L’association à la prothèse amovible partielle (PAP) de prothèses fixées (PF) comportant des fraisages ou des attachements (prothèse composite) permet de dissimuler les crochets et de répondre aux doléances esthétiques tout en favorisant l’équilibre et la stabilité prothétique (1,15,16). Il est parfois judicieux d’associer un ou plusieurs implants supports d’attachements ou de couronnes à la PAP (3,4,18), qui interviennent alors de façon stratégique dans les situations lorsque des édentements latéraux ou postérieurs imposent un crochet sur une dent visible lors du sourire (canine ou prémolaire), ou en présence d’édentements asymétriques de grande étendue.
Une analyse biomécanique s’impose afin d’analyser les mouvements en jeux et pour limiter la transmission de forces à direction transversale aux implants et privilégier les contraintes axiales. Ainsi, comme des couronnes et des attachements dento-portés, les contraintes transmises par la PAP aux éléments supports par l’intermédiaire des appuis occlusaux ou cingulaires, doivent être orientées selon le grand axe des dents ou des implants. Enfin, l’étude biomécanique doit également tenir compte de l’absence de compressibilité tissulaire autour des implants qui contraste avec celle du desmodonte des dents et de la fibromuqueuse des crêtes.
Situation clinique initiale
Madame F., âgée de 68 ans, en bonne santé générale, qui consulte avec une motivation esthétique et fonctionnelle, présente un édentement mandibulaire de classe II de grande étendue de Kennedy (ne restent que de 43 à 47) et un édentement complet maxillaire. L’édentement maxillaire est compensé par une prothèse amovible complète (PAC) et l’édentement mandibulaire par une prothèse partielle amovible (PAP) à infrastructure résine.
La patiente mastique péniblement, et n’aime pas son sourire, qui au demeurant est large. La PAC maxillaire est instable et la PAP mandibulaire peu confortable. L’examen clinique révèle que le plan d’occlusion est incliné en bas à gauche dans le plan frontal, mais reste bien orienté dans le plan sagittal. Le point inter-incisif est situé trop haut. La dimension verticale d’occlusion (DVO) est légèrement insuffisante de quelques millimètres. Les dents restantes 43,45,46 et 47 présentent une alvéolyse horizontale modérée. La patiente mastique unilatéralement du côté denté droit, ce qui a généré une résorption accentuée de la crête du secteur 1 et une résorption sévère de la crête du secteur 3, par effet de bascule de la PAC maxillaire (Fig. 1 et 2).
La dent 43 est douloureuse, présente une mobilité et une fracture radiculaire. Cette fracture provient probablement d’une sollicitation mécanique excessive due aux contraintes générées par les effets de la dualité tissulaire sur la selle en extension.
La patiente, habituée au port d’une prothèse amovible, ne désire pas une reconstitution totalement fixe, consciente du coût important que cela impliquerait. Néanmoins, elle souhaite une prothèse fonctionnelle, rétablissant un sourire convenable et elle est désireuse de conserver ses dents restantes. La réalisation d’une PAP à châssis métallique conventionnelle n’est pas d’un bon pronostic et une réflexion est menée sur l’apport d’implants à la PAP.
Une étude pré implantaire est entreprise. Un duplicata de la PAP mandibulaire est réalisé afin de le transformer en guide d’imagerie (Fig. 3 et 4). Aujourd’hui, la technique du « double scan » permettrait de superposer ou « matcher » le projet prothétique mandibulaire avec les données radiologiques de la patiente, en évitant ainsi l’étape de réalisation du duplicata. Pour des considérations financières, le choix est fait de mettre des implants en place de 43 et 33.
Cette décision a pour avantage de transformer un appui linéaire latéral (de 47 à 45) en appui triangulaire (47-43-33).
Proposition thérapeutique retenue
Compte tenu de la fracture radiculaire de 43, cette dent doit être extraite. Une nouvelle PAC doit être réalisée afin de rétablir un plan d’occlusion convenable.
Le projet prothétique mandibulaire retenu consiste en la réalisation d’une prothèse composite comportant : 3 couronnes céramo-métalliques (CCM) fraisées sur 45,46,47,
2 attachements de type Locator® sur 33 et 43 et une prothèse partielle amovible à châssis métallique remplaçant de 37 à 44 (Fig. 5 et 6).
Réalisation prothétique
Le projet prothétique est matérialisé par un tracé prospectif du châssis métallique sur un modèle d’étude (Fig. 7). Ce tracé, dicté par des principes de conceptions visant à assurer l’équilibre de la PAP, guide la réalisation des prothèses fixées (1,2,6). Les dents restantes 45, 46, et 47 vont largement participer à la sustentation et présenteront des appuis occlusaux en mésial et distal. Les épaulements linguaux contribuent à la fois à la sustentation et à la stabilisation. Les attachements supra implantaires Locator® procurent la rétention en plus du crochet de Bonwill situé entre 46 et 47, dont la présence est justifiée par la nécessité de franchissement de l’arcade.
Étapes pré-prothétiques
Après le retraitement endodontique, deux inlay-cores sont réalisés sur 46 et 47. Une réadaptation par rebasage des intrados de la PAC maxillaire et de la PAP mandibulaire est effectuée, permettant d’établir le plan d’occlusion (Fig. 8 et 9).
La réalisation des couronnes fraisées est entreprise. Après préparations périphériques des dents, anticipant la place pour les différents fraisages attendus, une empreinte sectorielle est effectuée avec un matériau élastomère siliconé par addition utilisé en un temps et deux viscosités. Les chapes munies de cône de transfert sont validées cliniquement puis une empreinte globale mandibulaire est enregistrée selon la même technique en un temps et deux viscosités en ayant préalablement scellé les chapes de transfert sur les dents préparées (Fig. 10). Cette empreinte est moulée deux fois, la première coulée donnant le modèle de travail de prothèse fixée, et le modèle issu de la seconde coulée permettant la réalisation d’une maquette d’occlusion en résine, munie d’un bourrelet de Stent’s® dans le secteur édenté. La relation maxillo-mandibulaire (RMM) est enregistrée sur le bourrelet de Stent’s et sur les préparations avec de la résine calcinable de type Duralay® (Fig. 11). Le modèle de travail peut alors être mis en articulateur. Selon le tracé prospectif, les infrastructures des CCM sont alors réalisées comportant les fraisages attendus (appuis occlusaux en mésial et en distal, associé à un épaulement lingual de 45, 46 et 47, ainsi que des évasements vestibulaires et linguaux sur 47 et 46 autorisant le passage du crochet de Bonwill). Suite à la validation clinique des infrastructures et au choix de la teinte grâce au teintier de prothèse amovible, la céramique est élaborée puis finie par glaçage. Les éléments de PF terminés sont scellés et la PAP mandibulaire est réadaptée (Fig. 12).
Étapes chirurgicales
43 est extraite et dans le même temps les implants en 43 et 33 sont mis en place (implants Certain Prevail®, Biomet 3i). Il est demandé à la patiente de ne pas porter sa PAP pendant 8 jours, permettant d’éviter toute compression des sites opératoires et de prévoir l’adjonction de 43 sur la PAP. Au bout d’une semaine la PAP modifiée est rendue à la patiente et un espacement est effectué en regard des sites implantaires (Fig.13 et 14).
4 mois après la chirurgie implantaire, le deuxième temps chirurgical est réalisé et les vis de cicatrisation sont mises sur les implants. La PAP est à nouveau modifiée et évidée en regard de ces vis en n’autorisant un contact que sur le faîte des vis afin d’éviter toute sollicitation latérale. Après 3 semaines, la cicatrisation gingivale est obtenue. Il est alors possible de mesurer la hauteur transmuqueuse et de choisir la hauteur des piliers des attachements Locator®. Ici des piliers Locator® de 3 mm de hauteur sont vissés à 20 N.cm (Fig. 15).
Réalisation des prothèses amovibles
Après réglage du Porte-Empreinte Individuel (PEI) maxillaire, marginage des bords et enregistrement du joint postérieur, un surfaçage avec un polysulfure de basse viscosité (Permlastic Light ®) est effectué. Cette empreinte secondaire est coffrée pour conserver l’enregistrement fonctionnel des bords puis moulée (Fig. 16).
Le PEI mandibulaire également en résine est ajusté aux crêtes et espacé en regard des dents et des piliers Locator®. Les transferts d’empreinte sont disposés sur les piliers, le PEI est réglé visuellement et à l’aide des tests de Herbst. Les poches de Fisch sont marginées avec de la pâte de Kerr. L’empreinte secondaire est effectuée en un temps et deux viscosités à l’aide de polysulfures (Permlastic light et regular ®) : la basse viscosité est injectée sur les dents et autour des transferts d’empreinte et disposée en regard des crêtes, tandis que la moyenne viscosité est disposée dans la cuvette et sur les bords du PEI. Après la prise du matériau et désinsertion de l’empreinte, les transferts sont emportés. Les analogues d’implant sont alors placés dans les transferts d’empreinte.
Cette empreinte secondaire mandibulaire est coffrée puis moulée. Le prothésiste dispose alors du tracé prospectif ainsi que d’une description détaillée sur la fiche de liaison et peut alors réaliser les étapes de laboratoire permettant de couler le châssis métallique.
Il est important de demander à ajourer le grillage du châssis en regard des piliers Locator® (Fig. 17).
La maquette d’occlusion maxillaire est réglée, et le plan de transfert obtenu permet la mise en articulateur du modèle secondaire maxillaire (Fig. 18).
Une selle munie d’un bourrelet d’occlusion en Stent’s® sur le châssis est réalisée et le Rapport Maxillo Mandibulaire (RMM) est enregistrée, ce qui autorise la mise en articulateur du modèle secondaire de PAP mandibulaire muni du châssis (Fig. 19).
Un montage esthétique et fonctionnel est demandé au laboratoire avec une occlusion généralement équilibrée selon Gysi (Fig. 20). L’essayage des montages de dents sur cire permet de vérifier l’adaptation, le RMM et de valider l’esthétique. Les parties mâles des attachements Locator® sont fixées par de la résine au grillage du châssis ce qui permet de contrôler leur bon positionnement et de s’assurer de la validité du modèle de travail. Le joint vélopalatin est repéré en bouche, reporté sur le modèle puis gratté. La polymérisation peut être demandée.
Les premiers jours, seules les capsules de laboratoire seront utilisées puis seront remplacées par les capsules bleues de rétention légère (Fig. 21).
Discussion
Ce cas clinique présente une situation de départ difficile, peu de dents sont encore sur l’arcade et surtout sont mal réparties (appui linéaire). Si les limites financières de la patiente ont conduit à écarter d’emblée la solution fixe implanto-portée, la solution apportée par la prothèse composite ne déroge pas aux principes de conception dictés par cette dernière. Le choix de disposer deux implants en 43 et 33 permet de transformer l’appui linéaire en appui triangulaire. Autant que faire se peut, il aurait été judicieux de disposer un troisième implant le plus postérieurement possible (en place de 36 ou 37). Simplement muni d’une vis de cicatrisation, cet implant aurait permis d’éviter tout enfoncement de la PAP dans sa surface d’appui et aurait procuré un confort plus important pour la patiente. La surface de sustentation aurait alors pris une forme quadrangulaire encore plus favorable.
Perspective et analyse de la littérature
La littérature scientifique est aujourd’hui encore assez pauvre sur la thématique des thérapeutiques associant les implants et la PAP. Malgré la publication de nombreux cas cliniques isolés et l’apparition de quelques articles et ouvrages de synthèse (7 à 11), de nombreuses interrogations subsistent quant au comportement à long-terme d’une telle association. Le paramètre d’influence majeur, au même titre qu’en prothèse composite, reste probablement la maîtrise des mouvements de la PAP, qui n’est obtenue que par une réflexion biomécanique au moment de la conception du châssis métallique.
Ainsi, la revue systématique de Koller et Strub étudie le taux de survie des PAP ainsi que des piliers dentaires ou implantaires supportant les éléments de rétention de ces prothèses. Les auteurs rapportent que dans les 7 publications retenues, le taux de survie dentaire varie entre 61% et 95% pour des durées de suivi variant de 4 à 10 ans. Le taux de survie des prothèses amovibles partielles rapportée dans seulement deux études retenue est de 90% et 95,1% (à 4 et 5,3 ans respectivement). Lorsqu’il y a association PAP et implants, ces auteurs rapportent des taux de survie implantaires variant de 97% à 100% pour des durées d’étude comprises entre 3 et 10,4 années. Les taux de survie des PAP correspondantes varient de 95% à 100% (6).
Une étude de modélisation par éléments finis (11), évalue l’association implant et PAP unilatérale d'extension distale mandibulaire (analyse mécanique, position de l'implant, hauteur du pilier). Le modèle analysé est une PAP remplaçant les dents 5,6 et 7, en utilisant un implant pour chaque position dentaire. Deux hauteurs de pilier sont étudiées : une égale à celle de la muqueuse et une seconde de 2 mm au-dessus de la muqueuse. Pour une position distale d’un implant, il serait préconisé d’utiliser un pilier juxta-muqueux, tandis que pour une position mésiale, un pilier 2 mm au-dessus de la muqueuse serait préférable.
Des études récentes (10,12,13,19) ont comparé les PAP compensant un édentement en extension bilatérale postérieure mandibulaire avec des PAP associées à des implants. La satisfaction générale des patients ainsi que la mastication étaient significativement augmentées dans les situations cliniques ou les PAP étaient associées à des implants.
Conclusion
Il n’existe, à ce jour, que peu de données pertinentes dans la littérature sur le recul clinique de traitements associant la PAP et la prothèse fixe implanto-portée. Un travail récent de recherche bibliographique (17) révèle des publications internationales essentiellement issues de cas cliniques, quelques articles de synthèse mais peu d’études longitudinales probantes (5,7,8,10).
Si le traitement de l’édentement complet par l’association de prothèse amovible et d’implants est largement documenté, la problématique de l’édentement partiel demeure vraisemblablement plus difficile à appréhender compte tenu de paramètres biomécaniques plus complexes (différentiel de compressibilité tissulaire des dents, des implants et de la muqueuse) et de l’absence de consensus quant au comportement, à moyen ou long terme, des implants isolés ou en nombre réduit, soumis à des contraintes extrêmement variables en fonction des architectures prothétiques réalisées (2,3,9,14,18).
Remerciements à :
Marcel Begin (chirurgie implantaire),
Isabelle Hutin (traitement prothétique),
Laboratoire Sauzeau et Frisquet,
Laboratoire PBM 92,
Laboratoire Sophie Nithart
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