Introduction
Les BCCAC ont été introduits pour la première fois en 1997 par Kern (1). Les premiers résultats cliniques ont été publiés après 5 ans en 2005 (2) et confirmés après 15 ans (3), montrant d'excellents taux de survie. Cela à même amené à considérer les bridges collés cantilever antérieurs comme la première option, avant la réalisation d’implants pour compenser un édentement antérieur unitaire. Ces résultats sur une ailette sont de plus bien supérieurs à ceux des bridges collés à deux ailettes, comme l'a rapporté Wei en 2016 (4). La technique décrite par Kern et Glaser (5) est donc efficace dans les situations où les incisives centrales ou latérales maxillaires ou mandibulaires sont manquantes, avec de très bons résultats à long terme.
Le succès des BCCAC repose au moins sur les 3 points suivants :
En fait, tous les facteurs de succès des BCCAC pourraient être retrouvés dans le secteur postérieur, et ce, même si les contraintes mécaniques sont plus importantes. Par analogie avec la définition des BCCAC, les BCCPC seront mono-ailette et remplaceront une canine, une prémolaire ou une molaire.
Depuis mars 2012 (9), nous testons empiriquement cette nouvelle thérapeutique dans des situations cliniques où l'implantologie est contre-indiquée, avec le consentement éclairé des patients. Les premiers excellents résultats nous ont conduit à une étude plus poussée de cette technique notamment pour son évaluation biomécanique (10) dans le cadre d'un consortium d'universitaires de Genève, Paris et Lille. Nous avons alors décidé d'enseigner cette technique à nos étudiants dans le cadre de leur cursus initial, étant donné que le risque encouru est très limité pour le patient avec des préparation amélaires. Nous avons donc établi une série de recommandations cliniques depuis le choix de la dent pilier en passant par la préparation, la conception, en allant jusqu'au collage. Cependant, il est important de noter que ce traitement est encore considéré comme expérimental en raison du manque de données scientifiques soutenant son utilisation, du faible nombre de cas publiés et du nombre total limité de cas traités. Il existe cependant trois études cliniques supportant son utilisation. Celle de Yazigi et Kern (2022) (11) est une étude rétrospective sur 12 ans (suivi moyen de 53 mois), et celle de Passia et al. (2023)(12) est prospective avec un suivi moyen de 22,5 mois. Les deux études ont atteint un taux de survie de 100 %. Une troisième étude (Lam et al., 2024) (13) prospective sur 3 ans de recul montre des résultats moins spectaculaires (survie de 88%) mais cependant suffisamment bons pour que les auteurs confirment le caractère prometteur des BCCPC.
La question qui se pose est la suivante :
faut-il attendre d'avoir d'autres preuves pour commencer à communiquer et à publier sur une technique qui peut rendre d'innombrables services au quotidien avec un risque limité ? A ce stade précoce de la connaissance scientifique de la technique, il nous semble possible, sans trahir l'esprit de l'evidence-based dentistry (14), de commencer à enseigner les BCCPC, de partager avec les praticiens les premières recommandations cliniques que nous donnons à nos étudiants, en illustrant cet article à l'aide de leurs cas cliniques essentiellement.
Temps par temps enseigné à nos étudiants dans les services d'Odontologie de Charles Foix et de Bretonneau
En utilisant les données actuelles de nos propres recherches biomécaniques, celles de Matthias Kern et de son équipe, et notre propre expérience clinique, nous avons développé pour nos étudiants un protocole étape par étape pour la réalisation des BCCPC.
Analyser l'édentement (largeur, hauteur, crête édentée) (Fig. 1) et les dents adjacentes
La première étape est l'analyse de l'édentement (en termes de largeur et de hauteur) et de la forme de la crête édentée en anticipation de la position de l'intermédiaire de bridge.
Si la largeur de l'édentement est plus petite ou égale à la taille moyenne de la dent absente, la situation est favorable. Autrement nous envisagerons la mise en place d'une restauration collée sur la dent qui ne servira pas de pilier pour réduire l’étendue de l’édentement. Si cette dent est saine, alors ce sera par le biais d’un rajout de composite direct, si cette dent est porteuse d’une restauration partielle collée ou d’une couronne, la réfection de celle-ci pourra être considérée. Concernant la forme de la crête édentée, si celle-ci est trop horizontale en secteur esthétique, nous réaliserons comme dans le secteur antérieur une ovalisation avec une gouttière ou une prothèse amovible avant la préparation et la prise d’empreinte pour maximiser l’intégration esthétique.
Nous analyserons aussi les dents adjacentes (dent saine ou restaurée, rotation, mésio position...etc). Nous sélectionnerons de préférence une dent saine pour le pilier du BCCPC.
Si la dent que l'on doit choisir comme pilier est restaurée, nous évaluerons la cohésion mécanique des tissus résiduelles avant de poser l'indication. Par cohésion nous entendons par persistance d’un substrat majoritairement amélaire après préparation et la préservation des crêtes marginales ou non de la dent support (la perte d’une crète étant un élément défavorable mais non rédhibitoire, la perte de deux crètes étant jusqu’à présent rédhibitoire).
Marquer les points occlusaux
Le marquage des points d'impacts occlusaux (Fig. 2) est essentiel car il permet :
La figure 3 montre un exemple où le marquage des points d'impact occlusaux et l'analyse des dents adjacentes permet de sélectionner la dent support et de concevoir la forme de la préparation.
Les principales formes de préparation
Il existe en réalité un certain nombre de formes de préparation proposées à l’international pour la réalisation de BCCPCs. Concernant les appuis sur canine, la préparation est similaire à celle qui serait faite avec une extension mésiale pour la réalisation d’un BCCAC. Cependant, les préparation sont bien plus différentes pour les appuis prémolaires ou molaires. La figure ci-dessous (Fig.4) résume l’intégralité des formes de préparation qui ont été proposées ou évaluées in-vitro pour les prémolaires ou les molaires.
La figure 5 donne un exemple plus clinique et visuel des formes de préparations standard réalisées par notre équipe en présence d’une dent saine sans restaurations préalable.
Temps par temps de la préparation
La dent support déterminée et les éventuels ajustements de diamètre mésio-distal de l’édentement ou gingivaux effectués, il vient alors le moment de la préparation où nous proposons la séquence suivante à systématiser.
Coloration du pilier d'appui
La préparation intra-amélaire étant difficile à visualiser en raison de la réflexion spéculaire de l'émail, en particulier dans les préparations très fines, Matthias Kern a conseillé de colorer la dent avec un feutre avant de commencer la préparation. L’ensemble de l’équipe ne le réalise plus systématiquement mais cela est essentiel pour les premiers cas.
Au niveau du point d'impact occlusal
Lorsqu'il est décidé de recouvrir un point d'impact occlusal, nous utiliserons une fraise de réduction occlusale calibrées à 0,5 mm au niveau du point d'impact. Nous limitons cette préparation calibrée aux points d'impact occlusaux.
Coronoplastie antagoniste
L'épaisseur de l'ailette au niveau des points d'impact devant être de 0,7 mm, il sera nécessaire de réaliser une légère coronoplastie antagoniste de 0,2 mm. Le patient doit être informé de cette procédure soustractive lors de la première consultation. Nous pouvons lui expliquer les problèmes de cohésion biomécanique liés à la préparation intra-émail et la qualité attendue du collage.
Suite de la préparation
Canines
Lorsque la canine est choisie comme pilier pour un cantilever distal, nous réalisons une simple facette linguale, en veillant à préserver les contacts occlusaux stratégiques et en engageant bien la fraise sur la face distale pour optimiser la connexion (Fig. 3).
Prémolaires
En général, la surface vestibulaire est conservée intacte pour des raisons esthétiques. Après avoir effectué la réduction occlusale avec la fraise calibrée, la préparation est réalisée en 4 étapes (Fig. 6).
Dans les cas où l'occlusion est favorable, les préparations peuvent être beaucoup moins mutilantes, en respectant toujours ces 4 étapes (Fig. 7).
Molaires
Pour la préparation des molaires, bien que plusieurs géométries aient été proposées in vitro (15) notre expérience clinique suggère 3 possibilités, en fonction de l'occlusion clinique et des impératifs esthétiques : couvrir toute la surface occlusale comme une facette occlusale (Fig. 8) ; couvrir seulement les 2 cuspides proximales et s'arrêter à mi-chemin de la surface occlusale (Fig. 9) et enfin couvrir seulement une cuspide mésiale pour préserver l'esthétique ou les contacts d'une cuspide d'appui (Fig. 10).
Empreinte
L'empreinte numérique est préférable, car elle permet de vérifier que les épaisseurs requises ont été respectées via l'onglet « analyse de la préparation » (Fig. 11).
Discussions avec le prothésiste dentaire
La technique du cantilever postérieur étant encore relativement peu connue, il est bon d'apprendre aux étudiants à communiquer avec le prothésiste dentaire. En dehors de la transmission des couleurs, il faudra :
Collage
Le collage est réalisé de la même manière que dans le secteur antérieur, en colorant l'intrados de l'ailette, en le sablant avec de l'oxyde d'aluminium de 50 µm pendant 10 secondes, puis en utilisant un primer MDP et un adhésif dual. Pour le moment, nous préférons encore utiliser une colle duale avec la molécule de 10 MDP contenue dans le composite (Panavia F2.0 - Kuraray).
Réglages occlusaux
Une photo de l'occlusion est prise avant le collage, et l'ajustement consiste simplement à trouver les contacts occlusaux initiaux. Cette étape est suivie d'un polissage rigoureux sous irrigation.
Conseils de maintenance
Comme dans le secteur antérieur, nous continuons à faire confiance à la proprioception du patient. Nous disons au patient d'utiliser le bridge en fonction de ce qu'il pense pouvoir faire.
Discussion
Les premières études cliniques et in vitro, ainsi que notre propre expérience clinique, montrent que la technique des BCCPC est prometteuse, même si elle n'apporte pas encore les preuves que la communauté attend en termes d'evidence based dentistry.
Cependant, dans les situations où l'implantologie est contre-indiquée, ses indications sont séduisantes. Dans les situations où l'implantologie est possible, il faut rappeler que le taux d'échec en implantologie, même s'il semble difficile d'en connaître l'ampleur exacte (17) n'est pas négligeable. D'autre part, il est difficile, en dehors de la maintenance parodontale, de définir un profil de patients susceptibles de subir un échec implantaire (18) et donc d'anticiper les complications. Certains (11) suggèrent même de comparer les premiers résultats des bridges cantilever avec la survie des implants19 concluant prudemment que la technique collée est très prometteuse.
En l'absence de données scientifiques indiscutables, les recommandations concernant le concept et le design dans cet article sont donc basées sur une combinaison de données provenant d'études in vitro, in silico et cliniques.
Pour le choix de la dent pilier, on recherchera si possible une dent saine, afin de réaliser les préparations intra-émail, de permettre un bon collage et surtout de maintenir la couronne dentaire la plus cohésive possible. Nous ne savons pas encore si la présence d'un composite réduit le pronostic de la restauration, mais nous pensons que cela dépendra du volume du composite. Nous n'avons pas de raison de penser qu'une extension distale pose problème par rapport à une extension mésiale.
Les études biomécaniques antérieures (10) nous ont permis de choisir un matériau à haute résistance avec la zircone 3YTZP monolithique en évitant la zircone multicouche (20), de veiller à obtenir lors de la préparation une hauteur de connexion h significative (plus cruciale que la largeur, et de soulager les contacts occlusaux à distance de la connexion. L’application stricte de ces paramètres, ainsi que les connaissances issues de nos précédents articles nous apparaissent comme un prérequis indispensable avant la réalisation d’un BCCPC. Celui-ci étant faussement simple à la réalisation de part une réalisation clinique très facile sans anesthésie mais nécessitant un grand nombre de points de vigilance et une collaboration praticien-prothésiste forte.
Conclusions
Les bridges céramiques cantilever ou postérieurs constituent une option de traitement intéressante car ils permettent de remplacer une dent manquante avec une mutilation dentaire minimale lorsque l'implantologie n'est pas indiquée. Lorsque l'implantologie est possible, il appartient au clinicien d'évaluer le rapport bénéfice-risque de cette solution, en fonction de la situation clinique, de ses préférences et de celles du patient, et de la comparer à l'implantologie. Les recommandations cliniques que nous proposons sont celles que nous enseignons à l'Université Paris Cité et évolueront en fonction des nouvelles données cliniques et scientifiques disponibles.
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