Introduction
La région péribuccale est le site du « sourire » labial, expression émotionnelle majeure du visage, associée au « sourire » du regard. L’ensemble des muscles peauciers du visage et du cou participent à la dynamique des « sourires ». L’équilibre de la synergie des contractions des peauciers inférieurs dans le sourire labial est particulièrement complexe et fragile. Toute modification non contrôlée de cet équilibre peut modifier ce sourire de façon disgracieuse.
Au-delà de cet aspect « expression du visage » existe la fonction de protection du diaphragme musculaire péribuccal, assurant ainsi l’occlusion labiale, indispensable à l’alimentation solide et liquide. Il y aura ensuite la partie fonctionnelle du travail musculaire dans le cadre de l’élocution, la parole, le chant… Nous voyons donc la difficulté à modifier par une neurotoxine ces fonctions musculaires sans une analyse anatomique dynamique précise du patient.
Il faudra définir précisément les signes du vieillissement que nous voulons traiter dans cette région péribuccale, et peser la notion Bénéfices/risques dans l’utilisation de la toxine botulique à visée esthétique.
Analyse anatomique des signes de vieillissement musculaire de la région péribuccale (Fig. 1, 2)
- Au niveau labial, le muscle « orbicularis oris » (OO) participe à la création des rides verticales dites en « code barre ».
- Au niveau labio-collumellaire, le muscle « depressor septi nasi » (DSN) entraine une chute de la pointe du nez au sourire et la création de rides horizontales infra-columellaires.
- Au niveau de l’exposition gingivale au sourire, les muscles « levator labii alaquae nasi et levator labii superioris » (LLAN, LLS) peuvent être responsables d’un « sourire équin ou gummy smile »
- Le muscle « zygomaticus minor » (Zm) joue un rôle modéré dans l’élévation de la lèvre supérieure latérale, et sans action sur la commissure.
- La commissure labiale et son extension en un pli infra-commissural ou « pli d’amertume », se caractérise par un « carrefour musculaire » correspondant anatomiquement au modiolus (M). Il existe à ce niveau une balance musculaire entre un élévateur principal, le muscle « zygomaticus major » (ZM), souvent bifide, et ses antagonistes abaisseurs, le « depressor anguli oris » (DAO), le « platysma facial » (PL) et le « risorius » (R).
- Le menton peut présenter des irrégularités cutanées en « peu d’orange » liées aux contractions répétées des muscles « mentalis » (M), aggravant ainsi le pli supra mentonnier.
- Le « depressor labii inferioris » (DLI) est rarement impliqué dans les signes de vieillissement mais peut engendrer des distorsions du sourire dans les cas de diffusion accidentelle.
- Enfin, les jeux musculaires individuels peuvent réserver des surprises aux médecins, sources de résultats incertains sur quelques sujets atypiques !
Stratégie thérapeutique, par indications
- Les rides en « code barre » relèvent des contractions répétées du muscle « orbicularis ori », véritable diaphragme circulaire. Ces rides sont plus marquées chez
les femmes qui n’ont pas le système pileux en interface entre muscle et peau. Les fumeurs, « grands utilisateurs » de cette couronne musculaire, présentent des rides verticales labiales
supérieures et inférieures marquées, de traitement difficile. En effet, l’utilisation de la neurotoxine seule dans cette indication est décevante. A faible dose (points de 0,5 Unités
Allergan-Merz, 1,25 Unités Galderma), en injectant à la jonction lèvres rouge/lèvre blanche dans un plan sous cutané superficiel (FIG. 3), le résultat sera
partiel et peu durable.
A plus forte dose, le risque d’effets indésirables, (type asymétrie du sourire, troubles de l’élocution, inversion du vermillon …) n’est pas négligeable.
En résumé, ce traitement peut se concevoir à faible dose, associée à un acide hyaluronique pour assurer une double approche thérapeutique, volumétrique et musculaire chez les fumeuses, et qui ne sont ni chanteuses, ni joueuses d’instruments à vent.
- La pointe du nez va chuter dans une forte proportion avec l’âge. Plusieurs facteurs seront associés. Le vieillissement dento-maxillaire, avec érosion de l’os alvéolodentaire, et de l’épine nasale du maxillaire jouent un rôle fondamental dans cette ptose. Mais le muscle « depressor septi nasi », par une action répétée lors du sourire, accentue la chute de la pointe du nez, et participe à l’apparition de rides horizontales infra-columellaires. Une injection de neurotoxine à la base de la columelle, 4 Unités Allergan-Merz, ou 10 Unités Galderma, médiane, dans un plan sous cutanéo-graisseux (Fig. 3). Le résultat sera synergique avec un bolus d’acide hyaluronique au contact de l’épine nasale du maxillaire, ouvrant ainsi l’angle labio-columellaire (Fig. 5). On note peu d’effets indésirable dans cette indication.
- Les rides horizontales infra-columellaires seront améliorées par l’injection de neurotoxine du muscle « depressor septi nasi », associée au filler. (Fig. 6)
- L’exposition gingivale supérieure au sourire ou « gummy smile » correspond à un sourire exagéré, découvrant l’ensemble gingivo-dentaire supérieur, sous l’action des élévateurs de la lèvre supérieure, LLAN mais surtout le LLS, ou « levator Labii superioris ». Une injection de 4 Unités Allergan-Merz ou 10 Unités Galderma à 1 cm du sillon alaire latéral (Fig. 7), dans un plan sous cutané, permet une diminution de l’élévation labiale supérieure, corrigeant ainsi l’exposition gingivale.
Il faut systématiquement effectuer une analyse « dynamique » du sourire supérieur, afin de cibler les vraies indications. Dans les formes limites, le traitement pourra entrainer une chute de la lèvre supérieure, inesthétique, et gênante sur le plan fonctionnel.
- Le pli d’amertume ou chute de la commissure labiale, et extension du pli labio-génien. Cela correspond anatomiquement au modiolus, (Fig. 1, M), carrefour musculaire de la sangle musculaire péribuccale. Il s’agit d’un point d’équilibre entre deux systèmes musculaires antagonistes, un « élévateur », principalement le muscle « zygomaticus major », et un « abaisseur », plus complexe, avec un trio synergique, le « depressor anguli oris », le « platysma », et le « risorius ». Le muscle « mentalis » joue un rôle complexe dans cette dynamique du sourire, en s’associant d’une façon irrégulière à la mobilité du sourire latéral, ainsi que le dangereux muscle « depressor labii inferioris ».
En pratique, l’objectif de notre traitement se concentre sur un changement de la balance musculaire entre « élévateurs » et « abaisseurs », sur le long terme, et au profit du premier groupe, essentiellement le muscle « zygomaticus major ». Il s’agit donc de diminuer le tonus musculaire du « depressor anguli oris », dans la partie supérieure de ce triangle musculaire, qui s’attache au modiolus, et qui assure l’action d’abaisseur principal. En effet, l’injection de la partie basale, et large de ce triangle, correspond à la zone d’insertion osseuse du muscle, non contractile et donc sans intérêt pour un effet clinique. (Fig. 8)
Le traitement se complète par l’injection du muscle « platysma facial », et éventuellement du muscle « risorius » qui sont impliqués dans le pli d’amertume. Les injections se font dans un plan sous cutané, en direction postero-inférieure, en visant l’angle de la mandibule, chaque point comprend 2 Unités Allergan-Merz, ou 5 Unités Galderma (Fig. 9 et 10)
La complication principale et redoutée de ces injections latéro-commissurales correspond à la diffusion de la neurotoxine vers le muscle « depressor labii inferioris ». Elle entraine une asymétrie du sourire avec une ascension endo-vestibulaire de l’hémi lèvre concernée. La correction se fera par une injection du coté sain, en regard du DLI, en vue de symétrisation. Cette correction aura un intérêt esthétique mais engendre une gêne fonctionnelle temporaire.
- Menton avec « peau d’orange » et pli supra mentonnier marqué : il s’agit de la contraction répétée des muscles « mentalis ». Cet aspect cutané classique en « peau d’orange » est souvent associé à une malocclusion dento-maxillaire, qui oblige à ces contractions musculaires répétées pour obtenir une occlusion labiale. Le traitement sera donc ici aussi une association « Volumateur/Neurotoxine ». Nous proposons 2 à 3 points de Neurotoxine dans un plan sous cutanéo-graisseux, 2 Unités Allergan-Merz, ou 5 Unités Galderma. Le volumateur, en général un acide hyaluronique bien réticulé, sera injecté en bolus profond médian, au contact périosté. (Fig. 11)
Conclusion
- Les bases anatomiques dynamiques et fonctionnelles du sourire sont indispensables à la bonne utilisation de la toxine botulique à visée esthétique et réparatrice de cette région. Les balances musculaires mettent en jeu des groupes synergiques, ou au contraire antagonistes. Il faudra rester attentif à ne pas déséquilibrer le sourire, signe subtil de l’expression du visage. Ces jeux musculaires sont moins bien détaillés dans la littérature que ceux du tiers supérieur du visage, zone classique de l’utilisation de cette toxine. Il ne faut donc pas hésiter à retourner au laboratoire d’anatomie pour se familiariser avec ces éléments musculaires et cutanéo-graisseux.
- Il est à noter que les résultats obtenus dans cette région sont le fruit d’une association entre toxine botulique et fillers. La chronologie idéale consiste à traiter par la neurotoxine dans un premier temps, puis nous associons 15 jours après le traitement par fillers et/ou volumateurs quand l’hypotonie musculaire est installée.
- Beaucoup de confrères sont déçus par les résultats obtenus par la neurotoxine dans la région péribuccale. Il faut bien analyser les objectifs de notre traitement et attendre les effets à moyen et long terme. La modification de la balance musculaire entre élévateurs et abaisseurs sera effective après un délai de plusieurs mois, en reconduisant le traitement systématiquement tous les 6 mois et en injectant les patients au début des déformations cliniques. La prévention d’un pli d’amertume sera toujours plus facile que sa correction une fois installée et profonde.
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