Empreinte primaire numérique en prothèse amovible complète : déjà une réalité ?

Lucie Lecot, Claudine Wulfman, Lucien Dupagne, Christophe Rignon Bret

le Dossier du mois : Prothèse 2.0 - AO News #57


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Introduction

 

L’empreinte primaire est le premier acte clinique dans la réalisation d’une prothèse amovible complète (PAC). Son objectif est d’enregistrer sans compression ni déformation l’ensemble des surfaces d’appui dans une situation de repos (1). Sur le modèle issu de cette empreinte est réalisé le Porte-Empreinte Individuel (PEI) pour l’empreinte secondaire fonctionnelle.

Classiquement l’empreinte primaire est mucostatique. Le matériau d’empreinte employé est soit le plâtre à empreinte de type I, soit l’alginate (1). Cependant, l’essor de la technologie numérique ouvre la possibilité de réaliser cette empreinte avec un scanner intra-oral. Ainsi matériaux d’empreinte, technique empreinte et modèle physique sont remplacés par scanner intraoral, chemin de scannage et fichiers STL. De plus, l’empreinte numérique permet de supprimer tout risque de compression, de déformation et les erreurs liés au traitement des empreintes physico-chimique. L’objectif de cet article est d’évaluer si l’empreinte primaire numérique peut actuellement se substituer à l’empreinte physico-chimique. Les empreintes secondaires ne sont pas traitées dans cet article car ce sont des empreintes fonctionnelles qui nécessitent l’enregistrement des limites fonctionnelles des bords de la future prothèse, obtenus par des mouvements dynamiques de la musculature périphérique. Les joues, les lèvres, le plancher de la bouche sont composés de tissus non adhérents et mobiles, pour lesquels la numérisation intra-orale n’est pas encore adaptée. En effet, les scanners intra-oraux ne permettent pas d’enregistrer les limites fonctionnelles sans risques de sur-extensions ou sous-extensions avec par conséquent l’obtention de prothèses moins rétentives (2).

 

Problématique de l’empreinte numérique

 

Les avantages et inconvénients

 

L’utilisation de l’empreinte numérique comme empreinte primaire présente de nombreux avantages.

 

Pour le patient :

  • plus confortable et plus rapide pour le patient : diminution du réflexe nauséeux et de l’inconfort du patient (3–5)
  • propreté/hygiène : évite les résidus de matériaux ;
  • plus facile à mettre en œuvre chez les patients en situations de handicap.

Pour le praticien :

  • enregistrement d’un véritable état mucostatique (3,6) ;
  • absence d’utilisation de matériaux d’empreinte consommables ;
  • meilleure accessibilité en cas de limitation d’ouverture buccale car la caméra est plus petite que les porte-empreintes du commerce (3,7,8) ;
  • pas de nécessité de décontaminer des empreintes ;
  • possibilité de partager les résultats avec d’autres professionnels rapidement.

Pour le laboratoire :

  • transmission des informations par internet avec réception quasi-immédiate du modèle numérique ;
  • gain de temps et de coûts en diminuant les contraintes logistiques sans gestion coursiers, d’emballage, de traitement et de coulée de l’empreinte etc… ;
  • pas d’erreur lors du traitement de l’empreinte ;
  • captation de la couleur ce qui permet de visualiser l'extension postérieure de la base maxillaire de la prothèse. (7)

Il existe tout de même des inconvénients.

  • La technique est opérateur-dépendante et demande une courbe d’apprentissage.
  • Elle nécessite des caméras intra-orales de dernière génération. A noter que cela demande une mise à jour des logiciels ainsi qu’une calibration régulière de la caméra (9).
  • L’empreinte est parfois plus longue à réaliser que l’empreinte conventionnelle dans notre expérience.
  • La technique n’est pas disponible dans tous les cabinets car l’acquisition d’une caméra intra-orale est onéreuse, et nécessite l’équipement adéquat de son prothésiste.
  • Difficulté à enregistrer certaines zones notamment à la mandibule en fonction des degrés de résorption.

Les organes para-prothétiques sont constitués d’une muqueuse libre et mobile tels que le vestibule, les lèvres les joues, la langue, le plancher buccal. Ce sont des zones difficiles à enregistrer lors de la prise d’empreinte. En effet, leur mobilité durant l’empreinte entraîne des erreurs de superposition entre les images ce qui rend impossible leur recalage par le logiciel de la caméra. Les zones les plus difficiles à enregistrer sont les tubérosités et les limites linguales. Les volets linguaux sont notamment difficiles à enregistrer car ce sont des zones postérieures, souvent en contre-dépouille avec un espace inter-arcade limité. De plus, le volume et les mouvements de la langue associés à la dimension de la caméra incommodent le patient (3,4,6,10). Pour contourner ces difficultés, il faut donc écarter et immobiliser ces tissus mous périphériques avec l’utilisation d’un écarteur photographique ou un Optragrate® (Ivoclar-Vivadent). A la mandibule, du côté lingual, un miroir dentaire en plastique pour éviter la réflexion ou deux abaisse-langues sont avantageusement utilisés pour stabiliser le plancher lingual et écarter la langue.

 

La numérisation intra-orale repose sur le principe de recalage d’images successives grâce à la superposition de zones communes (11). Cette superposition est facilitée par la présence de reliefs complexes tels que les dents. L’absence de formes discriminantes augmente le risque d’erreur de recalage et peut diminuer la qualité finale du modèle numérique (12).

 

Résultats de l’analyse de la littérature

 

Une analyse de la littérature a été réalisée sur la base de données Pubmed (Fig. 1).

Elle montre que si les empreintes primaires numériques sont satisfaisantes au maxillaire, les résultats sont plus controversés à la mandibule. Plusieurs auteurs rapportent l’absence de différence significative entre empreinte numérique et empreinte physico-chimique sur l’enregistrement des arcades édentés maxillaires (4,10). Plus spécifiquement, l’empreinte numérique n’est pas compressive au niveau de la surface d’appui (13).

Le succès de l’empreinte numérique est opérateur-dépendant avec une courbe d'apprentissage longue. Quelques procédures pourraient faciliter et améliorer la qualité de l’enregistrement comme la mise en place de repères et/ou la gestion de la mobilité des tissus périphériques.

Mise en place de repères artificiels

Certains auteurs disposent des repères placés sur la fibro-muqueuse pour faciliter l’enregistrement et le recalage des images. Ces repères sont soit des plots de composite ou de ciment oxyde de zinc/eugénol de forme variées (5). Cependant l’intérêt d’ajouter des repères est controversé. Pour certains cela améliorerait l’enregistrement (4,5,14). Pour d’autres, les papilles bunoïdes suffisent au recalage au maxillaire sans l’apport de repères (6) et la seule étude traitant de la mandibule conclut que l’ajout de ces marqueurs n’améliorerait pas le résultat (6).

 

Gestion des organes para prothétiques

Plusieurs techniques ont été proposées :

  • utilisation d’un écarteur de joues utilisé lors de la prise de clichés photographiques ;
  • utilisation d’un écarteur spécifiquement créé pour les patients édenté, en forme de U, DIO Implant Co., Busan, Republic of Korea, développé par une équipe coréenne (7,15,16);
  • numérisation à 4 mains. La rétraction peut être accomplie à l'aide d'un doigt ou d'un écarteur chirurgical. A la mandibule : la langue doit être écartée du volet lingual à l'aide d'un instrument pendant l’enregistrement du sillon gingivo-lingual (6) ;
  • utilisation d’un écarteur à lèvres flexible de type OptraGate® (Ivoclar Vivadent) (4).

Stratégie du trajet de scannage

Il n’existe pas de consensus sur son influence. Pour certains auteurs le chemin de balayage aurait une influence significative sur l'exactitude de l’empreinte en termes de justesse et de précision (3,17), alors que d’autres études ne permettent pas de conclure sur ce point (18). Ainsi plusieurs chemins de scannage ont été proposés. Certains utilisent le même chemin que pour les arcades dentés en débutant au niveau des zones faitières de crête puis en passant en palatin, puis en vestibulaire au maxillaire et en vestibulaire, puis en lingual à la mandibule (3).

D’autres auteurs réalisent des chemins de scannage en zigzag en longeant la crête du côté palatin ou lingual vers le côté vestibulaire (15–17). Enfin, d’autres auteurs scannent la crête de la partie vestibulaire de distale en mésial puis le côté palatin (13).

Pour certains (4,5,7), il serait désormais possible d’obtenir une prothèse amovible complète fonctionnelle et rétentive à partir d’une empreinte numérique seule, malgré la difficulté à enregistrer les tissus mous (gencives, muqueuse et fibromuqueuse) du patient édenté complet.

 

Proposition du protocole

 

Les conditions d’enregistrement sont les suivantes : enregistrement sans scialytique, muqueuses séchées à l’aide de compresses, écartement vestibulaire avec un écarteur photographique ou un Optagrate® (Ivoclar-Vivadent).

Au maxillaire :

- aucun repère n’est nécessaire ;

- chemin de scannage avec un départ depuis une tubérosité → suivre la ligne faitière de crête → palais → vestibule

Des exemples d’empreintes primaires maxillaires ont été réalisées avec la caméra Primescan® (Dentsply Sirona) (Fig. 2), avec la caméra Medit i700® (Medit) (Fig. 3) et avec la caméra Trios® (3 Shape) (Fig. 4).

Les empreintes numériques maxillaires sont possibles et peuvent avantageusement remplacer les empreintes conventionnelles quel que soit le degré de résorption.


A la mandibule :

- du côté lingual, écartement avec un miroir dentaire en plastique pour éviter le phénomène de réfléchissement lumineux ou deux abaisse- langues. Ils ont pour objectif de stabiliser le plancher lingual et d’écarter la langue ;

- utilisation de trois repères en composite fluide. Ces trois plots sont disposés l’un de forme ovoïde à la partie médiane antérieure et les deux autres plots de 2mm de forme ovalaire dans la région canine ;

- le chemin de scannage débute depuis le plot central → plot latéral 1 → progression en lingual puis vestibulaire vers le trigone 1 → plot latéral 2 → progression en lingual puis vestibulaire vers le trigone 2.

Des exemples d’empreintes primaires mandibulaires ont été réalisées avec les caméras Primescan® (Dentsply Sirona) et caméra Trios® (3 Shape) (Fig. 5 et 6).

Conclusion

 

L’analyse de la situation clinique, le degré de résorption et l’expérience du praticien restent les points clés du succès de l’empreinte primaire numérique. Il semble que les progrès de la technologie numérique permettent aujourd’hui de réaliser des empreintes primaires numériques chez le patient édenté. Ainsi, l’empreinte primaire numérique peut se substituer avantageusement aux empreintes physiques au maxillaire, même dans les cas de forte résorption.

A la mandibule, elles sont plus délicates à obtenir en raison de la difficulté d’enregistrement des volets linguaux. L’indication est pour l’instant limitée aux situations de faible résorption osseuse, c’est-à-dire aux situations les plus favorables prothétiquement. La mise en place du protocole proposé assure une reproductibilité dans les résultats.

Au final, le champ d’indication des empreintes numériques s’élargit désormais à l’édentement complet. Il est pour l’instant possible de l’indiquer pour les empreintes primaires maxillaires, et prochainement sans doute pour les empreintes primaires mandibulaires.

 

Bibliographie

 

1. Rignon-Bret C. Prothèse amovible complète, prothèse immédiate, prothèses supraradiculaire et implantaire. Rueil-Malmaison: Editions CdP. Collection JPIO. 2002.

2. Chebib N, Imamura Y, El Osta N, Srinivasan M, Müller F, Maniewicz S. Fit and retention of complete denture bases : part II - conventional impressions versus digital scans : a clinical controlled crossover study. J Prosthet Dent 2022;S0022-3913(22)00464-4.

3. Goodacre BJ, Goodacre CJ, Baba NZ. Using intraoral scanning to capture complete denture impressions, tooth positions, and centric relation records. Int J Prosthodont 2018;31(4):377‑81.

4. Chebib N, Kalberer N, Srinivasan M, Maniewicz S, Perneger T, Müller F. Edentulous jaw impression techniques : an in vivo comparison of trueness. J Prosthet Dent. 2019;121(4):623‑30.

5. Lee JH. Improved digital impressions of edentulous areas. J Prosthet Dent. 2017;117(3):448‑9.

6. Goodacre BJ, Goodacre CJ. Using intraoral scanning to fabricate complete dentures : first experiences. J Prosthet Dent. 2018;31(2):166‑70.

7. AlRumaih HS. Clinical Applications of Intraoral Scanning in Removable Prosthodontics: A Literature Review. Journal of Prosthodontics. 2021;30(9):747‑62.

8. Kim JE, Kim NH, Shim JS. Fabrication of a complete, removable dental prosthesis from a digital intraoral impression for a patient with an excessively tight reconstructed lip after oral cancer treatment : a clinical report. J Prosthet Dent. 2017;117(2):205‑8.

9. Rehmann P, Sichwardt V, Wöstmann B. Intraoral scanning systems : need for maintenance. Int J Prosthet. 2017;30(1):27‑9.

10. Wulfman C, Bonnet G, Carayon D, Batisse C, Fages M, Virard F, et al. Digital removable complete denture : a narrative review. French Journal of Dental Medecine 2020

11. Logozzo S, Zanetti E, Franceschini G, Kilpela A, Mäkynen A. Recent advances in dental optics – Part I : 3D intraoral scanners for restorative dentistry. Optics and lasers in engineering. 2014;54:203‑21.

12. Iturrate M, Eguiraun H, Etxaniz O, Solaberrieta E. Accuracy analysis of complete-arch digital scans in edentulous arches when using an auxiliary geometric device. J Prosthet Dent. 2019; 121(3):447‑54.

13. D’Arienzo LF, D’Arienzo A, Borracchini A. Comparison of the suitability of intra-oral scanning with conventional impression of edentulous maxilla in vivo. A preliminary study. Journal of osseointegration. 2018;10(4):115‑20.

14. Fang JH, An X, Jeong SM, Choi BH. Digital intraoral scanning technique for edentulous jaws. J Prosthet Dent. 2018;119(5):733‑5.

15. Fang Y, Fang JH, Jeong SM, Choi BH. A Technique for Digital Impression and Bite Registration for a Single Edentulous Arch. J Prosthodont. 2019;28(2):e519‑23.

16. Fang JH, An X, Jeong SM, Choi BH. Development of complete dentures based on digital intraoral impressions - Case report. Journal of prosthodontic research. 2018;62(1):116‑20.

17. Hack G, Liberman L, Vach K, Tchorz JP, Kohal RJ, Patzelt SBM. Computerized optical impression making of edentulous jaws - An in vivo feasibility study. J Prosthodont Res. 2020;64(4):444‑53.

18. Passos L, Meiga S, Brigagão V, Street A. Impact of different scanning strategies on the accuracy of two current intraoral scanning systems in complete-arch impressions : an in vitro study. International journal of computerized dentistry. 2019;22(4):307‑19.

 

 

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Les empreintes numériques sont difficiles à réaliser à la mandibule et ne remplacent pas actuellement les empreintes conventionnelles. Des réserves sont émises sur l’intérêt de l’ajout systématique des plots en composite à la mandibule, ils pourraient cependant avoir un intérêt significatif dans le cas de crêtes très résorbées.