Introduction
Depuis plus d’une cinquantaine d’années, les études portant sur les taux de succès moyens des traitements endodontiques orthogrades montrent des taux de succès constants. Malgré les évolutions technologiques simplifiant les thérapeutiques endodontiques, le taux de succès moyen se situe aux alentours de 85%. En 2011, Domenico Ricucci présente un taux de succès à 5 ans de 88,6% avec des échecs plus fréquents lorsqu’une LIPOE est présente, ainsi qu’au niveau des molaires mandibulaires (1).
La cause de ces échecs est unique, elle est due à une persistance bactérienne. La persistance de ces bactéries pathogènes peut être expliquée par plusieurs facteurs inhérents à la structure même de la dent. Si les variations de l’anatomie canalaire ne sont pas prises en compte, un canal ou une portion canalaire non traités constituent une source d’échec potentiel. Récemment, les études menées au micro-CT révèlent la complexité de l’anatomie canalaire des dents postérieures et l’impossibilité d’instrumenter l’intégralité des parois(2). Les isthmes sont un exemple des zones inaccessibles à l’instrumentation, fréquemment rencontrés au niveau des racines mésiales des molaires mandibulaires notamment (3).
La forme étroite des canaux contribue à complexifier la désinfection : du fait des forces de tension superficielle, une bulle de gaz peut se former au tiers apical et empêcher les solutions d’irrigation d’entrer en contact avec les parois canalaires (4). La structure poreuse de la dentine s’avère par ailleurs perméable aux bactéries : on constate une pénétration intra-tubulaire jusqu’à 600 µm pour E. Coli, et 1000µm pour E. Fæcalis (5). Cette pénétration augmente avec le temps, et ces bactéries ont la faculté de s’organiser en biofilm jusqu’à l’intérieur des tubulis. Ces biofilms sont composés à 85% de matrice extra-cellulaire et cette organisation confère aux bactéries une résistance accrue face aux agents antibactériens (6).
Ces bactéries entrainent alors une infection dite primaire, secondaire ou persistante selon le statut de la dent concernée (7).
Quels moyens d’action pour le praticien?
Pour lutter contre ces infections, le chirurgien-dentiste dispose de l’instrumentation mécanique, de l’irrigation et des médications temporaires.
L’irrigation endodontique a donc la charge de lutter contre les micro-organismes, mais son rôle est multiple : participer à la lubrification pour le passage instrumental, l’évacuation des débris, la dissolution de la matière organique et de la smear layer, et le nettoyage des zones inaccessibles à l’instrumentation.
L’hypochlorite de sodium, une solution incontournable
Pour remplir cette multitude de missions, les solutions d’irrigations doivent rassembler des propriétés organolytiques, antimicrobiennes et chélatantes.
La solution d’irrigation la plus communément répandue est l’hypochlorite de sodium (NaOCl). Cette molécule a une efficacité antimicrobienne avérée, est capable de dissoudre le tissu organique, possède un pouvoir lubrifiant pour l’instrumentation et a l’avantage d’être peu couteuse (8). Son efficacité augmente avec le degré de chlore actif de la solution (exprimé en pourcentage), mais est à contrebalancer avec les effets indésirables potentiels (cytotoxicité). Le pH des solutions à usage endodontique est habituellement situé autour de 12.
L’hypochlorite de sodium se décompose rapidement au contact du tissu organique et on observe alors un dégagement gazeux. Cette décomposition instantanée implique un renouvellement permanent de la solution pour maintenir son efficacité. Une durée d’action d’au moins 30 minutes avec une solution concentrée à 1% au minimum est décrite comme nécessaire pour obtenir une action significative sur les biofilms bactériens(9). En France, la Haute Autorité de Santé recommande l’usage d’une solution de NaOCl concentrée à 2,5% (10). La chlorhexidine est une autre solution antiseptique disponible sur le marché, mais elle ne possède pas d’activité organolytique. Son action est donc insuffisante pour pouvoir remplacer l’hypochlorite de sodium lors d’un traitement endodontique conventionnel (9). Cette molécule peut cependant être utile pour la désinfection d’un apex immature ou d’une perforation.
La smear layer, une problématique à prendre en compte
Lors de la préparation canalaire les instruments mécaniques créent un enduit pariétal recouvrant les parois instrumentées. Cet enduit appelé boue dentinaire (ou smear layer) est composé de débris dentinaires, résidus pulpaires et bactériens. Sa présence nuit à la qualité de la désinfection (11) et de l’obturation canalaire(12). L’utilisation d’une solution d’irrigation chélatante est nécessaire pour éliminer cet enduit pariétal.
Deux possibilités s’offrent au praticien : la réalisation d’un rinçage final d’EDTA ou acide citrique après la préparation canalaire, ou bien l’adjonction d’acide étidronique à la solution d’hypochlorite de sodium pour l’irrigation tout au long du traitement canalaire (chélation continue). Cette deuxième solution est décrite comme aussi efficace que la première (13) sur l’élimination des débris minéraux, et permettrait de limiter les effets délétères de l’irrigation sur l’état de surface de la dentine (14). L’utilisation d’une solution d’irrigation unique va dans le sens d’une simplification des procédures, et l’adjonction d’acide étidronique ne semble pas altérer l’efficacité antimicrobienne et organolytique de l’hypochlorite de sodium (15).
Amener les solutions à l’apex, le facteur déterminant
Tout autant que le choix des solutions d’irrigation, la manière de les distribuer dans l’espace canalaire importe : dans un système clos comme un canal, l’accès au tiers apical peut être complexe (4). Pour atteindre l’apex, il est important de créer un courant pour les solutions d’irrigation. Ce courant permet d’éliminer les particules et de maximiser l’interaction entre la paroi canalaire et la solution. Il est important d’adapter le choix de l’aiguille d’irrigation pour pouvoir l’amener à 2mm de la longueur de travail (16). Une piste intéressante pour la désinfection des canaux courbes est l’embout flexible Irriflex, (Produits Dentaires SA).
L’activation des solutions d’irrigation à la fin de la préparation canalaire permet de potentialiser leur distribution : qu’elle soit manuelle, sonore, ultrasonore, mécanique ou laser, l’activation permet une meilleure conduction des solutions à la longueur de travail (17). Même si l’effet in-vivo sur la guérison apicale n’est pas prouvé, le bénéfice sur le nettoyage canalaire a bien été mis en évidence et cela ne peut que participer à atteindre l’objectif de guérison in fine.
Conclusion
Si certains échecs endodontiques sont inévitables, l’origine infectieuse des pathologies péri-apicales implique de concentrer nos efforts sur la désinfection canalaire et l’asepsie durant nos gestes opératoires. La notion de temps et de renouvellement de l’irrigation est primordiale. C’est en adaptant le matériel et les techniques d’irrigation à chaque situation clinique qu’il sera possible d’améliorer nos taux de succès.
Bibliographie :
1. Ricucci D, Russo J, Rutberg M, Burleson JA, Spångberg LSW. A prospective cohort study of endodontic treatments of 1,369 root canals: results after 5 years. Oral Surg Oral Med Oral Pathol Oral Radiol Endodontology. déc 2011;112(6):825‑42.
2. Chávez de Paz LE, Ordinola-Zapata R. Challenges for root canal irrigation: microbial biofilms and root canal anatomy. Endo EPT. 2019;13(2):91‑100.
3. Villas-Bôas MH, Bernardineli N, Cavenago BC, Marciano M, del Carpio-Perochena A, de Moraes IG, et al. Micro–Computed Tomography Study of the Internal Anatomy of Mesial Root Canals of Mandibular Molars. J Endod. déc 2011;37(12):1682‑6.
4. Tay FR, Gu L sha, Schoeffel GJ, Wimmer C, Susin L, Zhang K, et al. Effect of Vapor Lock on Root Canal Debridement by Using a Side-vented Needle for Positive-pressure Irrigant Delivery. J Endod. avr 2010;36(4):745‑50.
5. Wang Z, Shen Y, Ma J, Haapasalo M. The Effect of Detergents on the Antibacterial Activity of Disinfecting Solutions in Dentin. J Endod. juill 2012;38(7):948‑53.
6. HAAPASALO M, Shen YA, RICUCCI D. Reasons for persistent and emerging post-treatment endodontic disease. Endod Top. 2008;18(1):31‑50.
7. Haapasalo M, Shen Y. Current therapeutic options for endodontic biofilms. Endod Top. 2012;22(1):79‑98.
8. Zehnder M. Root Canal Irrigants. J Endod. mai 2006;32(5):389‑98.
9. del Carpio-Perochena AE, Bramante CM, Duarte MAH, Cavenago BC, Villas-Boas MH, Graeff MS, et al. Biofilm Dissolution and Cleaning Ability of Different Irrigant Solutions on Intraorally Infected Dentin. J Endod. août 2011;37(8):1134‑8.
10. Saint-Pierre F. Traitement endodontique - Rapport d’évaluation technologique. Haute Autorité de Santé; 2008 sept.
11. Wang Z, Shen Y, Haapasalo M. Effect of Smear Layer against Disinfection Protocols on Enterococcus faecalis–infected Dentin. J Endod. nov 2013;39(11):1395‑400.
12. Nischith K, Srikumar G. Effect of smear layer on the apical seal of endodontically treated teeth : A ex-vivo study. J Contemp Dent Pract. janv 2012;13(1):23‑6.
13. Paqué F, Rechenberg DK, Zehnder M. Reduction of Hard-tissue Debris Accumulation during Rotary Root Canal Instrumentation by Etidronic Acid in a Sodium Hypochlorite Irrigant. J Endod. mai 2012;38(5):692‑5.
14. Lottanti S, Gautschi H, Sener B, Zehnder M. Effects of ethylenediaminetetraacetic, etidronic and peracetic acid irrigation on human root dentine and the smear layer. Int Endod J. avr 2009;42(4):335‑43.
15. Tartari T, Guimarães BM, Amoras LS, Duarte MAH, Silva e Souza PAR, Bramante CM. Etidronate causes minimal changes in the ability of sodium hypochlorite to dissolve organic matter. Int Endod J. avr 2015;48(4):399‑404.
16. Boutsioukis C, Lambrianidis T, Verhaagen B, Versluis M, Kastrinakis E, Wesselink PR, et al. The Effect of Needle-insertion Depth on the Irrigant Flow in the Root Canal: Evaluation Using an Unsteady Computational Fluid Dynamics Model. J Endod. oct 2010;36(10):1664‑8.
17. Susila A, Minu J. Activated Irrigation vs. Conventional non-activated Irrigation in Endodontics – A Systematic Review. Eur Endod J. 2019;(3):96‑110.