Perméabilité intestinale et parodontite : de la fuite à l’embrasement.

Dossier spécial Carte blanche à Pascal Karsenti

AONews #70 - novembre 2024


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Introduction

 

L'impact de l'alimentation et de la digestion sur la santé globale est de plus en plus mis en avant auprès de nos patients, que ce soit par les campagnes de santé publique ou par les recherches scientifiques (Recommandations HAS, Mambrini et al., 2024). Il est reconnu que l'équilibre alimentaire, inspiré notamment du régime méditerranéen, joue un rôle clé dans la prévention des maladies chroniques inflammatoires et le maintien d’une bonne santé (Baliou et al., 2024). Cependant, malgré les efforts pour promouvoir de meilleures pratiques alimentaires, la prévalence de l'obésité, du surpoids, et l’augmentation des maladies chroniques continuent de croître en France.

 

Les maladies parodontales et l'hyperperméabilité intestinale sont deux affections chroniques courantes qui partagent des mécanismes inflammatoires et dysbiotiques similaires (Papapanou et al., 2018). Ces pathologies, bien que localisées dans des parties du corps différentes, sont intimement liées à la santé systémique et peuvent avoir des conséquences graves si elles ne sont pas traitées correctement. Ce lien tient au rôle central que jouent la cavité buccale et le tractus gastro-intestinal dans l'absorption des nutriments, la défense immunitaire, et le maintien de l'équilibre microbien. L'importance de conserver un microbiome équilibré, tant au niveau buccal qu’intestinal, ne peut être sous-estimée. Un déséquilibre peut entraîner des perturbations systémiques qui se manifestent par des maladies chroniques comme les maladies cardiovasculaires, le diabète de type 2, les maladies auto-immunes, et d'autres troubles inflammatoires. L'intégrité et la fonctionnalité des barrières buccale et intestinale sont donc cruciales pour prévenir ces conditions et promouvoir une santé optimale.

 

Dans notre pratique courante, ces désordres sont omniprésents, et il est fréquent qu'ils soient rapportés par les patients lors de leur anamnèse médicale.

 

Maladies parodontales, hyperperméabilité intestinale

 

Les maladies parodontales et l'hyperperméabilité intestinale, souvent désignées respectivement par les termes Leaky Gum Syndrome et Leaky Gut Syndrome, sont deux affections chroniques qui partagent plusieurs caractéristiques physiopathologiques (Compare et al., 2024; Park et al., 2022). Toutes deux sont marquées par une dysbiose microbienne, une altération de la barrière physique qui protège les tissus sous-jacents, et une inflammation chronique.

 

Le Leaky Gum Syndrome fait référence à l'augmentation de la perméabilité des tissus parodontaux suite à la prolifération de bactéries pathogènes et l’installation de l’inflammation locale. Cela permet aux bactéries et aux toxines de pénétrer dans la circulation sanguine, générant une inflammation systémique qui pourra contribuer au développement de maladies chroniques. De manière similaire, le Leaky Gut Syndrome survient lorsque la barrière intestinale est compromise, permettant aux toxines, aux antigènes alimentaires et aux bactéries de traverser la paroi intestinale et d'entrer dans la circulation sanguine. Cela peut déclencher une réponse immunitaire systémique, qui pourra aggraver des conditions inflammatoires préexistantes et/ou prédisposer à de nouvelles maladies chroniques. Cela implique que si l'une des pathologies inflammatoires est traitée sans tenir compte de l'autre, l'état de santé global du patient ne s'améliorera pas de manière significative.

 

Qu’est ce que l’inflammation?

 

Pour comprendre pleinement le rôle du chirurgien-dentiste dans le parcours de soin de son patient, il est essentiel de maîtriser les mécanismes de l'inflammation. Il s'agit d'une réponse physiologique indispensable de l'organisme face à une agression externe (bactérienne, virale, toxique) ou interne (lésion tissulaire). L'inflammation aiguë est une réaction rapide visant à neutraliser cette agression, limiter les dommages, et amorcer la réparation des tissus. Cette réponse est déclenchée par l’activation des cellules immunitaires, telles que les macrophages et les neutrophiles, qui libèrent des cytokines pro-inflammatoires, notamment le TNF-α, l'IL-6 et l'IL-1β.

Ces molécules favorisent l’afflux de globules blancs vers le site de l'agression afin de combattre l'infection et réparer les tissus endommagés. Une fois l'agression éliminée, des cytokines anti-inflammatoires, comme l’IL-10 et le TGF-β, prennent le relais pour rétablir l'homéostasie tissulaire. Ce processus est normalement transitoire et protecteur (Fig. 1).

Cependant, lorsque les barrières protectrices de l'organisme, telles que la barrière parodontale ou la barrière intestinale, perdent leur intégrité, le processus inflammatoire peut être déclenché de manière persistante. En effet, ces barrières sont essentielles pour maintenir un équilibre entre les agents externes et internes. Elles agissent comme des filtres, empêchant les agents pathogènes, toxines, et autres substances étrangères de pénétrer dans l'organisme. Lorsqu'elles sont altérées, des agents pathogènes et des molécules inflammatoires, telles que les lipopolysaccharides (LPS), peuvent franchir ces barrières et pénétrer dans la circulation sanguine. Cette pénétration anormale déclenche une réaction inflammatoire systémique.

Le système immunitaire, en étant constamment stimulé par la présence de ces agents pathogènes et de ces toxines, entre dans un état d'activation prolongée. Ce phénomène conduit à ce que l’on appelle une inflammation chronique de bas grade. Bien que moins intense que l'inflammation aiguë, cette inflammation est persistante et peut avoir des effets délétères sur le long terme. Contrairement à l’inflammation locale et temporaire, elle devient systémique et diffuse, affectant plusieurs organes et tissus (Fig. 2).


L’inflammation chronique peut entraîner des dommages aux tissus sur une longue durée, perturbant les fonctions physiologiques normales (Caldarelli et al., 2024). Cela se traduit par une augmentation du risque de développer des maladies systémiques graves, telles que les maladies cardiovasculaires, le diabète de type 2, et les maladies auto-immunes (Fig. 3).

 

Définition des barrières : parodontale et intestinale

 

Barrière parodontale

 

Structure et fonction

 

La barrière parodontale joue un rôle crucial dans la protection des tissus dentaires contre les agressions microbiennes (Chapple et al., 2018, Lindhe, 1986). Elle est composée de plusieurs structures clés (Fig. 4) :

  • gencive : elle recouvre l'os alvéolaire et protège les tissus sous-jacents contre les invasions bactériennes ;
  • os alvéolaire : Il soutient et stabilise les dents ;
  • ligament parodontal : il joue un rôle dans l'absorption des forces de mastication ;
  • cément : Il compose la racine de la dent et permet l'attachement des fibres du ligament parodontal.

La salive joue également un rôle clé en tant que première ligne de défense . Elle contient des peptides antimicrobiens, des enzymes et d'autres composants qui neutralisent les bactéries pathogènes et favorisent l'équilibre du microbiome buccal. Des leucocytes présents dans la gencive participent également à la réponse immunitaire locale en identifiant et en éliminant les agents pathogènes.

 

Dysfonctionnement de la barrière parodontale

 

En cas de déséquilibre du microbiome buccal, la barrière parodontale peut être compromise. Cela conduit à une prolifération de bactéries pathogènes qui envahissent les tissus parodontaux, provoquant alors une réponse inflammatoire (Fig. 5). Si elle n'est pas contrôlée, elle peut entraîner une dégradation des tissus parodontaux, conduisant à une perte osseuse, au recul des tissus parodontaux, et finalement à la perte des dents (Loos and Van Dyke, 2020).

 

Les symptômes qui lui sont associés sont : douleurs, saignements, récessions, mobilités dentaires, halitose (Kinane and Bornstein, 2024).

 

Peut s’en suivre alors la dissémination des bactéries pathogènes et des produits inflammatoires dans la circulation sanguine, contribuant à l'augmentation de l'inflammation systémique et au développement de maladies chroniques à distance dans le corps.


 

Barrière intestinale

 

Structure et fonction

 

La barrière intestinale est une structure hautement spécialisée qui sert de frontière entre le contenu de la lumière intestinale et le milieu intérieur de l'organisme (Markovich et al., 2024). Elle est composée de (Fig. 6) :

  • cellules épithéliales : elles sont reliées entre elles par des jonctions serrées (tight junctions) qui contrôlent le passage des molécules et des ions entre la lumière intestinale et la lamina propria ;
  • mucus : il est produit par les cellules caliciformes de l'épithélium intestinal et forme une couche protectrice empêchant les bactéries et les autres agents pathogènes d'entrer en contact direct avec les cellules épithéliales ;
  • système immunitaire intestinal : la lamina propria contient de nombreux types de cellules immunitaires, y compris les lymphocytes et les macrophages, qui surveillent et répondent aux antigènes présents dans l'intestin.

 

Dysfonctionnement de la barrière intestinale

L'intégrité de la barrière intestinale est cruciale pour la santé systémique. Lorsque cette barrière est compromise, un phénomène connu sous le nom d'hyperperméabilité intestinale se produit. Cela permet à des macromolécules, telles que des antigènes alimentaires et des endotoxines bactériennes (par exemple, les lipopolysaccharides ou LPS), de pénétrer dans la circulation sanguine (Fig. 7). Ces éléments peuvent déclencher une réponse immunitaire, contribuant à l'inflammation systémique et au développement de maladies chroniques.

Elle est souvent associée à des symptômes digestifs tels que des ballonnements, des douleurs abdominales ou des troubles du transit intestinal.

 


 

Définition des dysbioses : buccale et intestinale

 

Dysbiose buccale

 

Causes et conséquences

 

La dysbiose buccale se caractérise par une rupture de l'équilibre entre les bactéries commensales et pathogènes dans la cavité buccale. Normalement, les bactéries commensales jouent un rôle protecteur en empêchant la colonisation de la bouche par des bactéries pathogènes.

Cependant, divers facteurs peuvent perturber cet équilibre, entraînant une surcroissance des bactéries pathogènes (Fig. 8) :

  • hygiène buccale inadaptée : Un manque de brossage et de nettoyage interdentaire favorise l'accumulation de plaque dentaire, qui est un biofilm riche en bactéries pathogènes (Reyes Garita et al., 2024; Salhi et al., 2022) ;
  • tabagisme : la fumée de tabac modifie l'environnement buccal et favorise la croissance de bactéries pathogènes (Lazar et al., 2022) ;
  • stress : Le stress chronique peut affecter la réponse immunitaire locale, réduisant la capacité du corps à contrôler la prolifération bactérienne (Ghosh and Banerjee, 2023) ;
  • alimentation riche en sucres : les régimes riches en sucres favorisent la croissance de bactéries cariogènes et pro-inflammatoires .

Les conséquences de la dysbiose buccale sont multiples et incluent la carie dentaire, la gingivite, et la parodontite. La parodontite, en particulier, est une affection inflammatoire chronique qui conduit à la destruction des tissus de soutien des dents notamment par la présence de bactéries spécifiques, comme Porphyromonas gingivalis, capables de modifier l'environnement local pour favoriser une inflammation chronique et exacerber la destruction tissulaire (Hajishengallis and Lamont, 2012; Sedghi et al., 2021).

 

Dysbiose intestinale

 

Causes et conséquences

 

La dysbiose intestinale se produit lorsque l'équilibre entre les différentes populations microbiennes de l'intestin est perturbé. Le microbiome intestinal joue un rôle clé dans la digestion, l'absorption des nutriments, la synthèse des vitamines, et la régulation du système immunitaire. Il agit également comme une barrière de protection contre les pathogènes potentiels (Carías Domínguez et al., 2024; Li and O’Toole, 2024).

 

Les principales causes de dysbiose intestinale peuvent être (Fig. 8) :

alimentation déséquilibrée : un régime pauvre en fibres et riche en sucres et aliments transformés favorise la prolifération de bactéries pathogènes et nuit aux bactéries bénéfiques. Une alimentation déséquilibrée peut ainsi appauvrir la diversité microbienne et engendrer une dysbiose ;

stress chronique : le stress influence directement la motilité intestinale et la composition du microbiome. Une réponse prolongée au stress peut affecter la perméabilité intestinale et la fonction immunitaire locale, augmentant la susceptibilité à la dysbiose ;

prise prolongée de médicaments : l’usage excessif ou prolongé d'antibiotiques, d'anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) ou de certains autres médicaments peut modifier le microbiome intestinal, conduisant à une réduction des espèces bénéfiques et à la prolifération de bactéries pathogènes ;

manque d'activité physique ou excès d'exercice : Une activité physique modérée aide à réguler la motilité intestinale et favorise une meilleure diversité microbienne. Cependant, un exercice excessif peut, à l'inverse, aggraver l'inflammation et perturber le microbiome.

 

Les conséquences de la dysbiose intestinale sont nombreuses et incluent, l’hyperperméabilité intestinale, l’installation d’une Inflammation chronique, des troubles digestifs, la survenue de maladies systémiques telles que le diabète de type 2, l'obésité, les maladies cardiovasculaires, et même les troubles neurodégénératifs comme la maladie d'Alzheimer.

 

 

Perméabilité, implications inflammatoires et systémiques

 

Perméabilité buccale (Leaky Gum Syndrome)

 

Le rôle des tissus parodontaux

 

La maladie parodontale est un excellent exemple des conséquences d’une altération de la perméabilité des tissus. La perméabilité buccale, souvent désignée sous le terme Leaky Gum Syndrome, survient lorsque la barrière protectrice de la gencive et des autres tissus parodontaux est compromise (Fig. 5). Ce phénomène est principalement lié à une surcroissance de bactéries pathogènes, telles que Porphyromonas gingivalis et Tannerella forsythia, qui peuvent pénétrer les tissus gingivaux et déclencher une réaction inflammatoire excessive.

 

Cette réaction sera à la fois locale et systémique via le passage par la circulation sanguine des pathogènes et des médiateurs inflammatoires. Des études ont montré que les individus atteints de parodontite sévère présentent souvent des marqueurs inflammatoires plus élevés comme la protéine C-réactive (CRP) (Paraskevas et al., 2008).

 

Les conséquences systémiques

 

L’augmentation de la perméabilité des tissus parodontaux peut avoir des répercussions systémiques majeures.

Parmi les conséquences les plus notables :

 

  • maladies cardiovasculaires : l'infiltration de bactéries buccales pathogènes et de leurs produits, comme les LPS, dans le sang peut favoriser l'athérosclérose et augmenter le risque d'accidents cardiovasculaires (Leonov et al., 2024)
  • diabète de type 2 : l'inflammation systémique due à la parodontite peut altérer la régulation de la glycémie et exacerber la résistance à l'insuline, un facteur clé dans le développement du diabète de type 2 (Graves et al., 2020; López et al., 2012
  • troubles neurodégénératifs : L'inflammation chronique déclenchée par une perméabilité buccale accrue a également été liée à des maladies neurodégénératives comme la maladie d'Alzheimer, possiblement via la migration des médiateurs inflammatoires dans le cerveau (Bertolín-Guillén, 2023).

Le Leaky Gum Syndrome démontre l’impact qu’une maladie buccale locale peut avoir sur l’organisme à long terme, renforçant ainsi la nécessité d’une gestion précoce et proactive des maladies parodontales (Kinane and Marshall, 2001).

 

Perméabilité Intestinale (Leaky Gut Syndrome)

 

Le rôle de la barrière intestinale

 

Lorsqu'elle est compromise, cette barrière devient perméable à des éléments indésirables, tels que des macromolécules, des toxines bactériennes (notamment les LPS) et des antigènes alimentaires, qui peuvent pénétrer dans le système circulatoire (Fig. 7). Ce phénomène, connu sous le nom d'hyperperméabilité intestinale ou Leaky Gut Syndrome, va entraîner une réaction de la part du système immunitaire et déclencher une cascade inflammatoire et immunitaire qui affecte l'ensemble de l'organisme (Compare et al., 2024).

 

Les conséquences inflammatoires et systémiques

 

L’hyperperméabilité intestinale est associée à plusieurs troubles inflammatoires et maladies chroniques :

  • maladies auto-immunes : l'entrée d'antigènes alimentaires ou de toxines bactériennes dans la circulation peut provoquer une activation excessive du système immunitaire, entraînant une inflammation chronique et des réponses auto-immunes. Des maladies telles que la polyarthrite rhumatoïde, le lupus et la sclérose en plaques ont été liées à une perméabilité intestinale accrue (Hartono et al., 2019; Shaheen et al., 2022) ;
  • troubles métaboliques : les produits inflammatoires peuvent perturber le métabolisme lipidique et glucidique, favorisant des conditions comme l'obésité et le diabète de type 2 (Mambrini et al., 2024) ;
  • santé mentale et neurologique : le lien entre l'intestin et le cerveau, souvent appelé l'axe intestin-cerveau, est crucial pour le maintien de la santé cognitive et émotionnelle. L'inflammation systémique générée est associée à des troubles psychiatriques comme l'anxiété, la dépression, et même certaines maladies neurodégénératives comme la maladie de Parkinson et d'Alzheimer (Caradonna et al., 2024).

En outre, la perméabilité intestinale peut exacerber les maladies chroniques préexistantes, aggravant leur progression et compliquant la prise en charge thérapeutique.

 

Diagnostics cliniques

 

Diagnostic de la perméabilité buccale

  • Le diagnostic de la perméabilité buccale, en particulier dans le cadre de la maladie parodontale, repose principalement sur des examens cliniques approfondis. Parmi les signes cliniques de la maladie parodontale, on note :
  • saignements gingivaux : ils surviennent souvent lors du brossage ou des manipulations des tissus gingivaux et sont un indicateur de l’inflammation gingivale ;
  • profondeur des poches parodontales : la mesure des poches parodontales à l'aide d'une sonde parodontale permet de détecter une dégradation des tissus parodontaux et d'évaluer la progression de la maladie ;
  • mobilité dentaire : la mobilité accrue des dents peut être un signe d'une perte osseuse significative autour de la dent ;
  • récession gingivale : la gencive se retire, exposant les racines dentaires.
  • Les radiographies dentaires sont également utiles pour évaluer la perte osseuse autour des dents, tandis que des examens microbiologiques permettent d’identifier les bactéries pathogènes responsables de l’inflammation.

Diagnostic de la perméabilité intestinale

 

Le diagnostic de l'hyperperméabilité intestinale est plus complexe et repose généralement sur une combinaison de signes cliniques et d'examens biologiques. Les patients peuvent se plaindre de symptômes digestifs comme décrits précédemment. Cependant ces symptômes ne sont pas spécifiques. Des examens biologiques associés à l’anamnèse sont souvent nécessaires pour confirmer l'état de la barrière intestinale.

 

Les principaux examens biologiques utilisés sont :

  • dosage de la zonuline : la zonuline est une protéine régulant la perméabilité intestinale. Un niveau élevé dans les selles est un potentiel indicateur d’hyperperméabilité intestinale. Ce test est particulièrement utile pour détecter les premiers signes de dysfonction de la barrière
  • protéine de liaison au LPS (LBP) : le LBP est un marqueur de l'inflammation et d’une potentielle perméabilité intestinale. Il est mesuré par une prise de sang et peut indiquer la présence de lipopolysaccharides (LPS) dans le sang, un signe de passage de produits bactériens dans la circulation ;
  • CRP ultrasensible (hs-CRP) : la protéine C-réactive est un marqueur courant d’inflammation systémique. Un niveau élevé, même légèrement, peut indiquer une inflammation chronique de bas grade associée à l’hyperperméabilité intestinale (Paraskevas et al., 2008)
  • test des IgG alimentaires : les tests d'intolérance alimentaire par dosage des IgG peuvent également fournir des informations sur les réactions immunitaires anormales aux antigènes alimentaires, souvent déclenchées par une hyperperméabilité intestinale.

Au cabinet, lors de l’anamnèse, le recueil de symptômes extra-oraux ainsi que des examens évaluant l’état inflammatoire systémique peuvent donc être recommandés.

Si des anomalies sont détectées, une prise en charge plus approfondie est nécessaire, souvent en collaboration avec le médecin traitant, des gastroentérologues ou d'autres spécialistes.

 

Interaction buccale et intestinale : lien entre dysbioses et inflammation systémique

 

Nous avons vu que le syndrome de perméabilité gingivale (Leaky Gum Syndrome) et d’hyperperméabilité intestinale (Leaky Gut Syndrome) partagent des mécanismes physiopathologiques similaires, dominés par la dysbiose microbienne et l'inflammation chronique. Ces interactions révèlent un lien important entre la cavité buccale et le tractus digestif, où la perturbation de l'un peut avoir des répercussions importantes sur l'autre (Lamont and Hajishengallis, 2015).

 

De la bouche vers l'intestin

 

Dans le Leaky Gum Syndrome, la dysbiose buccale survient lorsqu'un déséquilibre des bactéries pathogènes, telles que Porphyromonas gingivalis et Fusobacterium nucleatum, altèrent la barrière parodontale. Ce déséquilibre favorise la pénétration de ces pathogènes dans la circulation sanguine. Ces pathogènes peuvent également atteindre l'intestin par migration lors de la déglutition.

Une fois arrivées dans l'intestin, ces bactéries perturbent le microbiome intestinal en aggravant la dysbiose. Fusobacterium nucleatum, par exemple, a été impliqué dans des cas de colites inflammatoires et de cancers colorectaux, soulignant l’importance de la santé buccale pour le maintien d’une bonne flore intestinale (Koliarakis et al., 2024).

Par ailleurs, les altérations de la mastication liés à une parodontite avancée peuvent également jouer un rôle dans cette interaction bucco-intestinale. Une mauvaise mastication peut affecter la digestion initiale et la dégradation des aliments, favorisant ainsi la prolifération bactérienne pathogène au niveau digestif.

 

De l’intestin à la bouche

 

Le Leaky Gut Syndrome, ou hyperperméabilité intestinale, fonctionne en miroir. L'altération de la barrière intestinale permet le passage dans la circulation sanguine de divers antigènes alimentaires, toxines, et LPS, qui provoquent une activation du système immunitaire à distance. Ces molécules pro-inflammatoires, une fois dans le sang, se déplacent vers des tissus distants, y compris les tissus gingivaux. Dans la cavité buccale, les LPS et autres toxines sont reconnus par les récepteurs Toll-like (TLR4) présents sur les cellules immunitaires des gencives (Chiba et al., 2024). Cela déclenche une cascade inflammatoire locale, exacerbant les maladies parodontales déjà existantes. En particulier, les macrophages et neutrophiles des tissus parodontaux, activés par ces toxines, produisent des cytokines pro-inflammatoires telles que le TNF-α et l’IL-6. Ces médiateurs inflammatoires provoquent une dégradation progressive des tissus parodontaux, aggravant la parodontite et favorisant l'augmentation de la perméabilité de la barrière gingivale.

 

La boucle inflammatoire

 

L'interconnexion entre les syndromes de perméabilité gingivale et intestinale crée une boucle inflammatoire. La dysbiose buccale, accentuée par des modifications de la mastication et la déglutition, entraîne une perturbation du microbiome intestinal, aggravant la perméabilité intestinale. Inversement, l'hyperperméabilité intestinale favorise l'activation inflammatoire dans la cavité buccale, exacerbant les maladies parodontales. Cette boucle d'inflammation bidirectionnelle affecte non seulement la bouche et l’intestin, mais a également des répercussions systémiques, soulignant l'importance d'une prise en charge intégrative pour rompre ce cycle inflammatoire.

 

Recommandations pratiques pour les praticiens et patients

 

La prise en charge des patients présentant une dysbiose buccale, une dysbiose intestinale, ou une perméabilité accrue (buccale et intestinale) doit inclure des conseils cliniques et des recommandations pratiques pour limiter l'inflammation et restaurer l'intégrité des barrières. Voici quelques recommandations basées sur la littérature scientifique.

 

Pour améliorer la santé buccale

  • Hygiène buccale efficace : conseiller un brossage dentaire et interdentaire régulier avec des techniques appropriées pour éliminer la plaque (Salhi et al., 2022).
  • Traitement mécanique: Surfaçage et détartrage pour éliminer la plaque bactérienne.
  • Thérapies antimicrobiennes et anti-inflammatoires
  • Supplémentation anti inflammatoire: les oméga-3, qui peuvent agir à la fois au niveau buccal et systémique (Chiavarini et al., 2024).
  • Supplémentation en probiotiques : rééquilibrer le microbiome oral; Certaines souches comme Lactobacillus Reuteri ont montré des bénéfices pour la santé parodontale (Poulose et al., 2024).
  • Réduction des facteurs aggravants comme le tabagisme et de la consommation d'alcool.

Pour améliorer la santé intestinale

  • Mastication lente et consciente : afin d'améliorer la digestion et de limiter la charge sur le microbiome intestinal.
  • Alimentation riche en fibres alimentaires : notamment solubles, via des légumineuses, des légumes et des fruits pour nourrir les bactéries symbiotiques intestinales et favoriser la production d’acides gras à chaîne courte (comme le butyrate), essentiels pour la santé intestinale.
  • Modulation du microbiome intestinal via des prébiotiques et probiotiques
  • Alimentation riche en polyphénols : comme les fruits rouges, le thé vert, le cacao, et les légumes verts. Ils peuvent aider à moduler positivement le microbiome intestinal et à réduire l'inflammation.
  • Supplémentation en curcumine et en gingembre : La curcumine est un puissant anti-inflammatoire naturel, et le gingembre peut améliorer son absorption. Ces deux ingrédients ont montré des effets bénéfiques sur la réduction de l'inflammation systémique.
  • Éviction des aliments transformés et des sucres raffinés : riches en sucres, graisses saturées, et additifs, qui contribuent à la dysbiose intestinale.
  • Supplémentation en zinc et L-glutamine : associés à la réparation de la barrière intestinale et à l'amélioration de l'intégrité des jonctions serrées entre les cellules épithéliales.
  • Gestion du stress : Des techniques de gestion du stress telles que la cohérence cardiaque, la méditation, et le yoga peuvent être bénéfiques pour le rétablissement du microbiome.
  • Limiter les AINS : Si possible, limiter l'utilisation des anti-inflammatoires non stéroïdiens, qui perturbent la barrière intestinale et favorisent la dysbiose.

Take home message

 

  • Nécessité de traiter conjointement : chaque syndrome alimente l'autre, amplifiant l'inflammation systémique et les risques de complications chroniques.
  • Réduction de la charge bactérienne pathogène : à la fois dans la cavité buccale et dans l'intestin.
  • Contrôle de l'inflammation systémique : via des approches anti-inflammatoires systémiques, telles que la supplémentation en curcumine et l'augmentation des oméga-3 alimentaire.
  • Prise en charge pluridisciplinaire

Conclusion

 

L'hyperperméabilité intestinale et la maladie parodontale ne sont pas des entités isolées, mais bien des affections interconnectées, liées à une inflammation systémique et à une activation excessive du système immunitaire. Les deux conditions sont influencées par des facteurs similaires, notamment la dysbiose microbienne, la perte d'intégrité des barrières protectrices, et une réponse immunitaire inappropriée.

 

La gestion de ces maladies requiert une approche intégrative qui ne se limite pas à traiter les symptômes locaux. Le praticien doit tenir compte des facteurs systémiques sous-jacents, tels que la santé intestinale, pour offrir une prise en charge globale et personnalisée. Une collaboration pluridisciplinaire, associant les Chirurgiens-Dentistes, les gastroentérologues, et d'autres professionnels de santé, est indispensable pour traiter efficacement ces patients.

 

En adoptant cette approche holistique, il est possible de réduire l'inflammation systémique, d'améliorer la santé globale des patients, et de prévenir le développement de maladies chroniques. Ces perspectives ouvrent de nouvelles voies de recherche scientifique et clinique, soulignant l’importance d’une prise en charge pluridisciplinaire, préventive, personnalisée et proactive pour garantir une santé optimale à nos patients.

 

 

Bibliographie

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