Résister n’est jamais une mauvaise idée. Il en va souvent d’un sursaut, d’une survie, d’un élan vital, d’une pulsion de vie. C’est ainsi qu’une bactérie soumise à la pression environnementale d’une substance qui cherche à lui nuire, s’adapte en résistant. Ce n’est pas ici le lieu d’une réflexion sur le hasard ou la nécessité du déterminisme bactérien, mais simplement de comprendre que résister est naturel. Tellement naturel, que la résistance est proportionnelle à l’importance de la menace. Plus la menace est forte, longue, intense, plus la résistance le sera en retour. La résistance aux antibiotiques — ou antibiorésistance — est alors définie par l’inefficacité du traitement antibiotique sur l’infection bactérienne ciblée. Et cela est tellement naturel que ce phénomène existe depuis l’invention par l’Homme des antibiotiques.
Les premières résistances à la pénicilline apparaissent en 1940. Les premières bactéries multirésistantes (BMR) apparaissent, elles, dans les années 1970, tandis que les bactéries hautement résistantes (BHRe) surgissent dans les années 2000. Selon des projections récentes de l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE), les infections résistantes aux traitements antibiotiques pourraient tuer quelque 2,4 millions de personnes en Europe, en Amérique du Nord et en Australie, entre 2015 et 2050, si l’on ne redouble pas d’efforts pour enrayer l’antibiorésistance. En France, d’ici 2050, on estime que 238000 personnes mourront des suites de l’antibiorésistance. En 2020, en Europe, plus de 800 000 personnes ont été infectées par des bactéries antibiorésis- tantes, qui ont provoqué notamment des pneumonies et des infections sanguines et intra-abdominales. La résistance aux antimicrobiens (RAM) a coûté la vie à 100 personnes par jour en Europe en 2020. Le coût de cette RAM pour les systèmes de santé en Europe est estimé à 1,1 milliard d’euros par an.
Au-delà de ces considérations microbiologiques et fi- nancières, la résistance bactérienne est aussi l’occasion de rappeler qu’il est impossible, impensable, d’imaginer l’activité humaine indépendamment de son écosystème. L’humain vit dans un écosystème avec lequel il est en co- dépendance et en interaction permanente. C’est ainsi qu’il n’existe qu’une santé et qu’une planète dans un monde dit complexe, c’est-à-dire où tout est tissé ensemble. Et lorsque l’activité humaine produit des bactéries résistantes, ces dernières diffusent dans l’eau, les sols ou les aliments. À Paris, par exemple, l’agglomération rejette dans ses eaux usées entre 40 et 100 mg de bactéries par litre, dont 30 à 50 % s’avèrent résistantes. Le taux de bactéries résistantes est encore plus important dans les eaux usées provenant des établissements de soins. La contamination des milieux par les antibiotiques, leurs résidus et les bactéries résistantes, contribue au développement de l’antibiorésistance et favorise la transmission à l’Homme.
Tout le monde est responsable de ce phénomène, dont nous, les chirurgiens-dentistes. En France, les antibiotiques que nous prescrivons ne cessent d’augmenter, de 8 à 10 % en 2016 à plus de 12 % en 2023. Plusieurs études interna- tionales révèlent par ailleurs que 66 % des prescriptions en odontologie ne sont pas indiquées, ne répondant pas à une infection avérée ou à une situation nécessitant une antibioprophylaxie. Dans le même temps, le montant de prise en charge par l’assurance maladie en 2021 pour les antibiotiques prescrits par les chirurgiens-dentistes s’élève à 42 millions d’euros. Enfin, 19 % des prescriptions en 2021 sont des molécules peu recommandées en odontologie, génératrices d’antibiorésistance (pristinamycine, doxycycline, spiramycine métronidazole). Il est urgent de rappeler que, dans ce contexte, le rôle du chirurgien-dentiste est primordial. L’antibiorésistance n’est pas une fatalité. Si la pression baisse, la résistance baissera.
Ainsi, l’on peut prévenir l’antibiorésistance par l’hygiène et la vaccination, par la prévention des infections associées aux soins, par le bon usage des antibiotiques en respectant les recommandations, et enfin par la sensibilisation des patients (par exemple la promotion d’Antibio’Malin). La mobilisation de tous est nécessaire, car tout le monde est concerné et peut agir. La cohérence des messages et des actions de l’ensemble des professionnels de santé est capitale.
Résistons donc à la résistance, ce n’est jamais une mauvaise idée.