Introduction
Au cours des dernières années, l'impression 3D s'est intégrée dans de nombreux secteurs, et a notamment trouvé une place toute particulière en dentisterie. Cette technologie innovante et prometteuse offre de nouvelles perspectives en matière de prise en charge et de traitement, tant au laboratoire de prothèse qu'au cabinet dentaire. Dans ce contexte, il paraissait naturel d'intégrer cette avancée technologique dans l'enseignement initial d’odontologie, ce qui permettait par ailleurs de familiariser les étudiants avec cette innovation qui fera partie intégrante de leur quotidien. Selon un rapport du ministère de l'Éducation du Royaume-Uni (1), les imprimantes 3D ont un potentiel important en tant que ressource pédagogique et peuvent avoir un impact positif sur l'engagement et l'apprentissage des élèves. De nombreuses disciplines médicales utilisaient déjà cette technologie à des fins de formation (2-5), notamment pour produire des supports pédagogiques pour des travaux pratiques, proches des conditions réelles et à coût réduit (6).
Cet article présente différentes manières de mettre l’impression 3D au service de la pédagogie, à travers des projets menés au sein de l'Université Paris Cité.
Le simulateur parodontal imprimé pour l’apprentissage des principaux actes cliniques
À l’Université Paris Cité, l'enseignement des connaissances théoriques et du traitement des lésions infra-osseuses (LIO) et des lésions inter-radiculaires (LIR) en parodontologie a lieu en 5ème année. La thérapeutique parodontale utilisant l'instrumentation ultrasonique pour ces LIO/LIR est une discipline de la chirurgie dentaire particulièrement exigeante et minutieuse. En pratique, les étudiants et les praticiens novices rencontrent des difficultés à instrumenter les zones parodontales aux reliefs muqueux et osseux complexes, faute de formation pratique préalable suffisante. Certains travaux pratiques de parodontologie, comme les lambeaux et sutures, sont réalisés sur des simulateurs animaliers (mâchoires porcines). Cependant, ces supports s’éloignent anatomiquement de la réalité clinique humaine, posent des problèmes éthiques et religieux (7,8), et représentent une logistique et un coût significatifs pour l’Université.
Le présent projet visait donc à créer et évaluer un simulateur pédagogique – un maxillaire et une mandibule en situation de parodontite – fabriqué par impression 3D pour l'enseignement du traitement des lésions infra-osseuses et inter-radiculaires. L'objectif était de permettre aux utilisateurs d'acquérir une meilleure maîtrise du traitement parodontal en clinique.
La création de ce simulateur a été rendue possible grâce à la diversité des technologies et des matériaux d’impression 3D disponibles. La technologie d'impression en cuve de résine StereoLithography Apparatus (SLA) (Form 3BL, Formlabs®) a été choisie pour son volume d'impression élevé, son coût raisonnable et son large choix de résines polymères techniques et biocompatibles (9-11). Trois types de résines différentes ont été utilisées pour les trois composants principaux du simulateur : l’os basal et alvéolaire (résine Model V3 Formlabs®), les dents (résine A1 teeth, Formlabs®) et la gencive (résine Flexible 80A, Formlabs®), qui ont été imprimés séparément puis assemblés par collage. Du tartre - simulé par du vernis à ongles coloré appliqué sur les dents, et du tissu de granulation dans les lésions osseuses - réalisé à l’aide d’un mélange de résine d’impression colorée, d’huile de vaseline et d’un photo-initiateur, ont été ajoutés.
Ce simulateur parodontal, après sa conception numérique, était composé de trois fichiers STL distincts : l’os avec lésions infra-osseuses et inter-radiculaires, les dents, et la gencive avec récessions parodontales (Fig. 1). Les différents éléments ont été imprimés séparément (Fig. 2) puis assemblés pour obtenir le simulateur final (Fig. 3). Le simulateur a été évalué par un panel d’utilisateurs composé d’étudiants de 5 et 6èmes années ainsi que d’experts en parodontologie. Ces derniers ont évalué sa pertinence à l’aide d’un questionnaire analysé statistiquement. Les résultats ont montré que le simulateur était en adéquation avec la réalité clinique de la mâchoire humaine et plus bénéfique que la mâchoire porcine sur le plan pédagogique. Concernant la pertinence pédagogique globale, les évaluations ont confirmé que ce simulateur pédagogique réalisé par impression 3D permet un apprentissage cognitivo-fonctionnel efficace.
Dans ce projet, des compromis ont été effectués en fonction des contraintes imposées (cahier des charges, temps, coût, techniques disponibles). Toutefois, il est tout à fait possible de faire évoluer et d’adapter ce simulateur en fonction des besoins. L’impression 3D offre un champ presque illimité des possibles.
Le simulateur pour faciliter le choix du matériau prothétique idéal adapté à la situation clinique
Le choix du biomatériau prothétique idéal pour les restaurations indirectes est essentiel pour assurer le succès à long terme des thérapeutiques. Au sein de l'Université Paris-Cité, la plupart des enseignements sur les biomatériaux dentaires sont dispensés en ligne sous la forme d’e-learning, se concentrant principalement sur des concepts théoriques sans application pratique associée. Les disciplines cliniques réalisent ensuite les enseignements pratiques sans entrer à nouveau en détail dans les biomatériaux.
Dès leur arrivée en clinique, les étudiants sont confrontés à une multitude de matériaux et de situations cliniques différentes. Pour diversifier la formation des étudiants en 5ème année, un nouvel enseignement basé sur des cas cliniques (Case-based learning - CBL) et l'apprentissage en équipe (Team-based learning - TBL) (12, 13) a été mis en place. Cet enseignement vise à intégrer efficacement les compétences théoriques dans le domaine des biomatériaux. De plus, l’aspect interactif est désormais clairement recherché dans la plupart des enseignements car bien souvent plébicité par les étudiants mais aussi les enseignants.
Afin de créer un lien entre théorie et pratique, six simulateurs 3D ont été développés, basés sur des cas cliniques prothétiques réels, fréquemment rencontrés. Chaque cas avait en parallèle été iconographié, lors de la situation initiale, lors des préparations, et pendant l’assemblage final. Ces cas cliniques ont été un outil clé pour parcourir un panel de notions essentielles en biomatériaux (mécanique, optique, mode d’assemblage) sur substrats dyschromiés ou non. Ces simulateurs ont été créés en utilisant une technologie polychrome - la polyjet (14,15) avec une imprimante J5 DAP (Stratasys) et des résines VeroVivid (Cyan/Magenta/Yellow) pour obtenir des modèles réalistes respectant les couleurs des fichiers issus du scanner intra-oral (3Shape). Des modèles supplémentaires ont été imprimés en technologie SLA (Form 3BL) en résine Draft V2 (Formlabs) (Fig. 4). Étant donné que plusieurs choix de matériaux peuvent être envisagés pour une même situation clinique, toutes les possibilités ont été produites pour chaque cas.
L’enseignement, d'une durée de trois heures, était encadré par deux enseignants (un prothésiste et un dentiste) pour des groupes de 25 à 30 étudiants, subdivisés en groupes de cinq. Ce TP a été organisé en collaboration avec Ivoclar, qui a fourni le matériel nécessaire à sa réalisation et l’expertise de ses prothésistes pour conseiller les étudiants le jour du TP.
Chaque groupe a travaillé en équipe sur trois cas cliniques, comprenant un overlay, deux couronnes antérieures sur substrats dyschromiés et une réhabilitation postérieure avec overlays et veenerlays. Puis, les encadrants ont présenté les différentes propriétés des biomatériaux dentaires. S’en est suivi un débriefing des choix des étudiants en fonction des nouvelles notions apportées. L’étape suivante consistait à maquiller une couronne en zircone avec l’aide d’un prothésiste (Fig. 5). Pour finir, les étudiants ont travaillé sur trois autres cas cliniques, comprenant une facette antérieure maxillaire (Fig. 6), un bridge cantilever antérieur et une couronne antérieure maxillaire, suivi d’un autre débriefing.
Pour chacun de ces cas, une notion clé était discutée avec les étudiants et la photographie finale après assemblage était présentée. Le choix le plus consensuel a été évoqué, tout en précisant que d'autres options pouvaient être acceptables.
Grâce à différents questionnaires, les étudiants ont exprimé une grande satisfaction quant à cette nouvelle méthode d’enseignement. Leur maîtrise dans le choix des matériaux prothétiques en fonction de leurs propriétés mécaniques et optiques a considérablement augmenté, consolidant ainsi leur formation en biomatériaux.
L’escape-game pédagogique sur l’impression 3D
Comme nous venons de le voir, si l’impression 3D peut servir de support à la création d’outils pédagogiques, il n’en est pas moins que cette technologie doit être elle-même enseignée en tant que telle. Il est en effet plus que probable que nos futurs confrères auront pour leur grande majorité une imprimante 3D au cabinet et que son utilisation sera quotidienne.
Au sein de l’Université de Paris Cité, les cours d’impression 3D ont également lieu lors de la 5ème année.
Les enseignements sur ce sujet étaient jusqu’alors purement théoriques, décrivant un workflow complexe impliquant de nombreuses étapes et machines. Il nous est apparu essentiel que les étudiants puissent manipuler l’ensemble de la chaîne en travaux pratiques pour en avoir une meilleure compréhension. Pour diversifier les formats d’enseignement, nous avons décidé de créer un escape game pédagogique s’inscrivant dans le cadre des serious games, de plus en plus populaires et reconnus dans la littérature pour leur intérêt pédagogique (16,17).
Aujourd'hui, nos étudiants sont très familiarisés avec les nouvelles technologies et le numérique. Nous pensons que les méthodes d'enseignement doivent suivre cette évolution pour fournir un enseignement adapté et susciter un véritable intérêt pour le programme dentaire, qui reste dense. Ces dernières années, les escape games ont gagné en popularité et ont été intégrés dans les programmes médicaux et dentaires pour encourager le travail d'équipe, un élément crucial pour la qualité des soins aux patients, selon le Conseil d’Accréditation pour la Formation Médicale Postdoctorale (ACGME) (18). En effet, jusqu’à présent, il n’existait pas de consensus sur la manière d’enseigner efficacement ces compétences tout en renforçant les connaissances. Les escape games, qui recréent un environnement réaliste et contextuel, et récompensent la collaboration, pourraient être une solution intéressante. Quelques études françaises (19,20) ont déjà démontré leur efficacité auprès des étudiants en dentisterie.
Notre escape game portait sur l’impression 3D d’un guide chirurgical, car les différentes étapes et le workflow se prêtaient parfaitement à ce format. Les machines utilisées, au design futuriste, combinées à une décoration et une ambiance lumineuse adaptées, offraient une immersion totale dans le scénario. Le jeu était divisé en 4 stations, correspondant chacune à une étape de la fabrication du guide : la station 1 pour le choix de l’imprimante 3D, la station 2 pour le choix du type de résine, la station 3 pour le design du guide et son positionnement pour l’impression, et la station 4 pour le post-traitement (Fig. 7). Les étudiants, répartis en groupes de 5 ou 6 pour recréer les conditions d’un escape game, avaient 30 minutes pour compléter les 4 stations et sortir de la salle. Chaque station comportait des énigmes, des fouilles, des cadenas, des mécanismes et des défis de logique, le tout nécessitant un travail d’équipe. L’équipe la plus rapide de la promotion se voyait promettre une récompense.
Pour évaluer l’impact de ce nouveau format, les étudiants ont rempli des questionnaires de connaissances avant et après, ainsi qu’un questionnaire d’appréciation. Le pourcentage de réponses correctes a augmenté de plus de 10 % après l’escape game, et le pourcentage initial de réponses correctes était déjà très élevé (plus de 80%). Sachant à l’avance que cet escape game faisait partie du programme et qu’un prix était à gagner, les étudiants ont été incités à apprendre de manière approfondie et efficace les contenus pédagogiques liés à l'impression 3D. Bien que la récompense puisse ne pas suffire pour un changement comportemental à long terme, elle est très efficace dans certaines situations. Les systèmes de gamification basés sur la récompense génèrent un pic immédiat d'engagement lorsque les utilisateurs découvrent ce nouveau système (21). Ainsi, ces escape games devraient rester des événements ponctuels pour maintenir l'enthousiasme et les avantages de la gamification par récompense.
Les étudiants ont beaucoup apprécié le format proposé, trouvant qu'il les aidait à mieux comprendre le workflow de l’impression 3D. Le travail d’équipe a permis de renforcer leurs connaissances grâce aux discussions et délibérations. Enfin, presque tous les étudiants ont exprimé le désir de participer à d’autres escape games pédagogiques sur différents sujets.
Nous avons donc décidé de proposer ce format prochainement pour les praticiens diplômés dans le cadre de la formation continue privée sur l’impression 3D, permettant à chacun de profiter de son intérêt pédagogique et de son aspect ludique, quel que soit l’âge des participants.
Conclusion
À travers ces différents projets, l’impression 3D et la pédagogie n’ont fait qu’un pour faire évoluer les enseignements, reflet de la place croissante de la technologie et du numérique dans nos vies. Elles se révèlent finalement être des outils précieux dans l’éducation et la formation. L’impression 3D offre un support physique puissant pour visualiser des concepts abstraits, créer des modèles réels et favoriser l’apprentissage pratique, ce qui stimule l’engagement des apprenants et renforce leur compréhension. Elle permet également une personnalisation inégalée, se rapprochant toujours plus des réalités cliniques et adaptant les ressources pédagogiques aux besoins individuels des étudiants.
La technologie de l’impression 3D favorise une approche d’apprentissage active, encourageant la créativité, la résolution de problèmes et la pensée critique. Finalement, l’intégration réussie de l’impression 3D dans la pédagogie contribue à former une génération d’apprenants compétents et innovants, prêts à relever les défis de demain.
Si jamais vous souhaitez en savoir plus, l’escape game et le simulateur parodontal sont déjà publiés à l’international et explicités plus en détail (22,23), alors que celui dédié au choix du matériau idéal est en cours de publication…
Bibliographie :
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