La Belle Époque

Histoire intime de la Ve République

AO News #57 - Mars / Avril 2023


Histoire intime de la Ve République La Belle Époque
Franz Olivier Giesbert | Éditions Gallimard
Souvenirs, souvenirs, je vous retrouve en mon coeur… (J. Hallyday)
Je me ramentevois…

 

F.O. Giesbert nous propose, après Le Sursaut en 2021, le deuxième volet de sa trilogie. Bien plus que journaliste, il fait œuvre de témoin des Trente Glorieuses, le bon temps. Sous le signe — très masculin — de Pompidou, Giscard, Chirac, Mitterrand, Barre, Rocard, Sartre et Mao, elles furent à la fois insouciantes, bourgeoises et révolutionnaires. Grâce à son talent d’écrivain, (grand prix de l’Académie Française en 1992 pour L’affreux), F.O.G. fut la plume de Mendes-France, de Pierre Mauroy et d’une bonne partie du QG de campagne de la gauche mitterrandienne en 1981. Il avait table et cerveau ouverts à l’Elysée ou à Matignon auprès de Giscard, Chirac ou Mitterrand durant cette belle époque. C’est dire si ces conversations intimes, dont la plupart jamais publiées, avec les piliers de la politique des années 70/80 nous enseignent sur l’histoire de cette période, et la lente et inéluctable dégradation que nous vivons depuis. Les événements, les situations actuelles sont invariablement la résultante de l’histoire récente ou plus ancienne. Certains coupent, aujourd’hui, des têtes (heureusement virtuellement) en références à 1793 !! Dans la foulée du sursaut gaullien, la France est portée par une croissance économique incroyable. Mais après avoir été frappée par deux chocs pétroliers très violents, elle a peiné à relever les défis qui se posaient : l’urgence écologique, le début de la désindustrialisation et du chômage, l’immigration, la perte de l’autorité et des repères… Tous les germes étaient à l’œuvre, à bas bruit, au cours de ces années-là.

 

Des grandes figures de cet ouvrage, on retiendra G. Pompidou qui succéda à De Gaulle. Il gardera longtemps l’amertume d’avoir été viré par le grand Charles du poste de premier ministre après les événements de 68. F.O.G. remarque très justement : Les grands hommes font deux catégories de victimes : leurs enfants et leurs successeurs. Certes les grands hommes le doivent plus à l’histoire ou aux circonstances qu’à leur volonté, mais Pompidou marquera néanmoins les Trente Glorieuses en prolongeant l’œuvre du Général avec une industrialisation exemplaire de la France et une croissance à deux chiffres qui ferait pâlir d’envie notre Mozart de la finance actuel. Vint ensuite le règne de Valery Giscard D’Estaing, dont on peut résumer la personnalité avec les mots de De Gaulle, qui après une prestation télévisuelle de Giscard, dit à son fils Philippe : Il dépasse tout le monde de cent coudées, mais il le fait trop voir. Quand on a une pareille envergure, il faut toujours donner aux gens l’illusion qu’ils sont au moins aussi intelligents que vous. Giscard ne vous rappelle-t-il pas un président plus actuel ? En fait Giscard, malgré ses démonstrations d’accordéon et ses veillées au coin du feu dans les chaumières de français choisis au hasard, ne sera jamais en phase avec les gaulois réfractaires. Toute ressemblance avec ….. Du couple Giscard –Chirac on retiendra la communauté réduite aux aguets. Le divorce suivra rapidement mais il faut reconnaître à Giscard et à Raymond Barre la maîtrise exemplaire de l’économie, malgré deux chocs pétroliers, la continuation de l’industrialisation de la France, notamment avec le nucléaire, jusqu’au grand toboggan des années mitterrandiennes. F.O.G. fut très proche de Mitterrand, avec une certaine admiration pour l’homme, mais avec une grande lucidité sur son action politique et sur tous les courtisans qui l’entouraient. Les erreurs commencent dès 81 avec une loi d’amnistie qui permettra de libérer Jean-Marc Rouillan, le chef historique d’Action Directe ainsi qu’une quinzaine de ses militants. Résultat, cinq ans après, quatre-vingts attentats et au moins douze personnes assassinées par Rouillan et ses acolytes. Errare humanum est, perseverare diabolicum : Mitterrand et le camp du bien derrière lui refuseront d’expulser Cesare Battisti, responsable de quatre meurtres en Italie au nom des Brigades Rouges, pendant les années de plomb. Tout cela ne serait que détail de l’histoire face à la retraite à soixante ans ou aux trente-cinq heures dont nous payons encore aujourd’hui la facture. Les socialistes toujours en pointe dans le combat vertueux et moralisateur, ont souvent la mémoire courte. Le 10 juillet 1940, ils furent 90 contre 36, avec les élus de la droite et du centre, à voter les pleins pouvoirs à Pétain. Et c’est un homme considéré à droite, Jacques Chirac, qui reconnut en 1995 la responsabilité de la France dans les crimes de Vichy, ce que François Mitterrand s’était toujours refusé de faire. Dans ce livre que j’ai savouré comme un roman, tant les héros en transcendaient toutes les fictions, truffé d’anecdotes et de citations, j’en retiens une règle morale, que je tente de faire mienne : Il n’y a de vérité que dans la contradiction. F.O.G. rend ainsi hommage à Jean Daniel et Jacques Julliard, avec qui il a collaboré au Nouvel Observateur, qui essayaient toujours d’analyser les évènements avec un regard critique, même si Jean Daniel parfois préférait avoir tort avec Sartre que raison avec Aron.

 

Il me revient en mémoire cette citation de Nietzche : Ce n’est pas le doute, c’est la certitude qui rend fou. Ainsi F.O.G. n’hésite pas à déboulonner la statue de Sartre, ce en quoi je pourrais l’aider. Sartre ce Fouquier-Tinville du Café de Flore … que j’ai détesté à ce point. …. A la rentrée en 1941, il a repris sans honte, en tant que titulaire, le poste du professeur juif Henri Dreyfus Le Foyer que la législation antijuive de Vichy avait exclu de l’enseignement. M. Onfray (L’art d’être français dont je vous avais fait la critique) en a la même détestation. Le même Sartre, qui dans un article de La Cause du Peuple, se livra à un vibrant éloge de la prise d’otages et de l’assassinat des 17 athlètes israéliens, par l’organisation Septembre Noir pendant les JO de Munich (1972). Pour tous les maoïstes l’appel au meurtre est d’une constante banalité. F.O.G. nous rappelle d’ailleurs que la Révolution culturelle (maoïste), aura été de loin la plus meurtrière : entre 45 et 80 millions de morts, Staline étant responsable de 20 millions de morts et de 28 millions de déportations. Quant au nazisme, il a exterminé, lui, 12 millions de personnes. Certains revendiquent néanmoins, à mon grand étonnement et sans honte, l'étiquette communiste.

 

De la belle époque à notre triste époque, on pourrait disserter à l’envi de la médiocrité et de la vulgarité du débat politique actuel : entre un président qui veut emmerder des français, un ministre qui évoque la bordélisation du pays, (la chienlit eut été une référence plus Gaullienne et d’un autre panache), une opposition qui chante la Carmagnole, ou, au moment où j’écris ces lignes, un ministre qui plus est Garde des Sceaux, fait 3 bras d’honneur en pleine Assemblée... On n’a pas touché le fond, on a creusé au-delà ! Et que dire d’une presse bien-pensante qui traite de fasciste tous ceux qui ne sont pas dans la doxa dominante. La loi de Godwin* est devenue la règle. Faut-il rappeler ce qu’étaient les régimes d’Hitler, Mussolini ou Franco à tous ces c… qui osent cette comparaison, mais comme l’affirmait Audiart : Les c… ça osent tout, c’est même à ça qu’on les reconnait. Avec un peu plus de profondeur, comme le disait Elie Wiesel : Ceux qui ne connaissent pas l’histoire s’exposent à ce qu’elle recommence.

 

*La loi de Godwin est une loi empirique énoncée en 1990 par Mike Godwin, d'abord relative au réseau Usenet, puis étendue à Internet : Plus une discussion en ligne se prolonge, plus la probabilité d’y trouver une comparaison impliquant les nazis ou Hitler s’approche de un.

 

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