Pêcheur De Perles

Alain Finkielkraut - Ed. Gallimard

AO News #68 - Septembre 2024


 

Chasseur de vérités ...

 

Il est des livres dont on sort en ayant l’impression d’être plus intelligent, avec des sentiments, des sensations, des impressions, des convictions que l’on retrouve là sous nos yeux, écrites simplement, comme une évidence et auxquelles on adhère en se disant : pourquoi ne les ai-je pas couchés sur le papier avant ?

Il y aura certes des grincheux qui refuseront par principe d’ouvrir un livre d’Alain Finkielkraut, considéré comme un affreux « réac » indécrottable, car désormais émettre le moindre doute sur le wokisme, le néo féminisme ou le mondialisme vous classe catégoriquement et irrémédiablement à l’extrême droite. Si l’amour de la culture, de la littérature, de l’histoire, du « monde d’avant » fait de vous un vieux réac, je veux bien assumer d’en être un, même si je m’interroge sur le qualificatif de vieux !

Alain Finkielkraut s’est plongé dans ses carnets de citations, pour y pécher ses fameuses perles accumulées pieusement depuis plusieurs décennies. Arendt, Kundera, Levinas, Valéry, Canetti, Tocqueville, Nietzsche, Thomas Mann, Virginia Woolf ont été quelques-uns de ses guides Il a ainsi tiré de ce vagabondage une réflexion sur des sujets aussi différents que l’amour, la mort, les avatars de la civilité, le destin de l’Europe, la fragilité de l’humour et le monde comme il va et surtout comme il ne va pas. 

Sur chacun de ces sujets le regard d’A. Finfielkraut est toujours bienveillant, l’humour est constamment présent.                          Sur la courtoisie, par exemple : Un nouveau bonjour a fait son apparition dans l’espace communicationnel : le bonjour égalitaire, indifférencié, pétulant des courriels ; le bonjour électronique et sans façon qui supprime d’un seul coup toutes les nuances et tous les échelonnements de nos anciennes pratiques épistolaires : Madame, Monsieur, chère Madame, cher Monsieur, cher ami, mon cher ami ……Ce bonjour au goût du jour n’est pas une adresse à l’Autre, c’est une irruption du moi. Ce n’est pas un chevalier, c’est un gougnafier. Il n’accueille pas, il déboule ; il ne s’incline pas, il s’invite ….. Il ne salue pas, il klaxonne.  Sa diatribe sur le qualificatif « sympa » que l’on utilise à tous propos,  que ce soit d’un livre de Kundera ou du dernier restaurant à la mode, est irrésistible. 

Sur la culture, A. Finkielkraut cite Cynthia Ozick : Où que vous soyez au monde, vous êtes européen quand vous êtes en train de lire.  Mais il fait malheureusement ce constat :  La démocratie, parvenue à son stade ultime, ne supporte plus aucune forme de transcendance. Après la sortie de la religion, voici venu le temps de la sortie de la culture. Le « chacun ses goûts » a eu raison des valeurs suprêmes.  Notre grand président n’a-t-il pas déclaré qu’il n’y avait pas de culture française. L’histoire de la photographe Sophie Calle  et de l’écrivain Gregoire Bouillier est de ce point de vue exemplaire. Ainsi G. Bouillier écrivit une lettre de rupture pour mettre fin à leur couple. S. Calle n’a pas eu la douleur intime, elle a demandé à des dizaines de femmes, écrivaines, sociologues, philosophes, psychologues etc… d’analyser cette lettre pour en faire une œuvre collective. Bien entendu, toutes ont trainé l’auteur de la missive plus bas que terre.                                                                                                          Ainsi vont l’art d’après la mort de l’art et l’intelligence de la vie sous le règne de la collectivisation des destins. A peine conquis le droit d’être dissemblable et de vivre à la première personne, les nouvelles féministes choisissent de se fondre dans la forme compact du nous : me too, moi aussi… La singularité des expériences est remplacée par la globalité de la domination et la chambre à soi par l’immense appartement communautaire de la sororité.

 J’ai une petite anecdote personnelle à propos de S. Calle. Nous visitions il y a quelques années avec mon épouse, photographe talentueuse à ses heures, le musée d’art moderne de Nîmes, quand, dans une salle consacrée à la photographie, nous nous arrêtâmes devant une présentation de Sophie Calle. Il s’agissait de plusieurs dizaines de clichés argentiques en noir et blanc, au format 10X10 cm avec cette bordure blanche caractéristique de ces années « d’avant le numérique ». Nous dissertions à haute voix sur la banalité de ces photos de vie quotidienne sans charme ni intérêt particulier. La conservatrice du musée qui se trouvait juste à côté,  nous a presque insulté, incultes que nous étions de ne pas admirer à sa juste valeur la grande Sophie Calle.                                                                                                                                                                                

Sur l’éducation, A. Finkielkraut cite Condorcet :  les peuples libres ne connaissent d’autres moyens de distinction que les talents et les vertus. Plus aucun spécialiste en pédagogie, aucun parti politique, aucun ministre n’aurait l’idée de parler ainsi, observe l’auteur. Pour lui un livre a creusé l’abîme Les Héritiers de Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron :  Les deux auteurs démontrent, statistiques à l’appui, que les examens et les concours ne mettent pas fin à la cooptation : ils la mettent en œuvre. Sous couleur de promouvoir le mérite, la sélection transmue l’héritage social en grâce individuelle. 

 L’égalitarisme est désormais la norme. J’associerais pour ma part, un autre grand responsable du déclin de l’éducation scolaire : Françoise Dolto et son mythe revendiqué de «L’enfant-roi » et autres billevesées comme le bien-être de l’enfant comme vertu cardinale de l’éducation où l’échange entre enseignant et enseigné est sur un pied d’égalité.                                                                             

Ayant enseigné pendant un certain nombre d’années, en dehors des relations humaines, je n’ai que très rarement appris de mes étudiants, que ce soit des données de sciences fondamentales ou de pratiques cliniques de notre art. La plongée dans les profondeurs du classement Pisa de la France scolaire ne peut me donner tort, et qui plus est, pourquoi apprendre des maitres puisque tout est disponible, en instantanée, sur internet !

Je ne suis pas un grand lecteur d’ouvrages de philosophie, j’ai néanmoins été littéralement enthousiasmé à la lecture des romans d’Irving Yalom : Le Problème Spinoza, Et Nietzsche a pleuré ou La Méthode Schopenhauer que je te recommande, fidèle lecteur, comme initiation à ces grands philosophes. Ce Pécheur de Perles est considéré par beaucoup comme un des meilleurs livres d’Alain Finkielkraut qui se baptise Grand-papa Ronchon pour évoquer l’écologie et à qui je laisse le dernier mot :  Quand le citoyen écologiste prétend poser la question la plus dérangeante en demandant : Quel monde allons nous laisser à nos enfants ? Il évite de poser cette autre question réellement dérangeante : à quels enfants allons nous laisser notre monde.  N’est-ce pas Greta ?!

 

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