Rencontre avec Joël Itic

Joël Itic, un (ex) praticien artiste revient sur son parcours

AO News #66  - juin 2024


AONews : Joël, avant de parler de ton affiche pour ce numéro spécial Jeux Olympiques, je voudrais évoquer avec toi, les moments importants de ta carrière professionnelle, dans laquelle j’inclus bien sûr notre comité de rédaction.

 

Joël Itic : Effectivement, je suis fier et heureux d’avoir participé, pratiquement depuis la création d’AO News, au comité de rédaction. Nous allons fêter en novembre les trente ans de cette revue crée par André Sebbag, qui a accompli, avec Mylène Popiolek et nous tous, un travail constant et remarquable depuis ces trois décennies. AO News est une des rares revues généralistes à avoir perduré aussi longtemps, preuve de réussite indéniable.

J’ai été également très honoré de faire partie du comité de lecture du Journal de Parodontologie et Implantologie Orale (JPIO) de mon ami Paul Mattout et dans lequel j’ai d’ailleurs publié une dizaine d’articles. Il est difficile de résumer en quelques lignes presque 50 ans de carrière professionnelle et universitaire mais je voudrais me souvenir des moments les plus marquants. J’ai eu la grande chance de rencontrer deux personnes qui ont été déterminantes pour ma carrière. En effet, après le CES de parodontologie j’ai intégré le DU de Paro de Garancière dirigé par Jean-Pierre Ouhayoun et Daniel Étienne, il y avait aussi avec eux une équipe absolument remarquable, tous issus des plus grandes facultés américaines dont Michèle Laviec pour qui je garde un souvenir particulier et ému. Je lui ai succédée selon son souhait au poste d’assistant dans le service de parodontologie, et malheureusement quelques mois après ma nomination elle est décédée dans un terrible accident de voiture. Sous l’impulsion de J.P. Ouhayoun nous avons créé avec un certain nombre d’anciens du DU, l’association universitaire de parodontologie (AUP) afin d’organiser des cours pour les omnipraticiens qui souhaitaient se mettre à niveau dans cette discipline. Nous avons été les premiers et les seuls, en dehors des DU, à faire cette formation sur patient. Ce fut un succès immédiat et nous avons ainsi formé, en presque 25 ans, plus de 2500 praticiens dont un certain nombre furent très connus par la suite. J’ai eu l’honneur et la joie de présider l’AUP pendant presque toutes ces années et j’ai continué d’enseigner au D.U. de Parodontologie/Implantologie pendant de nombreuses années jusqu’au départ à la retraite de J.P. Ouhayoun. Parmi mes modestes titres de gloire j’ai été particulièrement heureux d’avoir été le directeur scientifique des Entretiens de Garancière 2001/2002 sous la présidence de mon ami Philippe Monsenego, à qui j’ai succédé en 2003/2004 en tant que président. Un autre fait marquant dans ma mémoire fut l’invitation par le professeur Sam Yankel pour faire des cours et des conférences à Penn University à Philadelphie devant les professeurs et les étudiants du programme Postgraduate in Periodontology. Je dois avouer qu’il m’a fallu à l’époque, faire quelques séances de relaxation avant de me présenter et m’exprimer en Anglais devant cet aréopage. J’y ai présenté une partie de mes études cliniques sur l’irrigation sous gingivale qui ont été publiées par la suite dans le Journal of Periodontology et d’autres revues internationales. Ces publications m’ont permis par la suite de soutenir une thèse de doctorat d’université. Elles ont été suivies d’une soixantaine d’autres dont un certain nombre dans ma revue de cœur AO News. Je pense que j’ai eu une carrière bien remplie en presque 50 ans d’exercice puisque j’ai arrêté mon activité de parodontiste et implantologiste exclusif au cabinet en 2019. Enfin je dirais que j’ai vécu une vie professionnelle exaltante avec une révolution majeure pour notre exercice, à savoir les implants ostèointègrès de Brannemark qui ont complètement changé nos plans de traitement et nos réhabilitations prothétiques. Là aussi ce fut une fierté d’être parmi les premiers praticiens français à poser ce type d’implants et avoir fait des cours pour la société Nobel qui les commercialisait. Nous avons d’ailleurs organisé avec l’AUP le premier cours Branemark en France avec la présence du Maître.

 

AO News : J’ai eu le plaisir d’assister à plusieurs de tes expositions dont certaines communes avec ton épouse Laetitia. Tu peins depuis longtemps et ce travail est une expression de ton talent : peux-tu raconter à nos lecteurs ton cheminement de l’art dentaire à la peinture ?

 

J.I. : avant toute réponse je te remercie, Michèle, d’évoquer mon épouse Laetitia qui est passionnée de photographie et qui récemment s’est mise au dessin de façon entièrement autodidacte. Je dois dire qu’elle m’impressionne et j’ai hâte que nous puissions faire prochainement une exposition commune.

Je dessine depuis mon plus jeune âge et j’ai toujours adoré la peinture, j’ai trainé mes basques dans de multiples expositions, la transition de l’art dentaire à l’art pictural s’est donc fait tout naturellement, comme pour beaucoup de confrères qui peignent ou dessinent de façon remarquable, j’ai toujours aimé dessiner mais la peinture réclame beaucoup de temps. Ce n’est que depuis quelques années que je me suis obligé à travailler régulièrement avec une professeure, Laurence Jeannest, de l’école des Arts Deco, toute proche de mon cabinet, je suis toujours ses cours, elle me conseille encore aujourd’hui et toujours avec pertinence car c’est une artiste de grand talent qui expose régulièrement.

 

AO News : Joël tu as su transmettre à plusieurs générations d’étudiants, as-tu eu un ou des maîtres en peinture ?

J. I. : J’ai eu cette professeure dont je viens de parler, mais je pense, Michèle, que tu veux parler de mes modèles. Ils sont très nombreux, en peinture classique je mettrais en tête Vermeer, il y a quelques années j’ai pris un vol aller-retour dans la journée Paris - La Haye pour admirer l’exposition de ce peintre que j’ai bien sûr revu plus récemment au Louvres. J’apprécie aussi les impressionnistes avec en tête Monet, pour moi un des précurseurs de l’art abstrait, il y a d’ailleurs eu récemment à la fondation Vuitton une magnifique rétrospective Monet -Joan Mitchell. J’ajouterais Cézanne, Matisse Braque, Picasso à cette liste, je ne peux les citer tous et pour les artistes actuels j’ai une admiration particulière pour Gerhard Richter et Anselm Kiefer. La barre est trop haute pour oser s’en inspirer !

 

AO News : Joël, comment as-tu eu l’idée de l’illustration très sophistiquée de notre couverture pour les jeux olympiques ?

J.I. : les amateurs reconnaîtront sans doute une filiation avec Sonia Delaunay, née Sophie Stern, une artiste venue de l’Est un peu comme mes ancêtres. Quand André m’a proposé de travailler sur la couverture pour le numéro des jeux de Paris, avec le symbole des cercles olympiques entrecroisés les uns dans les autres, j’ai de suite pensé à ceux de Sonia Delaunay immédiatement reconnaissables, j’ai donc essayé de les réinterpréter, j’espère que le résultat est à la hauteur des souhaits du comité de rédaction.

 

AO News : Joël, tu n’es pas seulement artiste peintre maintenant mais un passionné de littérature, tu nous livre numéro après numéro des critiques littéraires pour notre rubrique Le pivot et la dent dure, Lire Délivre sur internet. Tes coups de cœur sont souvent de bonnes pioches. Comment fais-tu ta sélection ?

J.I. : Pour la littérature, ce fut tout aussi compliqué que pour la peinture, j’ai consacré tellement de temps pour la littérature professionnelle à lire et à écrire qu’il me restait très peu de loisirs pour la vraie littérature, je me rattrape depuis quelques années. Il y a bien sûr des auteurs qu’on suit naturellement: Paul Auster dont je viens d’apprendre la disparition, avec une grande tristesse, au moment où j’écris ces lignes, Karine Thuil, Agnès Desarthe, quelques philosophes BHL, Finkielkraut, Luc Ferry, Irving Yalom et tant d’autres que je ne peux citer, la liste serait trop longue. Pour le choix je me fie souvent à la 4ème de couverture ou aux critiques de « confrères ». J’écoute également les conseils d’amis dont je connais les goûts proches des miens. Je suis souvent les conseils de Gérard Collard mon libraire préféré dont la librairie la Griffe Noire à Saint- Maur-des-Fossés est un modèle du genre. Il m’a fait connaître par exemple Isabelle Duquesnoy pour L’embaumeur et La Pâqueline dont j’ai fait la critique dans ces colonnes, et que je vous recommande à nouveau. J’ai habité pendant des années non loin de cette librairie, je la suis maintenant sur internet.