La préservation alvéolaire, pourquoi faire ?

Le dossier AO News : l'alvéole, c'est essentiel

AO News #60 - Septembre 2023


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1. Préservation alvéolaire J BESSADE Sep
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Une extraction dentaire est indiquée. Que faire ? Extraire uniquement, extraire et implanter, extraire et combler ou extraire, combler et implanter ?

Telle est la problématique qui nous intéresse. Suivant l’indication thérapeutique, l’attitude adoptée aura des conséquences à court, moyen et long terme.

 

A court terme

 

Laisser une alvéole d’extraction simplement occupée par le caillot sanguin expose au risque de survenue d’une alvéolite. Il est difficile de préserver l’intégrité d’un caillot sanguin. Tout d’abord, il faut empêcher la langue d’explorer la nouvelle zone édentée, ce qui relève du réflexe inné. Pour cela, il est conseillé de laisser partir le patient avec une compresse suffisamment épaisse pour occuper l’espace vacant et lui demander de rester les dents serrées par-dessus pendant une bonne heure afin de protéger le caillot qui est en cours de formation, mais surtout d’empêcher la langue de fouiller cette zone nouvelle et de risquer ainsi de morceler ce dernier et de l’avaler. Passé ce délai, le cerveau aura intégré la perte de la dent concernée et le caillot sera devenu mature, rendant le risque d’agression par la langue moins élevé.

Une alimentation de consistance moyenne sera observée en mastiquant en dehors de la zone d’extraction. Les aliments de type croûte de pain, biscottes, cacahuètes, tacos, seront évités. Les boissons chaudes seront ingérées tièdes au plus.

 

A moyen terme

 

Pour les jours à suivre, les bains de bouche seront évités et même les rinçages de bouche seront supprimés. La pâte dentifrice devrait être supprimée pendant 5-6 jours afin d’éviter le rinçage final après brossage. Seul le nettoyage mécanique de la brosse sera réalisé en évitant la zone d’extraction. Une perte de volume alvéolaire va accompagner la cicatrisation progressive. Cette résorption osseuse est physiologique. Elle pourra poser problème dans les secteurs esthétiques ou sous un futur bridge.

 

A long terme

 

La résorption alvéolaire a été largement étudiée depuis bien des années. On sait qu’après 3 mois, la résorption horizontale est mesurée entre 3 et 7 mm et la résorption verticale, entre 2 et 4,5 mm (1). D’autres études tiennent compte de l’épaisseur de la corticale vestibulaire dans le secteur antérieur du maxillaire supérieur. Si cette corticale est inférieure à 1 mm, la résorption verticale peut être de 6 mm après 8 semaines seulement (2).

Ainsi, on devine que la réorganisation profonde de l’architecture des tissus gingivaux dans la zone édentée soit susceptible de compliquer la future réalisation du traitement implantaire destinée à corriger l’édentement. En effet, la cicatrisation naturelle d’une extraction dentaire conduit à un amincissement de la crête édentée. De plus, l’indication d’extraction va souvent de pair avec la présence d’une zone infectée, ce qui signifie que la perte osseuse devra intégrer les séquelles de la réparation de la zone concernée. A terme, la réduction de volume sera bien plus importante que celle imaginée.

Le traitement implantaire ultérieur devra se faire dans une situation où l’émergence prothétique se fera sur une base bien inférieure à celle d’origine. On arrivera souvent à une situation de profil d’émergence inversé, souvent inconfortable à vivre car source de rétentions alimentaires.


 

Extraction et comblement alvéolaire

 

Mac Beth & coll. ont mis ont évidence, à l’issue d’une revue systématique de littérature, les 3 avantages de la méthode (3), aucune technique ne dominant en efficacité :

  • gain de hauteur alvéolaire verticale après préservation est de 0,74 mm,
  • gain d’épaisseur alvéolaire horizontale après préservation est de 1,2 mm,
  • gain en hauteur et épaisseur de gencive kératinisée.

Ainsi, en l’absence d’indication implantaire, le simple comblement de l’alvéole après extraction va permettre de maintenir le volume alvéolaire extérieur initial. Ce comblement vient donc parasiter la résorption physiologique. En situation de pontic de bridge, le comblement immédiat après extraction permettra de pérenniser le volume muqueux sous-jacent au lieu d’assister, au fil des ans, à la réduction progressive du volume de la zone édentée.

 

Si l’indication implantaire est posée, plusieurs questions se posent alors : l’extraction-implantation immédiate s’impose-t-elle ? Est-elle toujours souhaitable ? ou possible ?

 

Extraction-implantation immédiate

 

Quels en sont les objectifs ?

  • Remplacer la dent perdue
  • Préserver le volume alvéolaire
  • Optimiser le profil d’émergence
  • Donner la priorité à l’os
  • Prévenir la péri-implantite : faciliter le nettoyage, garantir un environnement périphérique de gencive kératinisée, optimiser le positionnement implantaire pour favoriser la prothèse trans vissée.

Est-elle toujours souhaitable ?

Plusieurs obstacles peuvent compliquer la mise en œuvre.

  • La présence d’une infection active
  • Une perte de la corticale vestibulaire
  • Une perte osseuse apicale
  • Un obstacle anatomique / dent voisine, plancher sinus ou le nerf V3
  • Enfin, une différence marquée entre le volume alvéolaire et le diamètre implantaire

Cependant pour un opérateur expérimenté, sachant que ce protocole est en vigueur depuis plus de 20 ans, il est possible de s’accommoder de ces obstacles. Pour les autres, une courbe d’apprentissage s’impose.

Les lésions actives seront minutieusement et intégralement curetées. C’est un point primordial de la cicatrisation. Trop souvent, le défaut de cicatrisation est lié à la présence de fibres « oubliées » lors du curetage post-extractionnel. Or jamais des fibres ne donneront d’os. Seuls les ostéoblastes le peuvent. Ce curetage peut être manuel, mécanique, ultra sonique. Dans tous les cas, il doit être contrôlé à la loupe, qu’il soit apical ou proximal. La perte osseuse ainsi visualisée permettra de confirmer ou pas la pose d’un implant. Dans cet objectif, l’obtention d’un ancrage osseux apical ne suffit pas. Le diamètre de l’implant est également à prendre en compte. La tendance actuelle des traitements implantaires est de privilégier l’os et non le titane. Ainsi, la pose d’un implant de 5.5 ou 6 mm de diamètre après extraction d’une prémolaire ne parait pas conforme aux objectifs de l’implantologie moderne. Il semble alors préférable de combler et de ré intervenir à 4 mois en posant alors un implant de diamètre 3.5 ou 4 mm.

La perte d’une corticale vestibulaire est plus problématique. Une R.O.G. sera alors associée après extraction, à la pose de l’implant. Quoi qu’il en soit, cette technique est à risque et le résultat final n’est jamais garanti, en particulier concernant la stabilité des tissus mous et le rendu esthétique.

Vignoletti et Sanz. ont ainsi résumé le défi de l’extraction-implantation immédiate (4) : la perte osseuse en tissus durs et tissus mous est inévitable ; les répercussions esthétiques sont imprévisibles.

L’indication dépendra donc :

  • du biotype parodontal,
  • de l’intégrité et de l’épaisseur des corticales,
  • du positionnement implantaire optimal,du choix du patient, non-fumeur avec un contrôle de plaque rigoureux.

Il faut donc ici, dissocier l’indication en secteur antérieur ou postérieur.

 

 

Extraction implantation immédiate en secteur antérieur

 

La revue de littérature de Chen et Buser en 2014 fait autorité (5), n’ayant retenue que 144 articles sur les 1686 publiés sur le sujet.

Conclusions :

  • les résultats esthétiques sont plutôt acceptables,
  • une récession vestibulaire > 1 mm est fréquemment relevée,
  • le risque de récession est plus faible si la corticale vestibulaire est intacte, idem si le biotype est épais,
  • l’intérêt d’un comblement associé n’est pas démontré.

Cette dernière assertion n’est pas partagée par tous les auteurs.

 

Dans cette étude concernant l’extraction - Implantation immédiate versus l’implantation différée d’une dent unitaire antérieure, (étude clinique randomisée sur 124 patients), les conclusions sont les suivantes (6) :

  • satisfaction élevée des patients dans les deux cas,
  • comblement péri-implantaire nécessaire dans 72 % des cas,
  • perte osseuse + importante à 3 ans sur les implants immédiats,
  • score PSE à 12 mois moins bon en cas d’implants immédiats.

Schwartz-Arad, dans son ouvrage, (7) précise les limites de l’indication. L’étiologie de l’avulsion doit être prise en compte et les situations suivantes contre-indiquent le recours à l’implantation immédiate :

  • fracture radiculaire ayant entrainé une atteinte osseuse alvéolaire volumineuse,
  • lésion inflammatoire péri-apicale d’origine endodontique ayant entrainée une perte importante d’os péri-apical,
  • résorption radiculaire interne ou externe avec atteinte osseuse,
  • maladie parodontale non stabilisée.

 

Extraction implantation immédiate en secteur postérieur

 

On sait que 4 mois après une extraction-implantation immédiate en secteur postérieur, la résorption horizontale est de 1.07 mm et la résorption verticale, de 0.62 mm (8).

L’extraction-comblement-implantation immédiate serait-elle une forme d’optimisation thérapeutique ?

 


 

Préservation sous-sinusienne et implantation différée

 


 

Conclusions de la Conférence de consensus 2019 sur ce thème (9) :

  • le comblement post-extractionnel réduit la résorption osseuse
  • le résultat est le même quel que soit le matériau,
  • la stabilité de l’os marginal est meilleure si l’implant est placé dans une alvéole préalablement reconstruite,
  • la préservation alvéolaire devrait précéder la pose d’un implant,
  • le patient devrait être informé du risque lié à l’absence de comblement post-extractionnel.

 

Conclusions confirmées par cette revue de littérature (10) :

  • les implants placés dans des sites préalablement reconstruits présentent des taux de succès plus élevés que ceux placés dans des sites non greffés,
  • la perte osseuse marginale est également moindre en cas de sites reconstruits.

On peut donc résumer ainsi les avantages de l’extraction-comblement-implantation différée :

  • reconstruction pré-implantaire du volume alvéolaire détruit,
  • préservation des volumes en secteur esthétique,
  • maintien de la hauteur d’os sous-sinusienne,
  • privilégie l’implant d’une taille raisonnable (Ø≤ 4 mm, l≤10 mm),
  • optimisation du profil d’émergence prothétique,
  • simplification des protocoles / ROG,
  • résultat esthétique moins aléatoire.

 

 

Quels matériaux pour le comblement ?

 

La préservation alvéolaire est donc indiquée en implantologie mais pas uniquement (11) :

  • lors d’extraction implantation différée quand l’implantation précoce ou immédiate n’est pas recommandée ou quand la stabilité primaire obtenue n’est pas suffisante chez les adolescents ;
  • pour redéfinir les contours d’une prothèse conventionnelle (pontic) ;
  • pour réduire la nécessité de faire un comblement sinusien.

 

Les grandes familles de biomatériaux

 

Substituts allogéniques (à base d’os humain) / Bio Bank

Ostéoconducteurs et ostéoinducteurs. 4 mois d’attente après comblement à l’aide de granules en seringue.

 

Substituts xénogéniques

  • Os bovin / Bio-Oss (Getlisch), ostéoconducteur. 6 mois d’attente après sinus ou ROG.
  • Mélange collagène bovin et granules d’hydroxyapatite de synthèse, en bloc/ Collapat 2. Ostéoconducteur. 4 mois après comblement.
  • Os porcin / Mp3, GTO (Ostéobiol), ostéoinducteur. 4 mois après comblement.

 

Matériaux alloplastiques

  • Hydroxyapatite de synthèse / Nanobone, Ostim, Calcitite. Ostéoconduction. 6 mois après augmentation de crête.
  • Phosphate tricalcique / Calciresorb. Ostéoconduction. 6 mois après comblement. Fragile.
  • Céramique biphasée / SBS 60/40. Ostéoconducteur. 6 mois après sinus ou comblement.
  • Les bioverres / Biogran. Ostéoconduction. 6 mois après comblement. Fragile.
  • Les vitrocéramiques / Cerabone. Ostéoconduction.4-6 mois après comblement.
  • Le sulfate de calcium / Lifecore. 4-6 mois. Fragile.

 

Conclusions en 6 réponses

 

Doit-on systématiquement combler après extraction ?

Oui, si l’implantation peut être remise en cause après cicatrisation

 

Le comblement favorise-t-il l’émergence prothétique ?

Oui, directement

 

Doit-on systématiquement extraire et implanter ?

Non, toutes les situations ne le permettent pas

 

Faut-il extraire, combler et implanter (risque d’axe implantaire, d’implant trop gros) ?

Oui, si les conditions le permettent sans perte de chance

 

Faut-il privilégier les petits diamètres en donnant la priorité à l’os ?

Oui, il faut toujours penser aux conséquences futures d’une péri-implantite.

 

Quel matériau privilégier ?

Dans notre pratique, nous utilisons depuis dix ans Bio Bank dans les comblements d’aménagement prothétique conventionnel. Nous privilégions depuis 2020, le Collapat 2 dans tous les comblements de gap péri-implantaire et les comblements post-extractionnels. Enfin, Le GTO est un matériau couteux mais qui fait des miracles après une péri-implantite dévastatrice ou en reconstruction de crête édentée atrophiée.

 

 

Bibliographie

1-Tan WL, Wong TL, Wong MC, Lang NP. A systematic review of post-extractional alveolar hard and soft tissue dimensional changes in humans. Clin Oral Implants Res.2012; 23(Suppl5): 1–21.

2- Chappuis V, Engel O, Reyes M, Shahim K, Nolte LP, Buser D. Ridge alterations postextraction in the esthetic zone: a 3D analysis with CBCT. J Dent Res. 2013; 92(12Suppl): 195S–201S.

3-Mac Beth , Trullenque-Eriksson , Donos , Mardas . Hard and soft tissue changes following alveolar ridge preservation: a systematic review. Clin Oral Implants Res. 2017 Aug;28(8):982-1004.

4-Vignoletti F, Sanz M. Immediate implants at fresh extraction sockets. Periodontol 2000. 2014 Oct;66(1):132-52.

5-Chen ST, Buser D. Esthetic outcomes following immediate and early implant placement in the anterior maxilla-a systematic review. Int J Oral Maxillofac Implants. 2014;29 Suppl:186-215.

6-Tonetti MS, Cortellini P, Graziani F, Cairo F, Lang NP, Abundo R, Conforti GP, Marquardt S, Rasperini G,Silvestri M, Wallkamm B, Wetzel A. Immediate versus delayed implant placement after anterior single tooth extraction: the timing randomized controlled clinical trial. J Clin Periodontol 2017, 44 : 215-224

7-Schwartz-Arad D. Ridge Preservation and Immediate Implantation. London: Quintessence Pub Co; 2012. 294p.

8-Masaki C, Nakamoto T, Mukaibo T, Kondo Y, Hosokawa R. Strategies for alveolar ridge reconstruction and preservation for implant therapy. J Prosthodont Res. 2015; 59(4): 220-8.

9-Pablo Galindo-Moreno et al.The 2nd Baltic Osseointegration Academy and Lithuanian University of Health Sciences Consensus Conference 2019. Summary and Consensus Statements: Group II - Extraction Socket Preservation Methods and Dental Implant Placement Outcomes within Grafted Sockets.J Oral Maxillofac Res. 2019 Jul-Sep; 10(3)

10-Ramanauskaite A1, Borges T2, Almeida BL2, Correia A2, Dental Implant Outcomes in Grafted Sockets: a Systematic Review and Meta-Analysis. J Oral Maxillofac Res. 2019 Sep 5;10(3):e8.

11-Ronald E Jung, Alexis Ioannidis, Christoph H F Hämmerle, Daniel S Thoma. Alveolar ridge preservation in the esthetic zone. Periodontol 2000. 2018 Jun;77(1):165-175. doi: 10.1111/prd.12209. Epub 2018 Feb 27.