Les protège-dents

Dossier du mois : Dentisterie et Sport

AO News #66 - juin 2024

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 Introduction

 

Dans de nombreux sports à risque, porter un protège-dents est devenu une évidence. Toutefois, le protège-dents ne semble pas être la spécialité du chirurgien-dentiste. L’absence de formation sérieuse lors de nos études et le manque de communication des laboratoires qui fabriquent des protections de qualité font que le patient final a peu de chance de trouver le produit idéal. L’industrie n’a pas attendu les professionnels du dentaire pour envahir le marché de la protection dento-maxillaire et les patients en sont les premières victimes. Des produits très bien marketés entre 5 et 80 euros sont devenues les références du protège-dents sur le net. En parallèle, de nombreux laboratoires proposent des solutions qui sembles plus élaborées mais qui sont loin de garantir la sécurité de nos patients en cas de vrai choc. Alors comment se différencier et fabriquer à vos patients des protections de qualité ? Quel avenir pour le protège-dents compte tenu de l’évolution exponentielle des sports à risques ? Est-ce que les nouvelles technologies vont révolutionner ce marché ? Nous avons pensé qu’il s’agissait de questions intéressantes pour les praticiens impliqués et consciencieux.

 

Historique des protège-dents

 

Le protège-dents moderne a été créé dans les années 1970, par le Dr A. W. S. Wood, un dentiste pédiatrique canadien, afin de réduire et de prévenir les blessures faites à la denture des jeunes joueurs de hockey sur glace.

En France, c’est en 1975 qu’Ivan Sametsky a posé les bases d’un cahier des charges qui est toujours d’actualité aujourd’hui. Il a alors développé une protection en matériau injecté avec un renfort métallique qui était devenu une véritable référence qualité.

(fig 1)

Le renfort métallique a rapidement fait débat pour plusieurs raisons. Sur un choc très important, certains praticiens pensaient qu’il pouvait toucher les dents. Cela pouvait en effet être le cas si le protège-dent était mal fabriqué avec une épaisseur insuffisante de matériau entre le métal est la face vestibulaire des dents. Ce renfort pouvait par contre être endommagé par les sportifs lors du nettoyage (en le serrant fort dans leurs mains et en tordant le métal) où, plus classiquement, en le mettant dans leurs chaussettes entre les phases de jeu ou lors des entrainements. Le vrai problème du Sametsky était plutôt la difficulté de réalisation au laboratoire. Il fallait designer puis couler la barre sur mesure pour ensuite l’intégrer dans le matériau injecté. Ce processus était complexe, assez long et forcément très couteux.

 

L’avènement du thermoformage, au début des années 2000, a amené de nouvelles idées et a permis de nouveaux développements en conservant tous les concepts qu’avait énoncé Ivan Sametsky. Cette époque a marqué un tournant dans la fabrication du protège-dents haut de gamme et la barre métallique a pu être remplacée par une structure rigide thermoformée prise en sandwich entre des couches souples et confortables. En parallèle, de nombreuses fédérations (notamment pour le rugby dans l’hémisphère sud) ont rendu le port du protège-dents obligatoire. De nombreuses équipes ont donc travaillé afin d’améliorer le confort et d’optimiser la qualité de la protection.

 

Pourquoi un protège-dent ?

 

Les statistiques sont sans équivoque. 50% des rugbymans ont déjà subi un choc dans la sphère oro faciale. En 2024, de nombreuses fédérations ont rendu le protège-dents obligatoire et il est inconcevable de voir un boxeur entrer sur un ring sans protection. Une fracture dentaire ou du maxillaire provoque non seulement la sortie du joueur, une incapacité temporaire de jeu mais des séquelles souvent irréversibles au niveau fonctionnel et esthétique. Le protège-dents a aussi un véritable intérêt pour éviter des fractures des mâchoires, des commotions cérébrales, des lésions des vertèbres cervicales ou des pertes de connaissance.

Aux Etats Unis, une étude a recensé 3,8 millions de cas de commotions cérébrales suite à des chocs chaque année sur les terrains de sport.

 

Certaines mutuelles commencent à réagir et proposent une prise en charge sur les protections dentaires réalisées chez les professionnels. De nombreux sportifs ont bien compris l’intérêt de protéger leur sourire et ils sont pour nous, chirurgiens-dentistes, des axes de communication intéressants. Sans parler des boxeurs et des rugbymans, Stéphane Curry et Lebron James, stars du basket NBA, font une promotion précieuse aux fabricants de protège-dents dans un sport où ce type de protection aura mis du temps à se développer. Aujourd’hui, le handball, le basket, le rugby et les sports de combat représentent un marché très important et il nous semble capital que les dentistes soient en mesure d’équiper ces patients avec des protections de qualité.

 

Il s’agit donc d’une évidence pour les sportifs professionnels de préserver leurs incisives car leur sourire peut-être rapidement valoriser en termes de contrats publicitaires.

 

A partir de quel âge ?

 

Il est logique de faire porter un protège-dents aux jeunes sportifs dès que les incisives définitives sont présentes. Dans certains sports comme la boxe ou le rugby, le port devient même obligatoire chez les jeunes à partir de 8 ans. Toutefois, ces patients étant en pleine croissance, il est préférable de leur faire porter des protections du commerce ou des systèmes thermoformés simples et finalement peu coûteux. L’importance des impacts n’étant pas trop importante, ils n’ont pas besoin d’un système thermoformé multicouche et surtout, il faudra le changer assez régulièrement pour s’adapter à l’évolution de la croissance et de la dentition. Les enfants s’adaptent bien à des protège-dents du commerce et cela leur permettra d’apprécier la qualité d’une vraie protection lorsqu’ils seront adolescents et qu’ils auront en bouche un vrai multicouche de qualité. Il est d’ailleurs souvent réalisé à la suite d’un traitement orthodontique, quand le patient a son occlusion définitive.

 

Chez les porteurs d’appareil orthodontique, justement, la protection devra être réadaptée régulièrement en fonction de l’évolution des mouvements dentaires. Les systèmes boil and bite (qui s’adaptent aux dents en les trempant dans de l’eau bouillante) sont recommandés. Les orthodontistes peuvent réaliser une empreinte afin d’aider leurs patients à gérer l’adaptation sans qu’ils ne se brûlent avec le matériau en le mettant directement en bouche.

 

Qu’est-ce qu’un bon protège-dents ?

 

Les bases d’un protège-dents de qualité ont été décrites par Sametsky dans les années 70 et elles sont toujours d’actualité aujourd’hui :

 

- la protection doit être parfaitement stable et rétentive sur les dents maxillaires ;

- le sportif doit pouvoir être en occlusion parfaite avec une engrainement précis des dents mandibulaires 

 

- il doit exister une béance de ventilation pour permettre de ventiler en étant séré sur le protège-dents ;

- il est important d’avoir une coque rigide parfaitement répartie au centre des couches souple afin d’absorber les chocs et de les répartir sur l’ensemble de l’arcade ;

- idéalement, le sportif doit pouvoir parler et boire facilement avec un protège-dents de qualité.

Fig. 2 Coupe d’un protège-dents multicouches au niveau des incisives maxillaires

 

Pourquoi Globalprotect® ?

 

Notre histoire a commencé il y a dix ans car nous étions plusieurs, à la fois dentistes, médecins et sportifs professionnels, à vouloir proposer des protège-dents de qualité. Conscient du grand vide dans ce domaine, nous voulions trouver une solution pour faire du protège-dent un véritable accessoire qui soit accessible pour les patients, rentable pour le laboratoire et les dentistes qui le fabriquent.

  • La mission était très complexe à cause de nombreuses croyances de la part du grand public :
  • le prix tout d’abord car un protège-dents coûte dans l’esprit des patients entre 15 et 80 euros ;
  • c’est un accessoire inconfortable et gênant pour respirer ;
  • il faut le serrer pour le garder en bouche, sinon il tombe et il est gênant car trop volumineux ;
  • enfin souvent, le dentiste « l’offre » au patient en le facturant au prix du laboratoire pour lui « rendre service ». Il est alors très difficile de trouver un business model viable pour tous les intervenants, du prothésiste jusqu’au client final.

Le challenge allait être de développer un produit efficace, raisonnable en termes de coût et sur lequel le laboratoire et le praticien pourrait avoir une marge suffisante pour que cela soit intéressant pour tout le monde.

Nous sommes donc partis des travaux de Sametsky pour faire évoluer les choses en fonction des évolutions de la technologie. Aussi bien les évolutions des systèmes de thermoformages que de l’avènement du numérique. (fig 3)

Le plus difficile est d’intégrer une cellule rigide au centre des couches souples avec un design parfait et une bonne longévité dans le temps. Cette cellule rigide doit être précisément découpée pour se retrouver au bon endroit par rapport aux faces vestibulaires des dents. Sa rigidité sera très préjudiciable pour le confort si elle remonte trop haut dans le vestibule. Le bord du protège-dents, au contact des muqueuses, doit être très souple et ne pas blesser à l’insertion.

 

Thermoformer des couches successives est très difficile à réaliser. Le réchauffage entre chaque nouvelle étape de thermoformage peut endommager l’étape précédente. Choisir des plaques bi-couches ou tri-couches du commerce n’est malheureusement pas la bonne solution car nous ne pouvons pas dans ce cas répartir les épaisseurs convenablement.

 

L’épaisseur de matériau sur les faces occlusales des molaires doit également être gérée en fonction de la malocclusion des patients. L’idée est de créer une béance de ventilation (comme l’a décrite Sametsky) afin de respirer dents serrées et d’éviter le KO classique. Chez les patients présentant une supraclusion incisive, il faudra augmenter l’épaisseur de matériau afin d’obtenir une béance correcte permettant de ventiler à l’effort. Bien évidemment, c’est beaucoup plus simple à réaliser chez les patients présentant déjà une béance dentaire !! (fig 4)

Il y a donc une multitude de petits détails qui doivent être gérés lors de la confection. L’engrènement dentaire doit être suffisamment important pour bloquer la mandibule en cas de choc mais il ne doit en aucun cas verrouiller le patient dans une position forcée. Le confort est capital, la mandibule doit se libérer facilement pour pouvoir parler et boire facilement. La face interne, palatine, doit être très courte pour ne pas interférer avec la langue. En aucun cas un protège-dents ne doit provoquer de réflexe nauséeux même chez un patient sensible.

 

Comment toucher la cible ?

 

Nous nous sommes rapidement rendu compte que pour développer le marché du protège-dents de qualité, il fallait communiquer et convaincre les dentistes plutôt que le grand public. Aucun patient ne veut investir 300 euros dans un protège-dents s’il n’a pas eu les informations pertinentes d’un professionnel du monde dentaire. C’est à nous d’expliquer l’intérêt de réaliser des empreintes de qualité, de passer par un montage en articulateur et d’organiser une séance de réglage précise le jour de la pose.

 

Les dentistes ont finalement peu d’informations, aucun document explicatif à présenter aux patients et ne savent pas vraiment comment s’y prendre pour protéger les sourires de leurs sportifs.

 

Pourtant, c’est à nous, chirurgiens dentiste, d’expliquer pourquoi un bon protège-dents est confortable, qu’il doit permettre de parler, de boire et qu’il doit tenir parfaitement en bouche. Il doit également permettre au patient de respirer bouche fermée grâce à une béance de ventilation. C’est très important en boxe (et pour tous les sports de combat) d’avoir cet engrainement dentaire pour éviter les KO. En effet, un protège-dents sans engrainement des dents inférieures va supprimer le calage dentaire et favoriser le KO. C’est aussi un accessoire très important dans la prévention des commotions cérébrales et des lésions cervicales.

 

Réalisation d’un bon protège-dents

 

L’empreinte

Le développement de l’empreintes numérique nous permet d’avoir une bien meilleure ergonomie dans la gestion des empreintes.

Il nous faudra :

- une empreinte maxillaire avec un enregistrement précis de l’ensemble du vestibule et de l’insertion des freins de la lèvre supérieure ;

- une empreinte mandibulaire avec un rapport d’occlusion précis afin de pouvoir faire notre montage en articulateur.

Un des limites principales du développement de Globalprotect® au départ était l’empreinte du dentiste. Aussi étonnant que cela puisse paraitre, nous avions 50% d’empreintes maxillaires qui étaient inexploitables (pas de lecture suffisante du vestibule, freins non enregistrés). Le numérique a changé la donne et nous avons un bien meilleur taux d’empreinte de qualité (seulement 10% d’empreintes à reprendre et plus de retour de porte-empreinte à organiser).

 

Réalisation du protège-dents

Nous utilisons des plaques thermoformées d’épaisseurs et de densités différentes qui seront thermocollées. Une plaque rigide savamment positionnée entre deux couches souples qui seront au contact des dents.

 

 La partie interne doit être très proche des collets et le protège-dent ne doit en aucun cas provoquer de reflexe nauséeux chez les patients sensibles. L’amorti inter dentaire est très importants dans les sports comme le ski free ride, le moto cross et pour les combattants. Les bords du protège-dents doivent être la réunion des deux plaques souples sans aucune présence de plaque rigide. Cela garantira un confort optimal, et une mise en place et une désinsertion facile. Les freins doivent être parfaitement repérés sur l’empreinte afin d’être dégagés sur la protection. Le confort est la clef de la satisfaction du patient. Nous mettons un soin particulier à gérer le parfait engrènement dentaire ce qui nous oblige à réaliser une mise en articulateur selon la cire d’occlusion ou le rapport inter-arcade numérique que nous aura fourni le praticien.

 

La mise en bouche et le réglage

Nous recommandons les disques Lisko-S (Erkodent) afin de retoucher les matériaux thermoformés. Ils sont montés sur un mandrin et la pièce à main ne doit pas tourner à plus de 5000 tours/minute pour ne pas faire chauffer le plastique. Le disque bleu (223-200) permet de retoucher la protection en réglant la hauteur de la partie vestibulaire. Il faut trouver le compromis parfait entre la tenue et le confort. Le disque blanc (223100) va permettre de repolir le protège-dent et d’avoir une finition parfaite.


 

Quel avenir pour le protège-dent ?

 

L’explosion des sports extrêmes, des sports de combat et la professionnalisation des sports à risque comme le rugby, le basket ou le handball ouvre des perspectives intéressantes pour les sociétés désireuses de fabriquer des protège-dents de qualité. Nous en sommes intimement convaincus depuis toujours même s’il est très difficile de lutter contre les produits moins élitistes. De nombreux sportifs nous aident dans cette démarche et sont des supers ambassadeurs.

Fig. 7 Damian McKenzie, demi d’ouverture des All Black avec son protège-dents GlobalProtect pendant la dernière coupe du monde de rugby, en France.

Le marché du protège-dents low-cost est lui aussi en pleine explosion mais il est très concurrentiel. Il est toutefois important car c’est une voie d’entrée importante dans la protection pour de nombreux patients qui iront ensuite explorer des pistes différentes avec des produits de qualité supérieure mais plus coûteux. Le protège dent boil and bite permet finalement aux plus jeunes de prendre des bonnes habitudes et de comprendre l’intérêt d’être protégés pendant leurs activités.

 

Depuis quelque temps, les protège-dents connectés ont fait leur apparition et ils sont à nos yeux un outil d’avenir pour les sportifs professionnels. En 2014, Anthony Gonzales et Bob Merriman ont conçu FIT Guard en imaginant que le maxillaire était finalement le meilleur endroit pour relever des données utilisables dans la gestion des commotions cérébrales. Leurs protège-dents possèdent une LED qui s’éclaire de différente couleur selon l’intensité du choc. Du vert pour un choc léger jusqu’au rouge qui indique un risque de commotion et qui invite le sportif à sortir du terrain ou à descendre du ring. Les données sont aussi envoyées via une application sur le smartphone du sportif et du médecin. Prevent Biometric, une autre société américaine, propose une solution de collecte de données également très intéressante. Les capteurs permettent une évaluation précise de la force, la localisation, la direction et le nombre d’impacts. Portés pendant les entrainements et les matchs, l’étude des effets des chocs sur les commotions cérébrales va entrer dans une nouvelle aire. Ils ont mis en place un partenariat avec le club de Rugby de Clermont Ferrand qui a été l’équipe pionnière du top 14 en termes de collectes de data dans l’hexagone. L’International World Rugby vient d’investir pour sa part 2 millions d’euros dans ces protège-dents intelligents qui seront obligatoires dès cette année pour toutes les compétitions internationales.

 

Ces systèmes sont donc très intéressants pour collecter des données mais ils sont encore malheureusement peu efficaces en termes de protection. Leur fabrication standardisée boil and bite ou custom est moulée seulement sur les dents supérieures et nous sommes malheureusement très loin des concepts de protection que nous venons d’énoncer. L’idéal serait d’avoir un protège-dents de qualité avec tout le système de capteurs intégré. Nous y arriverons surement facilement dans quelques temps car il suffit simplement de réunir nos compétences.

 

Conclusion

 

Le protège-dents est à nos yeux le produit oublié de la dentisterie moderne. Il est pourtant capital de pouvoir conseiller et protéger nos patients sportifs. Qu’ils soient professionnels ou amateurs, un choc aura le même effet sur leurs incisives. C’est aux chirurgiens-dentistes de se former et de trouver la bonne option. L’offre est aujourd’hui en pleine évolution et de nombreux laboratoires s’inspirent de systèmes qui fonctionnent depuis bien longtemps et qui se sont développés grâce au bon sens clinique de leurs concepteurs. Personnalisation, capteurs ou diamants intégrés, n’importe quel praticien devrait être capable de fabriquer un protège-dents multicouche parfait et vraiment confortable.