que très peu concernés par le problème.
Certes l’étude n’est pour l’instant qu’à son début. Les groupes restent inégaux et la différence de localisation des patients peut influer sur l’ensoleillement et la déficience, même si ces villes se trouvent à des latitudes proches. Il sera nécessaire de la continuer dans le temps afin d’obtenir des séries plus homogènes.
Conséquences d’une déficience en vitamine D
Conséquences générales
Immunité
Depuis l’article de P. Liu dans Science (11), nous savons maintenant que la vitamine D est un immuno-modulateur naturel. En effet, face à la présence de micro-organismes dans le corps humain, une réponse immunitaire se met en place : les lymphocytes vont initier une cascade de réactions aboutissant à la production de substances anti bactériennes humaines (types cathélicidine ou défensine). Mais cette réponse ne peut se faire qu’en présence d’un taux adéquat de vitamine D. Cette dernière est donc essentielle à un système immunitaire compétent.
Les conséquences d’une carence sont donc les suivantes.
Cancer
Le cancer a souvent été décrit comme touchant d’avantage l’hémisphère nord car moins exposé au rayonnement solaire. Or ce n’est que récemment que le lien avec la vitamine D a été soulevé. A présent, 10 000 articles traitent de ce sujet. La vitamine D régulerait un certain nombre de gènes contrôlant la prolifération et la différenciation des cellules malignes (15, 16, 17,18).
Une hypovitaminose D est associée à :
Système neurologique
Le récepteur de la vitamine D est largement retrouvé au niveau des tissus cérébraux. Il permet ainsi une protection du système nerveux central via l’homéostasie phospho-calcique. Un taux inadéquat de vitamine D a donc les conséquences suivantes :
Systèmes cardio vasculaire et pulmonaire
La vitamine D influerait sur la production de l’angiotensine via le contrôle du gène de la rénine. Les études sont encore peu nombreuses dans ces domaines mais certaines pistes se démarquent :
Métabolisme lipidique
Nous l’avons vu, vitamine D et cholestérol partage le même précurseur, le 7-dehydrocholesterol. En cas d’insuffisance en vitamine D, nous avons donc :
Les 2 métabolismes sont donc intimement liés. En effet, supplémenter un patient en vitamine D permet de réduire son taux de LDL cholestérol et l’apport de statines (traitement de choix du cholestérol) permet d’augmenter le taux circulant de vitamine D (29). Dans notre étude nous avons également testé le cholestérol des patients. 63,8 % des patients déficitaires en vitamine D présente une hypercholestérolémie.
Fonction musculaire et douleurs
Les douleurs et faiblesse musculaires sont des conséquences fréquentes de l’ostéomalacie.
On retrouve de nombreux récepteurs de la vitamine D dans le tissu musculaire, nécessaires à son activation. En cas d’hypovitaminose D, on retrouve :
La vitamine D, ou plutôt son manque, est donc un facteur de co-morbidité mais également un facteur à haut risque de mortalité, en particuliers pour les populations les plus âgées. Elle représenterait 60 à 70% de la mortalité des pays développés, toutes affections confondues (cancer, diabète, maladies cardio-vasculaires etc...)
Conséquences bucco dentaires
Métabolisme osseux
L’impact osseux de la vitamine D est l’un des plus documenté. Le VDR (récepteur de la vitamine D), activé au sein des ostéoblastes stimule la production de Rank-L, responsable de la différenciation et la maturation de la lignée ostéoclastique (33,34), puis de la libération du calcium nécessaire à la minéralisation du tissu osseux. En cas de déficience, le turn over osseux et augmenté, aboutissant à une perte à la fois du volume et de la densité osseuse. La matrice collagénique affaiblie, micro fissures, hypominéralisation, ostéopénie et ostéoporose surviennent fréquemment.
Une équipe chinoise a comparé l’aspect de fémurs d’adolescents selon leur taux sanguin de vitamine D (35). En cas de carence, la densité et la trabéculation sont moindres. (Fig. 4)
La vitamine D est donc essentielle à un métabolisme osseux performant et optimal. Les conséquences dentaires de ce lien vitamine D - os sont donc facilement imaginables.
Parodontologie
En plus de son effet osseux, l'effet anti-microbien de la vitamine D impacte la progression des maladies parodontales et le développement de bactéries parodonto-pathogènes comme Porphyromonas gingivalis. À des niveaux insuffisants, la vitamine D entraîne
Plus la supplémentation serait importante, plus l’effet protecteur de la vitamine D serait visible.
Une dose journalière de 800 à 1000UI, soit largement au-dessus des doses recommandées, permettrait une nette amélioration des signes cliniques, ainsi qu’une meilleure cicatrisation lors des phases de maintenance des traitements parodontaux (38).
Implantologie
De nombreux chercheurs ont étudié les bienfaits de la vitamine D sur l’osteointégration, par des apports à la fois topiques et systémiques. Elles sont, pour le moment, la plupart sur des modèles animaux.
Un taux adéquat en vitamine D permettrait :
- une augmentation de la différenciation ostéoblastique et donc une réduction significative de la destruction osseuse (39) et de la perte osseuse marginale (40)
Concernant les greffes osseuses, les études sont encore peu nombreuses mais toutes en concluent, en cas de taux optimaux :
Maladie carieuse
Les cellules sécrétrices de l’émail sont en réalité des cellules cibles de la vitamine D. Le lien avec la minéralisation des tissus dentaire fait l’objet de nombreux articles. Une hypovitaminose D entraîne donc :
En extrapolant, on pourrait également étendre le champ d’action de la vitamine D à la prévention des cancers oro-faciaux et à une diminution des conséquences dentaires consécutives aux chutes. De façon plus globale, la vitamine D influence l’ensemble de la sphère orale, que ce soit au niveau du parodonte ou de la dent en elle-même, et donc le taux de perte des dents. Elle devient un réel indicateur de « bonne santé », essentielle au bon fonctionnement du corps humain mais également de l’ensemble bucco-dentaire.
De plus, les résultats de cette étude nous incitent à considérer de façon sérieuse de problème de l’hypovitaminose D dans notre pratique quotidienne. L’objectif ici n’est pas seulement d’équilibrer le patient pour la chirurgie ou les soins mais de participer à une homéostasie plus constante au long cours. Il apparaît évident que le dosage de la vitamine D devient une nécessité dans le bilan préopératoire de nos patients en odontologie. L’ostéointégration d’un implant, la survie d’une greffe osseuse mais également, la stabilité de l’os ou d’un traitement parodontal va évidemment dépendre d’un maintien à long terme d’un taux sérique adéquat.
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