Le sculpteur, la comtesse et la piéta……
Il est des romans que l’on quitte à regret… Encore quelques pages, s’il vous sied, Monsieur l’auteur pour que le rêve, l’évasion et l’émotion perdurent. Veiller sur elle est de ceux-là, attachant, touchant enlaçant. Faire la critique d’un prix Goncourt c’est comme diner dans un trois étoiles, on sait d’avance que le repas va faire danser nos papilles, elles espèrent toutefois être surprises. Il y a néanmoins, en gastronomie comme en littérature, des exceptions, notamment le Goncourt de l’année dernière qui m’est tombé des mains, les autobiographies larmoyantes me dépriment. Je lui ai préféré, de très loin, le prix de l’académie française (Le mage du Kremlin) dont je vous avais donné ma critique dans un précèdent numéro. Je m’enorgueillis au passage, ma modestie dusse-t-elle en souffrir, d’avoir prédit ce nouveau prix bien avant les résultats, de même que L’Anomalie en 2020 !!
Le roman débute en 1986, Mimo est au crépuscule de sa vie. Il n’a pas prononcé ses vœux mais il vit reclus depuis quarante ans dans un monastère dont il ne sortait que rarement. Il nous raconte sa vie : J’étais jeune, mes jours étaient beaux. Je ne mesure qu’aujourd’hui ce que la beauté du jour doit à la préscience de la nuit. Nous le suivons dans son récit depuis sa naissance dans une famille modeste, le même jour que Viola, en 1904. Mais au grand jeu du destin, Mimo a tiré les mauvaises cartes. Né pauvre, il est confié par sa mère en apprentissage, dans le petit village de Pietra D’Alba en Ligurie, à son oncle Alberto, un sculpteur de pierre alcoolique et sans envergure qui le martyrise. Les ouvriers de l’atelier qui préparent les pierres pour les sculpteurs le traitent de nabot car il est atteint de nanisme. Mais il a du génie entre les mains, Mimo est son surnom, son père, Vitaliani, lui aussi sculpteur, l’a prénommé Michelangelo par admiration envers il maestro Michelangelo Buonarroti (Michel-Ange). Mimo le rejoindra dans le génie de la sculpture.
Toutes les fées ou presque se sont penchées sur Viola Orsini. Héritière d'une famille noble et prestigieuse, elle a passé son enfance à l'ombre d'un palais génois. Ces deux-là n'auraient jamais dû se rencontrer. Et pourtant, ils ne sont encore que des enfants mais au premier regard ils se reconnaissent et se jurent de ne jamais se quitter. Ils se retrouvent à la nuit tombée dans le cimetière du village, Viola veut communier avec les morts mais Mimo est pétrifié par la peur. Dans le cimetière… De splendides mausolées côtoyaient des sépultures plus humbles et célébraient la toute-puissance de leurs habitants, lesquels avaient pourtant perdu ce qu’ils avaient de plus précieux. La contradiction ne dérangeait personne. Les morts sont de mauvaise foi.
Viola et Mimo ne peuvent ni vivre ensemble, ni rester longtemps loin de l'autre. Liés par une attraction indéfectible, comme deux aimants qui s’attirent et se repoussent successivement. On suit Mimo, gamin qui veut sa revanche sur la vie, mais son ascension est douloureuse. Il échoue sur le trottoir, fait de basses besognes dans un cirque, il sombre dans l’alcool jusqu’au moment où le destin lui donne sa chance avec une commande chez les Orsini. Il traverse des années de fureur quand l'Italie bascule dans le fascisme.
C’est un roman habité avec ce souffle romanesque des grands classiques du 19ème . On ne nage pas dans l’eau de rose, Viola est dotée d’une personnalité très forte, avec une mémoire phénoménale qui lui permet de se remémorer tout ce qu’elle a lu dans la bibliothèque de son père, pour le transmettre à Mimo, adolescent, qui va ainsi faire son éducation. Mimo, malgré son handicap est convaincu de son talent, il ne recule devant aucune compromission, même avec le fascisme pour réussir. Son chef-d’œuvre ultime est magistral, une piéta qui se veut l’égale de celle de Michel-Ange. Exposée au Vatican, elle sera finalement cachée au public par la congrégation du Saint-Office (qui ne remplacera qu’en 1908 seulement, l’inquisition !!) car sa contemplation provoque une sidération chez de nombreux fidèles. Une sculpture si belle soit-elle ne peut faire concurrence au divin !
La Piéta de Michelangelo, rapproche du divin. Elle est possédée, oui, mais de la présence divine. Mimo a suivi les conseils de son maître : "Imagine ton œuvre terminée qui prend vie. Que va-t-elle faire ? Tu dois imaginer ce qui se passera dans la seconde qui suit le moment que tu figes, et le suggérer. Une sculpture est une annonciation. "
Un grand roman, une écriture fluide et poétique, les œuvres d’art, les paysages, les décors des palais, il y a tout pour l’évasion. La fin est tout aussi magnifique et inattendue. Veiller sur elle mais surtout veillez à ne pas manquer ce Goncourt.