Introduction
Depuis une quinzaine d’années, la demande de traitements orthodontiques par aligneurs connait un essor considérable et un engouement grandissant auprès de nos patients adultes pour plusieurs raisons avec entre autres :
- Peut-on traiter tous les patients adultes sachant que selon une étude épidémiologique, 50% de la population entre 35 et 65 ans présente une parodontite?
- Quelle est la conduite à tenir face à ces patients? Quels sont les impératifs à respecter ?
- Quels seront les objectifs de traitement ?
L'importance et l’équilibre de l'esthétique blanche et rose ne sont plus à démontrer puisque la gencive est un écrin qui met en valeur la composition dentaire.
Pour débuter nos « cas paro/ortho » et ce, comme dans tous les traitements, l’étape de diagnostic ainsi que l’anamnèse du patient, l’évaluation des facteurs de risque (ses antécédents, son immunité, ses habitudes alimentaires, sa consommation de tabac, d’alcool, sa résistance au stress…), l’examen des conditions parodontales et la détermination du phénotype parodontal sont les clés de voûte de la réussite. Une phase initiale suivie d’un temps de réévaluation avant d’attaquer la phase parodontale médicale et /ou chirurgicale puis une phase de maintenance sont nécessaires avant de planifier la thérapeutique pluridisciplinaire orthodontique et restauratrice.
Ces étapes sont parfois gérées par plusieurs confrères et nécessitent donc coordination et efficacité le tout dans l’intérêt de préservation maximale du tissu dentaire. Les migrations dentaires pathologiques (MDP) inhérentes et /ou conséquentes aux parodontites (près de la moitié des patients avec une atteinte parodontale modérée à sévère ont des déplacements dentaires) représentent un motif important de consultation car très souvent, dans les formes sévères, la fonte osseuse ou lyse osseuse, l’inflammation parodontale et la laxité ligamentaire desmodontale vont entraîner la migration et le déplacement des dents (essentiellement dans le secteur antérieur). D’autres facteurs qui peuvent être anatomiques (lèvres, langue) ou liés à des habitudes nocives, à la mastication, à du tissu de granulation peuvent encore faire empirer ces mouvements dentaires. Bien souvent, les surcharges occlusales initiales ou les traumas occlusaux liés à ces déplacements dentaires aggravent encore la situation initiale. Ces malpositions sont parfois associées à des lésions osseuses importantes nécessitant des techniques de régénération parodontale pré orthodontique pour reconstruire les tissus lésés avant de pouvoir mener à bien et sereinement l’alignement dentaire.
Ces MDP ne sont pas seulement inesthétiques car elles entrainent en général des problèmes fonctionnels occlusaux ,masticatoires, de phonation et une perte de confiance en soi avec un sourire que l’on se met à dissimuler par gêne ou honte. Si l’orthodontie peut corriger ces déplacements et permettre de retrouver une stabilité occlusale indispensable (elle ne peut et ne doit le faire que dans un contexte de parodonte sain, pré requis absolu) , elle n’est pas toujours suffisante pour gommer tous les aspects inesthétiques des fameuses dents longues, des triangles noirs, des diastèmes disgracieux, de la dysharmonie des collets … et bien souvent une prise en charge restauratrice complémentaire minimalement invasive sera nécessaire et envisagée dès le début du traitement en recourant aux notions de Gradient thérapeutique, de collage et de biomimétisme.
Les processus biologiques de cicatrisation initiés lors de traitements d’assainissement ou de régénération parodontaux étant similaires à ceux impliqués lors du remodelage osseux généré par un traitement orthodontique, on peut concevoir, dès lors, que la symbiose de ces thérapeutiques permette une véritable synergie « orthodontie-parodontie » aboutissant au rétablissement, certes de l’esthétique mais également de la fonction dans un environnement parodontal à nouveau sain même si ce dernier est réduit et ce, à court, moyen et long terme si le suivi est opéré de façon rigoureuse.
La connaissance de la biomécanique des mouvements dentaires est indispensable. Certains peuvent être délétères pour le parodonte et d’autres peuvent aider à replacer racines et couronnes dans des axes favorables allant dans le sens de l’amélioration, voire de la guérison des lésions. Les mouvements comme l’expansion transversale, la translation vestibulaire ou méso distale, le torque radiculo vestibulaire, les rétrusions, les versions sont des mouvements sensibles voire risqués selon le contexte parodontal.
A retenir
Si la plus grande prudence est requise pour les patients présentant des récessions gingivales multiples ou pour ceux atteints d‘une maladie parodontale avec ou sans migrations dentaires pathologiques, le consensus aujourd’hui est celui-ci : un parodonte sain est un pré requis à tout traitement orthodontique.
L’assainissement parodontal et la maîtrise de l’infection bactérienne avant, pendant et après le traitement d’alignement sont donc non négociables et c’est en respectant scrupuleusement cela que l’on pourra constater que l’orthodontie par aligneurs peut participer à l’amélioration de l’environnement parodontal puisqu’elle permet non seulement la mise en place d’une meilleure hygiène bucco-dentaire que les traitements multiattaches, (rappelons que l’encombrement est un facteur hôte de la plaque dentaire), mais également à repositionner les dents dans leur couloir osseux, à mieux répartir les forces occlusales, à limiter la mobilité de certaines dents, à corriger les migrations dentaires pathologiques, à réaligner des collets ou des bords libres, à fermer les triangles noirs….
Il faudra bien sûr accepter un compromis de traitement car les objectifs de traitement esthétiques et fonctionnels ne seront pas idéaux même si la compréhension de la biomécanique des aligneurs est acquise.
Les forces appliquées devront être contrôlées et adaptées car la réaction tissulaire étant corrélée à la pression exercée (ratio de la force sur la surface radiculaire intra osseuse), plus le parodonte est réduit et plus les forces appliquées devront être faibles, d’intensité maîtrisée et continues en gardant en mémoire l’apicalisation du centre de résistance et en recourant quelquefois à des minivis comme ancrages…
L’orientation et l’intensité des forces devront également être validées pour éviter les résorptions radiculaires, les déhiscences et les fénestrations; les outils actuels permettent d’ailleurs de vérifier les mouvements dentaires coronaires et radiculaires effectués sur certaines dents « sensibles ».
Les choix thérapeutiques en termes de nombre d’aligneurs, de taquets, de durée de port, de hauteur des gouttières et d’entretien des aligneurs seront également à prendre en compte.
La compliance du patient, le suivi de traitement et la phase de contention ont une importance cruciale.
Selon des études, le traitement d’alignement pourra être débuté 4 semaines après la fin d’un traitement d’assainissement parodontal et 6 semaines après une chirurgie parodontale mais je préfère avoir une phase de temporisation, revoir mes patients en contrôle pour être plus sereine quant à leur implication et leur suivi des conseils d’hygiène bucco-dentaire donnés (le révélateur de plaque reste mon meilleur allié pour cela).
Conclusion
La synergie entre l'orthodontie et la parodontologie est primordiale en termes de préservation de la santé bucco-dentaire de nos patients. Les bienfaits de l’orthodontie sur des patients au parodonte réduit permettent :
En parallèle, la parodontologie, en traitant les anomalies des tissus de soutien des dents, crée un environnement sain qui favorise le bon alignement dentaire et ce :
Un parodonte sain est et reste un pré requis à tout traitement d’alignement. Cette collaboration optimise les résultats esthétiques et fonctionnels, garantissant non seulement un sourire harmonieux mais également la longévité des dents en permettant de s’inscrire dans une dentisterie minimalement invasive soucieuse de préservation tissulaire.
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