Introduction
Une extraction dentaire entraine des remaniements tissulaires qui aboutissent à une perte osseuse. De nombreuses études, sur le chien d’abord puis sur l’humain ensuite, montrent que la perte osseuse qui suit une extraction dentaire est inévitable, rapide ( environ 6 semaines ) et trois fois et demie plus importante chez l’humain que chez le chien. La perte osseuse atteint plus particulièrement le mur vestibulaire de l’alvéole dans le secteur maxillaire antérieur.
L’étude de Chappuis montre également que cette résorption osseuse vestibulaire est plus importante au centre de l’alvéole que sur les parties proximales. Cette perte osseuse est d’autant plus importante que la paroi vestibulaire est fine. Elle peut également entrainer un effondrement des tissus mous qui ne seront plus soutenus. Un élément intermédiaire de bridge peut être alors inesthétique avec un accès à l’hygiène difficile. Une restauration implanto-portée peut également être disgracieuse et perturber l’harmonie du sourire.
Quelle est la conduite à tenir au niveau de cette alvéole déshabitée ? Faut-il combler cette alvéole ? Et si oui quel matériau utiliser ?
Notre philosophie de traitement est fondée sur 2 principes.
- La perte osseuse post-extractionnelle est inéluctable et la majorité des études montrent que la perte osseuse est supérieure lorsque la cicatrisation n’est pas assistée (c’est-à-dire, laisser le caillot sanguin se former et la cicatrisation suivre son cours ).
Nous prendrons donc la décision de combler l’alvéole à chaque fois que cela est possible.
L’utilisation d’un matériau de comblement dans les alvéoles d’extraction, permet de limiter cet effondrement même s’il impossible de l’empêcher. De plus, le fait de ne pas laisser une alvéole vide en comblant l’alvéole, même si l’on n’envisage pas de pose d’implants, maintient le niveau gingival et le succès à long terme des pontiques de bridge.
- Nous essaierons toujours d’être minimalement invasif, c’est-à-dire de limiter le nombre d’interventions chirurgicales avec ouvertures de lambeaux, afin de perturber le moins possible la vascularisation.
Il existe plusieurs techniques et plusieurs biomatériaux, la décision sera prise pour chaque patient de façon personnalisée en tenant compte des facteurs suivants.
Cet article décrira notre réflexion et notre protocole opératoire selon le site concerné.
Il faut garder à l’esprit que l’exposition du matériau de comblement peut être à l’origine d’encapsulation fibreuse ou d’infection des particules de biomatériaux entrainant l’échec de la régénération osseuse. Quelle que soit la technique, la fermeture des tissus sera toujours recherchée afin de protéger les particules. Il sera donc important de passer en revue également les modes de fermeture des alvéoles après comblement (greffon tissulaire, substitut tissulaire ou/et couronne provisoire légèrement compressive au-dessus de l’alvéole).
Si la dent doit être extraite et l’alvéole est intacte ou faiblement endommagée: nous n’élevons pas de lambeau afin de ne pas couper la vascularisation, risquer de laisser des cicatrices gingivales ou déplacer les tissus.
Nous traiterons ce paragraphe au travers d’un cas clinique (cas 1).
Monsieur C, âgé de 40 ans, en bonne santé, consulte pour sa 11 mobile suite à un choc ancien. Une fistule est présente (Fig. 1). Le cône beam permet d’objectiver une fracture radiculaire au niveau de l’apex (Fig. 1b).
Technique opératoire
Deux alternatives thérapeutiques se présentent à nous.
Nous comblerons l’espace entre l’implant et la corticale vestibulaire avec un matériau de comblement à résorption lente. Celui-ci est aéré dans du sérum physiologique ou du sang du patient ou du PRF. Il sera tassé dans l’espace entre l’implant et les murs osseux au moyen d’un fouloir long et fin stérile et dédié à cet usage. Dans ces cas, nous privilégions les particules de petite taille. Par ailleurs, l’implant étant posé, il est peu probable que nous réintervenions sur le site, nous choisissons un matériau à résorption lente type xénogreffe porcine ou bovine (Fig. 4b).
Selon la littérature, la cicatrisation alvéolaire et la régénération osseuse étant supérieures lorsque l’alvéole est fermée, nous envisageons la mise en place d’un greffon conjonctif ou d’une couronne provisoire ou les deux à chaque fois que la stabilité primaire de l’implant et l’occlusion du patient le permettent. Le greffon conjonctif sera prélevé au palais. Si une couronne provisoire implanto-portée est mise en place, le prélèvement au palais peut être réalisé selon la méthode de l’enveloppe car seul le tissu conjonctif est nécessaire dans ce cas. Il sera mis en place et suturé au-dessus des particules et glissé légèrement sous la gencive vestibulaire. Un tout petit tunnel sera réalisé afin de pouvoir immobiliser le greffon sous les tissus.
Si l’implant reste enfoui, une temporisation type Bridge Maryland sera utilisée (Fig. 5). Le greffon prélevé sera alors épithélio-conjonctif et permettra la fermeture de l’alvéole et l’augmentation du volume gingival vestibulaire si nécessaire (Fig. 6).
Après un délai de cicatrisation de 4 mois la restauration définitive sera réalisée (Fig.7)
2. La corticale vestibulaire est endommagée et la pose de l’implant est impossible ou risquée.
Nous réaliserons une préservation alvéolaire. Nous préparons une membrane que nous coupons sèche et que nous ajustons aux dimensions de l’alvéole. Nous utilisons le plus souvent des membranes provenant du talon d’Achille bovin qui se résorbent en 4 à 6 mois (Slow Resorption). Lorsqu’elle est utilisée sèche, cette membrane peut servir de mur de protection pour la corticale vestibulaire. Même si cette corticale se résorbe, ces membranes jouent un rôle de barrière et permettent la migration des cellules ostéoprogénitrices dans le défaut.
Une fois la membrane mise en place, le sang monte dans la membrane et nous la plaquons contre le mur vestibulaire afin de laisser de la place pour le biomatériau. Dans ces cas de préservation alvéolaire, où nous prévoyons de réintervenir dans les 3 ou 4 mois suivants, nous choisissons un matériau type allogreffe. Nous utilisons des particules d’os cortico-spongieux que nous mélangeons avec du sérum physiologique ou avec le sang du patient ou avec des PRF. La mise en place se fait avec un fouloir en essayant de bien remplir l’alvéole mais sans exercer trop de pression. Les allogreffes ont un temps de remodelage de 4 à 6 mois et nous donnent la sensation de forer dans « de l’os dur » au moment de la pose de l’implant.
Enfin un punch de tissu épithélio-conjonctif sera prélevé au palais selon la méthode Zuchelli afin de fermer l’alvéole. Pour le secteur antérieur, le site de prélèvement sera exclusivement choisi au palais afin de répondre à l’exigence de couleur et de texture similaires aux dents voisines.
Si le parodonte est épais, le punch est suturé avec un monofilament 6/0 non résorbable en positionnant le greffon bord à bord.
Si le parodonte est fin, le greffon prélevé sera plus important et sera désépithélialisé sur les bords tout autour et également sur une large partie que nous glisserons et suturerons en tunnélisation vestibulaire.
Dans les cas de préservation alvéolaire où nous ne devons pas réintervenir (pour un élément intermédiaire de bridge), la technique sera identique en tous points, mais le biomatériau choisi sera un matériau à résorption lente et plus stable dans le temps : xénogreffe d’origine bovine ou porcine. La membrane sera identique.
Si la dent à extraire présente une lésion très importante : la perte osseuse qui résulte de cette lésion ne permet pas la pose de l’implant.
Un lambeau va être élevé afin de permettre le curetage minutieux de l’alvéole et la réalisation de la régénération osseuse guidée (ROG).
Un comblement de l’alvéole est souvent complété par une augmentation osseuse et gingivale dans le but de créer un environnement osseux et muqueux favorable à la pose d’un futur implant dans la position idéale requise par la prothèse. Si un bridge est envisagé, la conduite à tenir est la même pour la préservation de l’alvéole et la ROG. Le volume osseux et gingival résultants seront les garants de la pérennité du résultat esthétique.
Il faut noter que la littérature démontre que les lésions apicales d’origine endodontiques ne sont pas une contre-indication à la pose d’implant dans le même temps opératoire que l’extraction mais c’est plutôt la perte osseuse qui en résulte qui peut ne pas permettre l’ancrage de l’implant dans la bonne position. Il n’en est pas de même pour les lésions d’origine parodontales.
Ce paragraphe sera traité avec un exemple clinique (cas 2)
Monsieur V, 35 ans, restaurateur, en bonne santé. Il consulte pour 21 mobile et douloureuse (Fig. 1). Le cône beam met en évidence la perte totale de la corticale vestibulaire et une lésion apicale d’origine endodontique (Fig. 2)
Technique opératoire
Un lambeau de pleine épaisseur est réalisé en évitant de décoller les papilles (Fig. 3).
Le lambeau sera toujours suffisamment étendu pour éviter l’interférence de la membrane avec les sutures et également pour avoir suffisamment de laxité pour la fermeture du lambeau sans tension. Selon le cas, le débridement complet de la lésion est réalisé puis un rinçage avec de la povidone iodée (bétadine) est réalisé. La totalité du défaut doit être objectivée.
Une membrane à résorption lente est préparée et trempée dans du sérum physiologique. Nous utilisons le plus souvent des membranes provenant du talon d’Achille bovin qui se résorbent en 4 à 6 mois. Une fois trempées pendant 10 minutes, ces membranes deviennent élastiques et faciles à manipuler tout en gardant leurs qualités mécaniques et biologiques. Ces membranes peuvent être découpées, sèches ou mouillées, elles peuvent être suturées ou fixées avec des pins en titane.
Pour ce qui concerne le substitut osseux, nous choisissons d’utiliser un mélange 50% allogreffe et 50% xénogreffe d’origine bovine ou porcine. Pour ce faire, nous faisons 2 petits tas de biomatériaux à peu près équivalents dans une cupule puis nous mélangeons avec du sérum physiologique, du sang du patient ou du PRF. La différence de couleur, de texture et de granulométrie est visible entre les 2 matériaux. Nous laissons le matériau quelques minutes s’imbiber avant de l’amener en bouche.
Pour répondre au principe de la ROG, qui consiste en l’immobilisation du biomatériau, il faut fixer la membrane : nous utilisons des pins en vestibulaire et des sutures en palatin. Une fois la membrane suffisamment immergée, nous la découpons aux dimensions qui permettront de couvrir la totalité du défaut agrandie de la taille des particules. Puis nous l’immobilisons en vestibulaire au moyen de pins en titane. Nous pouvons aussi commencer par immobiliser la membrane puis la découper ensuite avec des ciseaux à gencives. La membrane est immobilisée avec 2 pins quelques millimètres au-delà du fonds de l’alvéole puis élevée avec le lambeau pendant le remplissage de celle-ci. Le mélange de substituts osseux est tassé pour remplir l’alvéole et le défaut est toujours surcorrigé (Fig. 4). La membrane est ensuite rabattue au dessus de la crête osseuse et suturée en palatin (Fig. 5).
L’immobilisation de la membrane et du matériau est vérifiée et un peu de matériau est rajouté par les faces latérales en passant sous la membrane tendue. Le défaut est ainsi totalement comblé et les matériaux sont immobilisés par la tension de la membrane. Pour la fermeture des tissus, nous éviterons de tirer sur les tissus afin de ne pas déplacer la ligne muco-gingivale ou risquer une exposition de la membrane qui pourrait être délétère pour le résultat final.
De plus nous souhaitons augmenter la quantité de gencive kératinisée. Nous réalisons un prélèvement épithélio-conjonctif au palais, zone de prélèvement privilégiée pour le secteur antérieur. Une partie du greffon sera désépithélialisée et suturée en vestibulaire (pour l’augmentation vestibulaire) et une partie restera épithélialisée afin d’assurer la couverture et la fermeture de l’alvéole (Fig. 6).
Les sutures sont réalisées avec un fil monofilament 6/0. Elles seront déposées à 3 semaines. Les contrôles de cicatrisation, clinique (Fig. 7), et radiographique (Fig. 8) sont réalisés 4 mois à 6 mois plus tard en vue de la planification virtuelle et de la réalisation d’un guide Safe. Ce guide permettra le forage et la mise en place de l’implant sans lambeau (Fig. 9).
L’augmentation osseuse couplée au comblement alvéolaire et au réaménagement tissulaire permettent à ce stade de poser l’implant dans la position idéale pour la restauration prothétique. Une couronne provisoire sera mise dans le même temps opératoire afin de réaliser la mise en condition tissulaire et le manchon gingival qui en résulte sera le garant du succès esthétique de la restauration prothétique (Fig. 10 et 11).
Extraction unitaire postérieure
Dans les sites prémolaires ou molaires unitaires, nous préférons de façon générale extraire la dent et attendre la fermeture gingivale naturelle, pendant six à huit semaines, puis réaliser un comblement différé qui sera protégé par les tissus mous cicatrisés et qui nous permettront de fermer le lambeau sans tension. Nous pourrons décider à ce moment-là de la pose d’un implant si la stabilité primaire le permet. Il est important de garder à l’esprit que pour les sites molaires, la cicatrisation osseuse se fera au maximum au niveau des septa osseux tels qu’ils sont avant l’extraction.
L’extraction de la molaire est réalisée de façon atraumatique en découpant la racine autant que nécessaire pour éviter de toucher aux parois osseuses.
Un curetage minutieux de l’alvéole au niveau de chaque racine est réalisé en éliminant tout le tissu de granulation puis une irrigation avec de la povidone iodée est effectuée. Après rinçage au sérum physiologique, une éponge de collagène est mise en place et découpée de façon à combler chaque racine et laisser une partie plus large pour la partie coronaire de l’alvéole. La fermeture de l’alvéole à ce stade n’est pas nécessaire. Un simple rapprochement des berges avec un fil de suture monofilament 5/0 non résorbable, est réalisé. Une compression avec plusieurs compresses humides roulées est effectuée tout de suite afin de favoriser la formation du caillot et la fermeture des tissus. La ré-entrée dans ce site se fera 8 semaines plus tard, après fermeture totale des tissus mous. Le comblement et éventuellement la pose de l’implant dans le même temps opératoire se feront à ce stade selon les mêmes principes que ceux exposées pour le secteur antérieur.
Une autre technique consiste à combler l’alvéole tout de suite après l’extraction. Le matériau de comblement est choisi en fonction de la nécessité ou non de réintervention dans ce site, en respectant les mêmes règles que nous nous sommes fixées pour le secteur antérieur. La fermeture du site se fait alors avec un punch épithélio-conjonctif (prélevé à la tubérosité ou au palais), un matériau type socket seal, ou bien une membrane non résorbable suturée sur le dessus de l’alvéole qui restera exposée. Si l’implant est posé dans le même temps opératoire, une vis de cicatrisation personnalisée type « SSA » pourra être utilisée pour la fermeture de l’alvéole. Selon les systèmes il peut exister plusieurs moyens de fabriquer des vis de cicatrisation aux dimensions de l’alvéole. Le matériau de comblement pourra être un matériau à résorption lente dont la stabilité est prouvée dans le temps puisque aucune réintervention ne sera prévue dans les mois suivants.
Extractions multiples
Lors d’extractions plurales le problème de la fermeture des tissus se pose moins car plusieurs alvéoles vides voisines entrainent de fait une laxité qui permettra la fermeture des tissus. Nous opterons pour un comblement immédiat des alvéoles après curetage minutieux puisque le problème de la fermeture des tissus ne se pose plus. Le choix du biomatériau et de la technique se feront en respectant les facteurs décisionnels cités au début de l’article ainsi que les protocoles opératoires décrits dans les paragraphes précédents.
Conclusion
La position tridimensionnelle d’un implant a une importance majeure pour le résultat esthétique des restaurations implanto-portées dans le secteur antérieur et le résultat fonctionnel des restaurations implanto-portées dans le secteur postérieur. Celle-ci dépend du volume osseux. Il en est de même pour les éléments intermédiaires de bridge.
Nous adoptons l’attitude de ne jamais laisser une alvéole vide. Le mode de comblement de cette alvéole sera différent selon le choix thérapeutique.
Toutes les revues de littérature s’accordent à dire que la préservation alvéolaire permet de réduire la résorption osseuse mais aucune ne donne pas de supériorité d’une technique par rapport à une autre ou d’un biomatériau par rapport à un autre. Notre réflexion sera toujours basée sur des traitements minimalement invasifs et « sur mesure » pour chaque patient.
Bibliographie
Retour au Dossier AO News #62 L'alvéole, l'essentiel - Novembre 2023