Introduction
Le traitement des récessions gingivales multiples est plus difficile pour le praticien, en raison des situations cliniques qui peuvent se révéler anatomiquement complexes. En effet, celles-ci peuvent être de grande étendue, présenter un vestibule peu profond, des racines proéminentes aussi bien que des récessions de morphologies inhomogènes ou une quantité de tissu kératinisé variable. La littérature montre que les techniques de chirurgie plastique actuelles (lambeau multiple avancé coronairement et tunnel modifié) présentent de bons résultats lorsqu’elles sont associées à un greffon conjonctif 1. Historiquement, c’est en 1994, qu’Allen et al. publient une technique chirurgicale de recouvrement des récessions gingivales utilisant une enveloppe supra-périostée associée à un large greffon conjonctif partiellement enfoui 2. Quelques années plus tard, Azzi et Etienne 3 modifient la technique d’Allen et al. en réalisant un lambeau plus étendu d’épaisseur totale (tunnel) positionné coronairement et recouvrant complètement le greffon. Ce lambeau maintient l’intégrité des papilles qui sont seulement déplacées en direction interproximale palatine ou linguale. En 2010, Aroca et al. 4 font évoluer la technique du tunnel précédemment décrite. Les auteurs montrent, pour la première fois, un recouvrement efficace des récessions gingivales de classe 3 de Miller grâce à la technique du tunnel modifié. Aujourd’hui la technique évolue encore en utilisant un greffon positionné sélectivement si le phénotype est fin ou si le tissu kératinisé est insuffisant 5.
A travers un cas clinique, nous décrirons cette évolution.
Cas clinique
Mme X, 34 ans, consulte pour des sensibilités localisées au niveau des dents maxillaires. Le traitement d’orthodontie est terminé depuis 12 mois et l’anamnèse de la patiente révèle qu’elle est non fumeuse et en bonne santé générale (score ASA: 1 – American Society of Anesthesiologists 1941)6.
Lors de l’examen clinique, l’indice de plaque d’O’leary 7 est de 20 % et l’indice de saignement au sondage (BOP) 8 de 15%. Le sondage parodontal ne révèle aucune poche parodontale supérieure à 4mm. Cependant, il existe une hyperesthésie dentinaire associée aux récessions gingivales multiples localisées sur les dents 13,14,15, 16, 23, 24, 25, 26 (Fig. 1).
Proposition thérapeutique
L’objectif principal de notre thérapeutique est de traiter l’hyperesthésie liée aux récessions gingivales multiples et de modifier le phénotype lorsque celui-ci est fin. Dans cette optique, nous proposons de réaliser deux techniques différentes de chirurgies plastiques parodontales. Pour le secteur 1, nous avons choisi la technique princeps du lambeau multiple avancé coronairement avec ou sans greffon conjonctif, dont les résultats montrent un pourcentage de recouvrement complet des récessions gingivales de plus de 90% 10.
Pour le secteur 2, nous proposons de réaliser une nouvelle technique chirurgicale qui présente un pourcentage de recouvrement radiculaire complet de quasiment 94% pour les récessions de type RT1 maxillaires 5. Cette chirurgie plastique parodontale utilise la technique du tunnel modifié associée à des greffons conjonctifs positionnés de façon sélective selon la hauteur de tissu kératinisé résiduelle (2 mm) et l’épaisseur gingivale ou le phénotype (fin). Nous allons nous focaliser sur la description de cette nouvelle technique dans cet article.
Préalablement aux interventions chirurgicales, nous réalisons une phase d’enseignement des techniques d’hygiène orale non traumatiques (technique du rouleau), ainsi qu’un détartrage professionnel. Quelques minutes avant la chirurgie du secteur 2, des composites interproximaux sont placés au niveau des points de contacts pour soutenir, à la fin de la chirurgie, les sutures suspendues et permettre ainsi le maintien de la position coronaire du tunnel. L’anesthésie locale est réalisée et l’intervention démarre par un surfaçage de la partie exposée de la racine à l’aide de curettes.
La chirurgie se poursuit par une dissection en épaisseur totale réalisée au-delà de la ligne muco-gingivale grâce à l’utilisation d’instruments spécifiques de tunnelisation. Puis, à l’aide d’une curette, le chirurgien entreprend la dissection des fibres musculaires par un mouvement de rotation superficiel et désinsère la base des papilles en direction palatine tout en préservant l’intégrité de celles-ci. A ce stade, la préparation du tunnel est terminée et la phase de prélèvement du greffon commence. Un seul greffon épithélio-conjonctif palatin (Fig. 3) est prélevé puis désépithélialisé.
Des sutures matelassier horizontal modifié sont réalisées au niveau du site donneur. Ce greffon unique est alors divisé en deux pour un positionnement en regard des sites 23 et 26 à l’aide de sutures mésiale et distale à chaque site (23 et 26) (Fig. 4). Le tunnel est ensuite suturé et positionné coronnairement à la jonction émail-cément à l’aide de sutures matelassier horizontal suspendues situées à la base de chaque papille passant autour de chaque point de contact (Fig. 5). A la fin de l’intervention, des instructions post-opératoires sont données à l’oral et par écrit à la patiente. Les sutures sont déposées à 10 jours et les résultats de la cicatrisation (Fig. 6) montrent une bonne intégration des greffons sur les sites 23 et 26 ainsi qu’un recouvrement radiculaire satisfaisant permettant à la patiente de ne plus ressentir de sensibilités aux variations de température. Le suivi à 12 mois (Fig. 7) montre que les résultats sont stables dans les deux secteurs opérés.
Conclusions
La technique du tunnel modifié associée au positionnement sélectif du greffon conjonctif, permet à la fois d’obtenir des résultats prévisibles pour le recouvrement complet des récessions gingivales, de modifier le phénotype gingival des sites fins, d’augmenter la hauteur de tissu kératinisé mais aussi de réduire les dimensions du greffon et ainsi permettre la réduction des suites post-opératoires liées à l’étendue du site de prélèvement.
Bibliographie :
1- Graziani F, Gennai S, Roldán S, et al. Efficacy of periodontal plastic pro- cedures in the treatment of multiple gingival recessions. J Clin Periodontol 2014;41(suppl):s63–s76).
2- Allen A. Use of the supraperiosteal envelope in soft tissue grafting for root coverage. II. Clinical results. Int J Periodontics Restorative Dent 1994: 14: 302–315.
3- Azzi, R. & Etienne, D. (1998) Recouvrement radiculaire et reconstruction papillaire par greffon conjonctif enfoui sous un lambeau vestibulaire tunnelisé et tracté coronairement. Journal de Parodontologie et d’Implantologie Orale 17,71–77.
4- Aroca S, Keglevich T, Nikolidakis D, Gera I, Nagy K, Azzi R, Etienne D. Treatment of class III multiple gingival recessions: a randomized-clinical trial. J Clin Periodontol 2010; 37: 88–97.