Guide à étage, vers un protocole reproductible en cabinet ?

Dossier  Focus sur le DU d’implantologie de la Pitié Salpétrière - AO News # 68 - Septembre 2024

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Introduction 

 

Les techniques de planification numérique, de conception assistée par ordinateur et de fabrication sont en constante évolution. 

Les outils de communication numérique en implantologie ont considérablement amélioré tous les aspects de la communication entre praticiens et prothésistes dentaires. 

Le protocole de guide à étage est apparu dans la littérature et a été mis en pratique à la fin des années 20181. Il lie la planification implantaire2 et le projet prothétique3, et permet la conception et la superposition étagée des éléments à la fois chirurgicaux et prothétiques.

Le guide à étage permet une mise en charge immédiate par enregistrement de la position des implants à travers le bridge complet transitoire évidé et fabriqué par CFAO4.

 

Problématique 

Les techniques de chirurgie guidée demandent une véritable courbe d’apprentissage. Cela peut être difficile à appliquer au cabinet. Nous voulons à travers cet article présenter les solutions qui s’offrent aux praticiens pour tendre vers une chirurgie fiable, simple et reproductible.

 

Design et concept

Le guide à étage (GAE) est un ensemble de guides permettant le bon positionnement des implants associé à la mise en charge immédiate d’un complet provisoire usiné ou imprimé en amont puis solidarisé en fin d’intervention ou réalisé par le prothésiste dans les heures suivants la chirurgie.

 

Le premier étage est le guide base.

Le guide base est la pierre angulaire de la réussite du traitement car les différents niveaux viennent se fixer sur lui (guide de forage, bridge complet provisoire). Il est donc indispensable de pouvoir le positionner de manière fiable et reproductible. Le guide base peut être à appui osseux, à appui muqueux ou à appui mixte (osseux et muqueux). Il est fixé dans la bonne position à l’aide de clavettes.

Nous illustrons cet article avec un cas clinique d’Anthony Bohbot réalisé avec les étudiants du DU de réhabilitation orale implantaire et les internes de Chirurgie Orale.

Conception et impression du guide : Design4me Dr Olivier Boujenah, Ludovic Nicaise.

Deux situations se présentent au praticien :

  • si le patient est complètement édenté, un duplicata du projet prothétique est imprimé en résine transparente et se clipse avec le guide base. Le duplicata est alors mis en occlusion avec l’arcade antagoniste ce qui permet le bon positionnement du guide base ;
  • si le patient est encore denté, le positionnement du guide base est facilité grâce à un guide à appui dentaire. Le guide base est simplement clipsé au guide à appui dentaire sans passer par l’étape de vérification de l’occlusion du patient.

Le praticien est alors en sécurité pour mettre en place les guides de forage et le bridge provisoire qui se connectent au guide base par système aimanté et/ou par un système de parties mâle/femelle.

 

Le deuxième étage correspond au guide de forage.


 

Enfin, le troisième étage est le bridge complet provisoire préconçu et fabriqué en amont de la chirurgie. Tout comme le guide chirurgical, il se clipse sur le guide base. Le bridge complet provisoire est évidé en regard des émergences implantaires ce qui permet de capturer la position des piliers provisoires préalablement vissés sur les implants. Cette capture des piliers provisoires en fin de chirurgie permet une mise en charge initiale à l’issue de l’intervention.


 

Quel protocole prothétique pré-opératoire ? 

 

Un ensemble d’étapes s’avère indispensable afin d’obtenir un projet prothétique satisfaisant pour la réalisation de la chirurgie et de sa mise en charge immédiate (MCI). Tout l’enjeu réside dans le transfert de cette planification en bouche.

 

Comme expliqué précédemment deux situations sont à différencier pour le praticien : le patient édenté complet ou partiellement denté.

Pour le patient édenté complet et correctement appareillé. La première étape est de rebaser l’appareil amovible. L’enregistrement comprend l’anatomie des crêtes, le fond du vestibule, le palais au maxillaire ainsi que les intrados et extrados de la prothèse amovible rebasée. On parle d’empreinte a 360 °ou Dual Scan.

Si le patient est encore denté et à la bonne DVO, un simple enregistrement de la situation permet au prothésiste de réaliser le projet prothétique virtuel (wax up numérique) adapté. Si le praticien choisit de changer la DVO, il faudra que celle-ci soit transmise au prothésiste ou réglée avec articulateur virtuel sur le logiciel.

 

Liste non exhaustive des références à transmettre au prothésiste : 

  • la « bonne »DVO (méthode : étage moyen de la face équilibré règle des ⅓ ou indice de Willis (coin de l’œil/commissure labiale = point sous nasal/menton) ;
  • la ligne haute du sourire, la ligne inter-incisive, les pointes canines ;
  • la forme et la teinte des dents ;
  • l’utilisation du Modjaw et ou du face scan peuvent apporter des informations complémentaires intéressantes ;
  • photos.

 

La place du Dual Scan

 

Lorsque le praticien planifie la chirurgie implantaire, le DICOM implantaire est matché avec le STL des empreintes optiques. Quand le patient est partiellement édenté, il peut simplement re positionner l'ensemble avec les repères dentaires, mais qu’en est-il pour le patient complètement édenté ?

Le Dual Scan permet de pallier ce manque d’informations communes en créant artificiellement des repères de positionnement. L’appareil amovible ou le duplicata en résine transparente est agrémenté de billes radios opaques. 

Le Dual scan consiste d’une part en la réalisation d’un CBCT à visée implantaire avec le (ou les) appareil(s) amovible(s) en occlusion en bouche (ou le duplicata en résine transparente). D’autre part, ce (ou ces) même(s) appareil(s) amovible(s) (ou le duplicata en résine transparente) sont soit scannés avec un scanner de table chez le prothésiste, soit via une caméra optique par le praticien (intrados et extrados) ou soit scannés seuls par CBCT. 

 



 

Quel flux choisir ? 

 

Bien que certaines étapes puissent être réalisées de manière conventionnelle (empreinte primaire, empreinte de l’appareil amovible, etc.) il est recommandé de choisir le flux numérique et d’y rester. C’est à l’étape du Dual Scan que le workflow digital est nécessairement emprunté et ne peut plus être quitté. En effet, les fichiers STL et DICOM sont alors superposés par segmentation par le prothésiste. La planification implantaire est alors guidée par le projet prothétique.

Des échanges pour valider le projet chirurgical via visualisation 3D de l'ensemble ont lieu entre le praticien et le prothésiste pour ensuite concevoir le guide base, le guide chirurgical de forage ainsi que le bridge provisoire évidé usiné en PMMA.

A ce jour, les biomatériaux utilisés pour la réalisation de guides à étage sont : la résine PMMA, la résine imprimée et le titane. Le choix du matériau pour un GAE dépend du type d’appui (dentaire, osseux, muqueux), de l’arcade, du savoir-faire du prothésiste, etc.

Les GAE en titane restent néanmoins, les plus rigides mais aussi les plus coûteux à la fabrication. 

 

Protocole chirurgical et pré requis

 

Une fois l'anesthésie réalisée, le protocole débute par la mise en place du guide base par clavetage. Son positionnement est soit dépendant des dents existantes du patient soit de l’arcade antagoniste pour le patient édenté complet. Le deuxième étage, le guide de forage, est placé sur le guide base. La séquence de forage implantaire est réalisée selon les recommandations du fabricant et doit être adaptée à la densité osseuse. 

Les implants sont posés de manière entièrement guidée afin d’obtenir l’enfouissement planifié et de simplifier le choix des piliers coniques. Une fois les piliers coniques torqués, les piliers provisoires sont doucement vissés sur les piliers coniques et capturés dans le bridge provisoire évidé grâce à une résine chémopolymérisable à prise rapide, type Unifast® ou composite flow. Un essayage en occlusion peut être réalisé avant de mettre les piliers provisoires.

A cette étape, il est impératif d’observer l’absence d’interférence entre les piliers provisoires et le bridge (préalablement évidé en regard des sorties implantaires). Une fois la résine prise, l’ensemble (bridge provisoire connecté aux piliers) est retiré puis les capuchons de cicatrisation (sur piliers coniques) sont doucement vissés. Des sutures lâches sont réalisées. 

La chirurgie est terminée mais un travail de prothèse commence alors. La surface de la prothèse est travaillée au fauteuil afin de renforcer et de façonner les convexités des profils d'émergence. Le bridge est enfin poli et désinfecté avant d’être transvissé sur les piliers coniques, après avoir déposé les capuchons. Des points de sutures plus serrés peuvent compléter l'intervention.

Une occlusion statique bilatéralement équilibrée et dynamique sans interférence en fonction canine doit être recherchée. Une alimentation molle et liquide est impérative dans les 3 mois qui suivent l’intervention. Le complet provisoire doit être revissé et équilibré à J15 puis à J30. Les conseils post opératoires ainsi que l’ordonnance pré opératoire de médicaments restent conventionnels à une chirurgie implantaire classique.

 

Indications et avantages

 

Le guide à étage est indiqué chez les patients, partiellement ou complètement édentés, unimaxillaire ou bimaxillaire, éligibles à une réhabilitation orale implantaire complète par mise en charge immédiate (ayant ou non bénéficié de chirurgie pré implantaire préalable).

La clé du succès d’un guide à étages réside dans la conception et réalisation en amont d’un projet prothétique esthétique et fonctionnel. 

Ce protocole permet au praticien de coupler la chirurgie avec la pose d’un bridge complet provisoire préconçu le même jour sans repasser par le prothésiste et par une étape d’empreinte. Cette technique permet aussi, à l’opérateur de sécuriser sa pose d’implants via la chirurgie guidée et de s’affranchir de la gestion, en fin d’intervention, de l’empreinte des émergences implantaires et de son re positionnement vis-à-vis du projet prothétique initial. 

 

Limites et contre-indications 

 

La contre-indication absolue au GAE reste l’ouverture buccale trop limitée5. D’autres contres indications relatives existent, l’intervention étant rallongée par rapport à une pose d’implants sans guide, la capacité du patient à rester au fauteuil (2h ou plus) sous anesthésie locale doit être évaluée. Une faible stabilité primaire des implants (<30N) ainsi qu’un mauvais ISQ (implant stability quotient <70) contre indiquent la MCI.

Bien évidemment, comme toute technique, une courbe d’apprentissage existe. 

Enfin, son temps de planification et son coût de réalisation doivent être pris en compte , qui plus est si cette technique est comparée à l’utilisation d’un duplicata de projet prothétique en résine transparente simplement évidé pour positionner les implants dans le couloir prothétique.

 

Conclusion 

 

Les guides à étages ouvrent de nouveaux horizons quant à la réalisation de bridges complets transvissés sur implants. Ils présentent un véritable avantage aussi bien pour le praticien que pour le patient qui bénéficie d’un bridge provisoire transvissé fonctionnel et esthétique dès le jour de l’intervention. Quand l’ouverture buccale le permet, ce protocole permet une chirurgie fiable et reproductible. Pour autant, la chirurgie guidée rallonge l’intervention et la capture des piliers provisoires avec le bridge provisoire est fastidieuse.

Une alternative à cette étape pourrait se trouver dans la réalisation en fin d’intervention d’une empreinte optique, guide base en place, avec des scanbodies sur piliers coniques. Cela permet alors au prothésiste de réaliser un usinage rapide du provisoire préconçu où la position des implants a été prise en compte. Le laboratoire utilise des Ti bases conventionnels. La perspective de s’affranchir des Ti Bases sans risque de casse est aussi envisageable. Cela repose alors sur l’utilisation de vis Rosen screw® ou Powerball® compatibles avec certains systèmes implantaires. Le bridge est en fin de compte posé sous 24h voire en fin de journée.

Dans la même lignée, le STAR Concept6 des Drs David Norré et Wael Att, où un guide à appui dentaire strict et sélectif est utilisé, semble être aussi un concept prometteur.

L’application du guide à étage en cabinet dentaire est donc tout à fait envisageable, sans pour autant banaliser la réalisation de bridge complet sur implants, qui plus est pour un praticien néophyte.

 

 


 

Bibliographie

1.      Salama MA, Pozzi A, Clark WA, Tadros M, Hansson L, Adar P. The "Scalloped Guide": A Proof-of-Concept Technique for a Digitally Streamlined, Pink-Free Full-Arch Implant Protocol. Int J Periodontics Restorative Dent. 2018;38(6):791-798

2.      Gargallo-Albiol J, Barootchi S, Salomó-Coll O, Wang H lay. Advantages and disadvantages of implant navigation surgery. A systematic review. Ann Anat - Anat Anz. sept 2019;225:1‐10.

3.      Tattan M, Chambrone L, González‐Martín O, Avila‐Ortiz G. Static computer‐aided, partially guided, and free‐handed implant placement: A systematic review and meta‐ analysis of randomized controlled trials. Clin Oral Implants Res. oct 2020;31(10):889‐916.

4.      Davarpanah M, Szmukler-Moncler S, Davarpanah K, Rajzbaum P. Implantologie assistée par ordinateur. Édition CdP. France; 2011.

5.      Sigcho López DA, García I, Da Silva Salomao G, Cruz Laganá D. Potential Deviation Factors Affecting Stereolithographic Surgical Guides: A Systematic Review. Implant Dent. févr 2019;28(1):68‐73.

 

6.      Norré D, Att W. STAR concept: A technique to improve the predictability of immediate implant placement and loading in edentulous arches. Int J Comput Dent. 2022 Sep 20;25(3):303-323. doi: 10.3290/j.ijcd.b3380919. PMID: 36125804.