Une complication fréquente lors d’un traitement endodontique est la fracture instrumentale intracanalaire. Ungerechts C. & al en 2014 décrivent un taux de fracture variant de 1 à 7 %, avec 39,5% des fragments retrouvés dans les canaux mésiaux des molaires et 76,5 % localisés dans les tiers apicaux. Tous types d’instruments peuvent être fracturés (instruments rotatifs en NiTi, tire nerfs, lentulo®, thermocompacteurs). Les instruments NiTi subissent deux mécanismes qui sont la fatigue tensionnelle et cyclique au cours du traitement pouvant entraîner la fracture de l’instrument. La résistance à la fracture par torsion (= fracture ductile) augmente avec l’augmentation de la masse centrale de l’instrument, de sa conicité et de son diamètre. A l’inverse la résistance à la fracture par fatigue cyclique (= fracture fragile) augmente avec la diminution de la masse centrale de l’instrument, de son diamètre et de sa conicité.
La compétence et l’expérience de l’opérateur, l’anatomie du canalaire, l’emplacement et la taille du fragment sont des facteurs très importants qui influencent le résultat de la tentative de dépose. L’instrument fracturé sera un obstacle à la désinfection canalaire optimale et impactera les chances de succès du traitement. Il empêchera d’instrumenter la partie apicale du canal, bloquera le passage des solutions d’irrigation et altérera le protocole de désinfection. Or il est prouvé qu’une désinfection optimale du 1/3 apical est la partie la plus importante de l’irrigation.
Il semble important de déterminer comment gérer ce type d’incident car plusieurs thérapeutiques sont possibles. Lorsque le retrait de l’instrument fracturé est impossible ou trop délétère, il est laissé en place. Idéalement, il est conseillé de contourner l’instrument (by pass) ou de le déposer, les taux de guérison étant meilleurs. Le choix entre ces deux méthodes se fera au cas par cas et sera opérateur dépendant. A ce jour, plusieurs techniques existent. L’évolution des instruments notamment ultrasonores permet aujourd’hui de les déposer en préservant au maximum les tissus dentaires. Cette technique reste la plus conservatrice. Gencoglu & al. décrivent un taux de succès 93% de dépose instrumental à l’aide d’inserts ultrasonores.
Quels inserts peut-on utiliser ?
Le kit Endo Success d’Acteon® est l’un des plus connu du marché. Les inserts ET 20 et ET 25 nous intéressent spécifiquement.
Insert ET 20 (Acteon®) (Fig. 1)
-- S’utilise dans la partie coronaire du canal
-- Insert en acier
-- Longueur 20 mm
-- Conicité 6 %
L’insert s’utilise sans irrigation à puissance modérée. Dans un premier temps, il faut libérer la partie coronaire du canal afin de mettre en évidence le fragment, puis à l’aide de l’ET25, créer une petite gorge tout autour du bris instrumental.
Insert ET 25 (Acteon®) (Fig. 2)
-- S’utilise dans le tiers moyen
et apical du canal
-- Insert en titane-niobium
-- Longueur 20 mm
-- Très fin
-- Conicité 3 %
Il s’agit d’un insert résistant permettant de travailler dans les zones médianes et apicales des canaux.
Lime K ultrasonores (Acteon®) de diamètre 10, 15, 25 et 30 (Fig. 3)
-- Conicité 2 %
-- Longueur de 21 ou 25 mm
-- Élimination de la dentine ou de la guttapercha autour de l’instrument
-- Permet de se précourber très facilement
Lime K ultrasonores EMS® à monter sur l’endochuk (limes ISO 15,20,25,30 et 35) (Fig 4)
-- Les limes sont interchangeables en cas de casse sans le corps de l’insert (endochuck)
Porte-lime angulé à 120° de chez Mectron® (limes ISO 15,20, 25 de 27 et 31 mm) (Fig. 5)
-- Porte lime de chez Mectron® angulé à 120º
-- Surface en nitrure de titane
-- Indiqué pour les incisives et prémolaires
-- Puissance comprise entre 1 et 6 recommandée par le fabricant
Porte-lime angulé à 90° de chez Mectron® (limes ISO 15,20,25 de 27 et 31 mm) (Fig. 6)
-- Porte lime de chez Mectron® angulé à 90°
-- Surface en nitrure de titane
-- Indiqué pour les molaires
-- Puissance comprise entre 1 et 6 recommandée par le fabricant
Insert ultrasonore ER4 (Mectron®) (Fig. 7)
-- Indiqué pour la dépose des instruments fracturés dans le tiers coronaire
-- Surface en nitrure de titane
-- Insert angulé de 0,6 mm de diamètre et de
longueur de travail allant jusqu’à 20 mm
-- Puissance recommandée par le fabricant comprise entre 1 et 3
Insert ultrasonore ER5 (Mectron®) (Fig. 8)
-- Indiqué pour la dépose des fragments instrumentaux situés dans les tiers médian et apical
-- Surface en nitrure de titane
-- Insert angulé de 0,5 mm de diamètre et de longueur de travail allant jusqu’à 24 mm
-- Puissance recommandée par le fabricant comprise entre 1 et 3
On retrouve également d’autres inserts sur le marché tels que les inserts Pro-ultra de chez Dentsply Maillefer® ou différents inserts de la marque Woodpecker®.
Protocole de dépose d’instrument fracturé
La facilité de la dépose va dépendre de la localisation et de la visibilité de l’instrument fracturé. La dépose de bris instrumental en apical sera donc plus compliquée qu’en coronaire. Un instrument fracturé après une courbure sera aussi plus difficile à déposer. L’usage des ultrasons nécessite d’avoir une bonne vision et rend obligatoire l’utilisation d’aide optique et de lumière adaptée (loupe a minima pour les instruments fracturés dans le premier tiers du canal et microscope pour les instruments fracturés plus apicalement). De plus, l’utilisation du CBCT en pré-opératoire est nécessaire dans la majeure partie des cas afin de déterminer précisément la localisation du fragment et visualiser les zones où agir afin d’éliminer la dentine de manière stratégique. Il permet également de déterminer le rayon de courbure du canal et la longueur de l’instrument fracturé. Plus la courbure sera serrée plus il sera difficile de déposer l’instrument, et plus l’instrument sera long plus il sera difficile de l’enlever.
Au cours de la dépose, une fracture secondaire de l’instrument peut se produire. Il s’agit d’une complication courante lors de la dépose instrumentale ce qui complique davantage la procédure et nécessite plus de temps pour gérer correctement la situation (Shen 2004). Les ondes à haute fréquence induites par la pointe ultrasonore sont transférées vers le fragment. Il se produit alors une fatigue cyclique pouvant engendrer une fracture secondaire de l’instrument. De plus la chaleur induite par l’ultrason provoque une modification de l’instrument fracturé et celui-ci peut alors se fracturer une seconde fois. Par conséquent, la chaleur et la fatigue cyclique générées par les ultrasons pourraient contribuer à la fracture secondaire. Pour ces raisons les ultrasons ne doivent pas être utilisés plus de soixante secondes notamment dans les canaux droits (Terauchi 2013).
En premier lieu, la cavité d’accès doit être retouchée afin d’avoir un bon accès visuel à l’instrument. Les ultrasons ne s’utilisent que sur un instrument visible. Il est fortement déconseillé de les utiliser à l’aveugle. La portion coronaire du canal pourra être préparée ou désobturée à l’aide d’un foret de Gates ou un autre instrument équivalent.
L’objectif sera ensuite de créer un passage latéral au fragment. Il faut chercher à libérer la tête de l’instrument en enlevant de la dentine à l’aide des ultrasons tel que l’ET20 (Acteon®). Il est essentiel d’être le plus conservateur possible, c’est à ce moment que l’étude préalable du CBCT servira afin de savoir ou détourer.
Au cours de cette étape, il est conseillé de ne pas utiliser d’irrigation avec l’insert afin d’avoir une meilleure visibilité mais il est nécessaire d’irriguer le canal par intermittence. Ceci pour ne pas trop échauffer la dentine, les tissus parodontaux et augmenter le risque de fracture secondaire de l’instrument.
Toujours à l’aide du même insert faire vibrer l’instrument en tournant dans le sens anti horaire pour les instruments NiTi en rotation continue et dans le
sens horaire pour les instruments en réciprocité afin de le déloger. L’objectif est de tourner dans le sens du dévissage donc il dépend de l’instrument fracturé. Il est important de bien
respecter le sens de rotation afin d’éviter une descente de l’instrument en apical. Selon certains auteurs durant cette étape il est préférable d’utiliser les ultrasons sous irrigation constante
mais la visibilité en est largement réduite. Il semble donc plus cohérent d’alterner les phases avec et sans irrigation. Selon Terauchi il est conseillé après avoir libérer un passage le long de
l’instrument pour placer la pointe de l’insert ultrasonore de remplir le canal d’EDTA liquide afin de faciliter sa désinsertion.
Lors de la dépose d’un instrument en Niti dans une courbure il est important de comprendre que la dentine devant être éliminée est celle qui est à l’intérieur de la courbure. Dans le cas contraire, la mémoire de forme du NiTi aura pour conséquence de voir l’instrument se redresser dans le canal au fur et à mesure que la dentine opposée à la courbure est éliminée, mais ne permettra pas la désinsertion de l’instrument.
Le fait de laisser un mur de dentine en contact avec l’instrument fracturé permettra de limiter la génération de stress sur la lime fracturé et donc de limité le risque de fracture secondaire. Dans le cas d’un instrument en NiTi bloqué dans une courbure il s’agit donc du mur de dentine externe.
Enfin il est à préciser que pour les instruments plus longs que 4,5 mm, dans les racines dont l’angle de courbure est supérieur à 60° ou plus de 3 mm et 30° d’autres techniques complémentaire telle que la technique du lasso deviennent indispensables. La technique du lasso permet de compléter lorsque l’instrument se met à bouger dans le canal mais n’arrive pas à être totalement désinsérer justement dans les cas où le fragment est trop long ou le rayon de courbure trop important. La première phase à l’aide d’insert ultrasonore est la même que celle précédemment cité. Une fois que l’instrument se met à bouger dans le canal mais encore bloqué une petite boucle de préhension permet d’attraper la tête de l’instrument pour pouvoir le sortir. Pour cette phase il est nécessaire de légèrement retoucher la paroi externe de dentine au préalable pour pouvoir faire passer la boucle.
Il existe sur le marché plusieurs système de lasso avec des diamètres de fils et d’aiguilles différents ainsi que des design différents mais le protocole reste identique avec ces différents systèmes.
Conclusion
La fracture instrumentale fait partie des complications existantes lors d’un traitement endodontique. La localisation du fragment constitue un blocage pour permettre une désinfection complète du réseau canalaire. De sa localisation dépend donc le pronostic du traitement s’il est laissé en place et de sa possibilité de contournement (by pass) ou de dépose.
La dépose instrumentale à l’aide d’inserts ultrasonores est une solution efficace, prédictible et économe en tissus dentaires à partir du moment où le fragment fracturé est visible dans le canal. Le récent développement des boucles de préhension (lasso) a permis de repousser et améliorer encore les possibilités de dépose instrumentale.
En cas d’échec de dépose ou de by pass ou dans des situations ou le fragment n’est pas visible il est à noter que la microchirurgie endodontique reste une solution de choix et extrêmement efficace pour permettre la désinfection du canal apicalement au fragment laissé en place.
Bibliographie
1. Ungerechts C, Bårdsen A, Fristad I. Instrument fracture in root canals - where, why, when and what? A study from a student clinic. Int Endod J. févr 2014;47(2):183-90.
2. Gencoglu N, Helvacioglu D. Comparison of the different techniques to remove fractured endodontic instruments from root canal systems. Eur J Dent. avr 2009;3(2):90-5.
3.Shen Y, Peng B, Cheung GS-P. Factors associated with the removal of fractured NiTi instrument from
root canal systems. Oral Surg Oral Med Oral Pathol Oral Radiol Endod. nov
2004;98(5):605‑10.
4.Terauchi Y, O’Leary L, Yoshioka T, Suda H. Comparison of the time required to create secondary fracture of separated file fragments by using ultrasonic vibration under various canal conditions. J Endod. oct 2013;39(10):1300-5
5. Terauchi Y, Separated file removal. International dentistry – african
edition vol. 2, no. 5
6.Terauchi Y. Separated file removal. Dent Today. mai 2012;31(5):108, 110-3.
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2020