Quoi de plus rébarbatif que de parler de désordres articulaires et musculaires un jeudi soir… ?
C’était sans compter sans l’équipe compétente et dynamique de Florent Destruhaut qui nous a proposé un titre très original : Occlusodontie, et si nous révisions nos gammes… ? Une soirée articulée sur 3 ateliers animés par le Pr Destruhaut lui-même (Maître de Conférences des Universités, Praticien Hospitalier), Antonin Hennequin (Assistant hospitalo-universitaire) et Julie Machuret (Kinésithérapeute maxillo-faciale ).
1° atelier : entretien semi-directif avec évaluation psychométrique du patient
2° atelier : examen clinique occlusodontique : examen musculaire, articulaire et cinématique
3° atelier : kinésithérapie : initiation aux techniques de rééducation linguale (un % très important de patient souffrant de DTM présentent une déglutition atypique.)
Finis les dogmes que nous avons tous appris il y a quelques années !
Apprendre à prendre en charge des patients en difficultés qui ne trouvent souvent pas écoute auprès des dentistes en occlusodontie (errance diagnostique de 5 ans en moyenne avant de trouver un dentiste compétent dans ce domaine) était le fil directeur de la soirée. 80% des DTM peuvent être prise en charge en omni pratique en collaboration avec un kinésithérapeute spécialisé. Les traitements retenus doivent être autant que possible simples, réversibles, peu invasifs et en général multimodaux (kinésithérapie, orthèse et rééducation thérapeutique).
En résumé, on ne traite pas un patient, on ne guérit pas, mais on prend en charge un patient...Tout un programme…
Les désordres temporo-mandibulaires (DTM) sont des myo-arthro-pathies, aigües ou chroniques, caractérisées par des douleurs oro-faciales persistantes et parfois très invalidantes. Ce sont des pathologies complexes, multiformes et encore mal connues, multi-étiologiques dont l’évaluation devrait comporter plusieurs volets : traumatique, génétique, hormonal, somatique (occlusal, oro-facial, postural), psychologique, socio-culturel, qualité du sommeil. Selon l’American Academy of Cranio-Mandibular-Disorders, 75% des sujets d’une population non-sélectionnée auraient un signe de dysfonction de l’articulation temporo-mandibulaire (ATM) et 33%, une association algie/gnathosonie (1). Les DTM sont une cause majeure de douleurs oro-faciales d’origine non-dentaire et se caractérisent par un des trois signes suivants (ou leurs associations) : gnathosonie des articulations temporo-mandibulaires (ATM), algies intermittentes ou persistantes intéressant préférentiellement les muscles masticateurs et/ou les ATM, dyskinésies ou troubles de la cinématique mandibulaire. Ces désordres s’accompagnent de douleurs oro-faciales, de difficultés à l’ouverture buccale et lors de la mastication, de douleurs musculaires localisées ou à distance (à un autre endroit de l’organisme comme le dos, le cou, les épaules), de maux de tête, de problèmes d’auditions (acouphènes), pouvant être très handicapants et amenant progressivement à une dégradation significative de la qualité de vie du patient (2). La difficulté de la prise en charge de ces pathologies réside dans le grand nombre et l’intrication de cofacteurs impliqués dans la genèse, le déclenchement et l’entretien de ces désordres (3). Ces difficultés d’analyse compliquent la thérapeutique et le pronostic, et conduisent le patient à un sous-diagnostic, une errance thérapeutique et parfois à des traitements inappropriés. Aucune thérapie optimale n’a véritablement émergé. (Fig.1)
Les stratégies de prises en charge des DTM ne sont pas basées sur le traitement de l’étiologie car elle est elle-même mal connue et difficile à déterminer, mais basées sur des stratégies de diminution de la douleur, de réadaptation fonctionnelle de l’appareil manducateur et d’accompagnement du handicap (Fig.2). Le consensus actuel est de privilégier une prise en charge multimodale (association de plusieurs thérapies), réversible et la moins invasive possible. Les thérapies comportementales, cognitives et psychologiques peuvent faire partie du traitement global en raison de l’impact des facteurs psychosociaux (axe II) dans le déclenchement et l’entretien des DTM, tout comme l’utilisation d’un traitement médicamenteux (4), d’orthèses occlusales (de reconditionnement neuro-musculaire, de Michigan, d’antéposition) (5), de physiothérapie (kinésithérapie maxillo-faciale, ostéopathie, auto-exercices) (6) et rarement de la chirurgie, plutôt indiquée en deuxième intention (arthroscopie, arthrosynthèse, injections). (7)
Conclusion
A l’heure actuelle, le consensus est de suggérer que les traitements de DTM doivent être peu invasifs et aussi réversibles que possible (8) (9). Le chirurgien-dentiste, en tant qu’acteur de santé, doit être conscient du risque de chronicisation de tous types de douleur, et en particulier des DTM. Dans l’approche de la douleur chronique, l’objectif actuel est la recherche de la diminution du handicap et la réduction de la perception de la douleur, dans le cadre d’une approche bio-psycho-sociale.
Bibliographie :
1. Cheynet F, Orthlieb JD, Saint-Pierre F. Orthèses (gouttières) occlusales : indications dans les dysfonctions temporo-mandibulaires. Recommandations de bonne pratique. Société Française de Stomatologie, Chirurgie Maxillo-Faciale et Chirurgie Orale, 2016 : 54p.
2. Aguila M, Benichou M, Hennequin A, Grégoire G, Destruhaut F. Temporo-mandibular disorders: Benefits of a cervical therapeutic approach in facial myalgia treatment. Oral Health and Care 2019.
3. Schiffman E, Ohrbach R, Truelove E, Look J, & al. Diagnostic Criteria for Temporomandibular Disorders (DC/TMD) for Clinical and Research Applications: Recommendations of the International RDC/TMD Consortium Network and Orofacial Pain Special Interest Group. J Oral Facial Pain Headache 2014;28(1):6-27.
4. Mujakperuo HR, Watson M, Morrison R, Macfarlane TV. Pharmacological interventions for pain in patients with temporomandibular disorders. Cochrane Database Syst Rev 2010;6(10):CD004715.
5. Nilner M, Steenks M, De Boever J, Ciancaglini R, Könönen M, Orthlieb JD & al. Guidelines for curriculum of undergraduate and postgraduate education in orofacial pain and temporomandibular disorders in Europe. J Orofac Pain 2003;17(4):359-62.
6. Medlicott MS, Harris SR. A systematic review of the effectiveness of exercise, manual therapy, electrotherapy, relaxation training, and biofeedback in the management of temporomandibular disorder. Phys Ther 2006;86(7):955-73.
7. Guo C, Shi Z, Revington P. Arthrocentesis and lavage for treating temporomandibular joint disorders. Cochrane Database Syst Rev 2009;7(4):CD004973.
8. Goddard G, Greg G. Temporomandibular disorders, a review of current diagnosis and treatment. Dental Cadmos 2018.
9. Gil-Martínez A, Paris-Alemany A, López-de-Uralde-Villanueva I, La Touche R. Management of pain in patients with temporomandibular disorder (TMD): challenges and solutions. Journal of Pain Research 2018;11:571-587.
* Assistant hospitalo-universitaire, co-responsable du DU d’Occlusodontie et de Réhabilitation de l’Appareil Manducateur de Toulouse, exercice libéral (Cahors)
** Kinésithérapeute maxillo-faciale (Toulouse)
*** Maître de Conférences des Universités, Praticien Hospitalier, Expert près la Cour d’Appel de Toulouse, co-responsable du DU d’Occlusodontie et de Réhabilitation de l’Appareil Manducateur de Toulouse (UPS Toulouse III / CHU Rangueil)