Introduction
Le traitement de l’édentement maxillaire antérieur post-traumatique constitue un défi pour le chirurgien, le praticien prothésiste et le prothésiste. Il est impératif de disposer d'un volume osseux et muqueux adéquats afin d’atteindre des objectifs esthétiques optimaux. Dans de nombreux cas, les traumatismes dentaires s'accompagnent d'une perte tissulaire importante (1). La plupart des patients sont jeunes et ont des exigences esthétiques élevées. Le jeune âge du patient empêche dans de nombreux cas un traitement immédiat. En conséquence, la résorption et l'atrophie du maxillaire antérieur s’accentuent, ce qui entraine des difficultés supplémentaires dans le traitement implantaire. Dans ces situations cliniques, le défi esthétique est lié à la difficulté de pouvoir régénérer les pertes osseuses et muqueuses qui peuvent être sévères et par conséquent augmenter les risques de complications dans ce contexte ostéo-muqueux initialement défavorable. A travers de cas clinique, nous décrivons les différentes étapes de prise en charge d’une jeune patiente ayant subi un traumatisme dentaire au niveau de ses incisives maxillaires antérieures à l’âge de 8 ans.
Présentation du cas
Mme S.V. âgée de 24 ans, en bon état de santé générale, non fumeuse est adressée par un confrère pour étudier la faisabilité d’une réhabilitation implantaire afin de remplacer ses incisives maxillaires. L’examen exobuccal révèle une répartition harmonieuse des trois étages de la face. La ligne du sourire laisse découvrir toutes les papilles sauf la papille inter-incisive centrale (Fig. 1,2 et 3).
L’examen clinique endobuccal (Fig. 4), permet de noter la présence d’une inflammation sévère localisée au niveau des incisives centrales maxillaires ainsi que de la 22 associée à une suppuration en regard de la 11. En effet, la patiente déclare éviter de brosser ce secteur de « peur de perdre mes dents ». L’examen parodontal révèle un biotype parodontal plutôt épais, une ligne des collets non harmonieuse et un triangle noir entre les dents 11 et 21 probablement due à la perte du septum osseux à ce niveau. Les dents 11, 21 et 22 présentent des mobilités terminales. Sur le plan occlusal, on note un inversé d’articulé au niveau des canines, une guidance antérieure toujours présente et en latéralité une fonction de groupe de chaque côté. La radiographie panoramique ainsi que les clichés rétro-alvéolaires confirment la sévérité des résorptions radiculaires rendant le pronostic des dents 11, 21 et 22 très réservé (Fig. 5 et 6). On peut noter aussi la probable préservation des pics osseux sur les dents adjacentes ce qui laisse prévoir une régénération osseuse optimale plutôt prédictible.
L’examen CBCT présenté par la patiente le jour de la première consultation, met en évidence une perte des tables osseuses vestibulaires sur l’ensemble des 3 dents entamant aussi l’os côté palatin (Fig.7).
Choix thérapeutiques
Dans cette situation clinique, il aurait été judicieux d’améliorer le contexte occlusal initialement par la réalisation d’un1 traitement orthodontique multi-attache, mais à cause de l’allongement de la durée du traitement, la patiente n‘a pas adhéré à cette option thérapeutique.
Au vu de tous les éléments cliniques et radiographiques cités précédemment, l’extraction des dents 11, 21 et 22 en phase terminale est incontournable. Les différentes phases chirurgicales se sont déroulées selon la chronologie suivante :
Phase 1 : extractions et aménagements muqueux
Les incisives 11, 21 et 22 sont extraites sans levée de lambeau (Fig. 8), les alvéoles sont ensuite curetées, avivées et désépithélialisées à l'aide d'une fraise boule diamantée et irriguée avec du sérum physiologique. Des greffes de tissu épithélio-conjonctif en bouchon sont effectuées mais sans aucun comblement osseux au vu du contexte et surtout de l’absence de mur osseux pouvant assurer la régénération osseuse attendue. Ces augmentations de tissus mous ont pour but de préparer au mieux les sites à la greffe osseuse et aussi d’optimiser l'environnement muqueux. Pour ceci un greffon tubérositaire épais est prélevé, le choix de ce site permet la réduction des suites postopératoires mais aussi l’obtention d’une qualité de conjonctif bien souvent meilleure comparées au prélèvement palatin (Fig. 9a à 9c). Un appareil amovible provisoire préalablement préparée a été mis en place en légère compression afin de rétablir la fonction et l’esthétique à la patiente tout en préparant les profils d’émergence (Fig. 10 et 11).
Phase 2 : augmentation osseuse
Trois mois après les extractions, temps nécessaire pour la cicatrisation des tissus mous et durs, un nouvel examen cone beam est effectué avec un guide radiologique en place préparé en amont et issu d’un wax-up idéalisé. Cet examen confirme la nécessité de réaliser une augmentation osseuse préalable vu le déficit osseux vertical mais aussi horizontal (Fig. 12). On peut noter aussi la proximité et l’importance du canal palatin antérieur.
Une incision crestale puis intra-sulculaire entre 13 et 23 est réalisée, complétée ensuite par deux incisions de décharge à distance du site à greffer, en distale des canines. Deux lambeaux de pleine épaisseur vestibulaire et palatin sont levés en veillant à respecter au mieux l’intégrité du périoste. La crête est préparée minutieusement en éliminant toute trace de tissu conjonctif (Fig. 13 et 14).
Nous avons opté pour cette patiente d’éviter le prélèvement osseux autogène afin d’éviter un second site et de réduire les suites opératoires. Nous avons fait appel à des matériaux de substitution osseuse, un mélange 50/50 d’os allogénique (BioBank®) et d’os d’origine bovine (Bio- Oss®).
L’ensemble a été recouvert d'une première membrane en PTFE-e (polytétrafluoroéthylène expansée) armée titane fixée à l'aide de clous en palatin et en vestibulaire. L’ensemble a été recouvert par une deuxième membrane collagénique résorbable Creos (Nobel Biocare) fixée aussi par des clous des 2 côtés. Par la suite, le lambeau vestibulaire est libéré par des incisions périostées puis suturé passivement pour recouvrir le site à régénérer (Fig. 15a à 15c).
Une attention particulière est apportée aux sutures afin de réduire le risque d’exposition de la membrane, pour cela des points matelassiers horizontaux et des points discontinus au fil PTFE monofilament 5/0 (Dentalforce) puis à l’aide d’un fil résorbable 6/0 (Velosorb, IPP pharma) sont réalisés afin de rapprocher les berges des lambeaux.
Phase 3 : mise en place différée des implants
Six mois après l’augmentation osseuse, un nouvel examen cone beam est réalisé afin de visualiser le volume osseux reconstitué (Fig. 16). La réentrée est effectuée à 8 mois, temps nécessaire pour la maturation et l’organisation de la régénération osseuse guidée. Les mêmes tracés
d’incisions que lors de la première intervention sont réalisés pour exposer le
site et déposer la membrane (Fig. 17 à 19). Comme noté sur l’examen 3D de contrôle, le volume osseux reconstitué tant en hauteur qu’en largeur est satisfaisant et a permis la mise en place de deux implants dans de bonnes conditions et à l'aide du même guide radiologique et chirurgical. Les implants sont non enfouis et une empreinte est réalisé le même jour en vue d'un bridge provisoire préalable au travail définitif afin de préparer au mieux les profils d’émergence (Fig. 20 à 22). Lors de cette même intervention, afin d’optimiser le résultat esthétique et assurer un manchon muqueux adéquat autour des implants, un greffon conjonctif est rajouté en vue d’une augmentation horizontale et d’un épaississement des tissus mous (Fig. 23 à 27).
Phase 4: temporisation, prothèse d’usage et suivi
Deux mois au minimum sont nécessaires pour l’intégration et la maturation du greffon gingival, période à l’issue de laquelle un bridge transvissé provisoire est mis en place (Fig. 28). Celui-ci va permettre la préparation des profils d’émergence autour des implants mais aussi au niveau de la zone édentée à travers un pontic compressif. A 6 mois, une empreinte de positionnement des implants avec enregistrement de la forme des berceaux muqueux assurera la transmission des données au prothésiste pour la conception de la prothèse d'usage (Fig. 29 à 32). Celle-ci est en zircone stratifié et transvissée directement sur les implants. Un suivi régulier annuel est mis en place. Aucune complication n’est notée à ce jour. Les niveaux osseux et muqueux sont stables à 5 ans (Fig. 33 à 38).
Discussion
Les incisives maxillaires sont les dents les plus sujettes aux traumatismes chez les enfants entre 8 et 12 (2). L’objectif du traitement initial est de maintenir les dents en place ainsi que l’espace des dents traumatisées par différentes options, en attendant la fin de la croissance de la patiente. Par la suite, dans la grande majorité des situations cliniques, on a recours à la pose d‘implants dentaire afin de remplacer ces dents. Les bridges collés sont aussi une option fiable pour le remplacement notamment d’une seule dent et en particulier l’incisive latéral (3) sachant que l’éruption des dents peut continuer tout au long de la vie (4).
Par ailleurs, dans les secteurs antérieurs, particulièrement au maxillaire, le positionnement des implants est un facteur déterminant pour un résultat esthétique
satisfaisant. Au cours de la croissance dento-faciale un changement de la position des dents adjacentes peut dégrader le résultat esthétique. Pour cela, il est souhaitable d’attendre, autant que
faire se peut, la fin de la croissance pour entamer le projet implantaire (6). La technique d’évaluation de la fin de croissance a été associée à une évaluation de l’âge osseux, qui peut être
faite grâce à différentes mesures, telle que la radiographie de la main ou des
vertèbres. Or, de nombreuses études montrent que la croissance des maxillaires, après la période pubertaire, n’est pas achevée et continue sous la forme de phénomènes de remodelage durant toute la vie. (5) (6). Les recommandations par rapport à l’âge de la pose des implants chez les jeunes est encore un sujet à controverses, mais l’idée est de retarder au plus la pose des implants chez ces patients. Dans cette situation clinique avec plusieurs dents compromises, l’indication implantaire ne nous semble pas contestable. L’objectif du traitement est de restaurer la fonction tout en optimisant l’aspect esthétique en retrouvant au mieux un niveau des collets et des papilles en harmonies avec les dents adjacentes.
La réalisation d'une greffe épithélo-conjonctive lors des extractions dentaires est une technique de préservation alvéolaire simple, peu invasive et qui n’aboutit pas à l’allongement de la durée du traitement, comparée aux techniques de préservation alvéolaire avec mise en place de biomatériaux. Dans ce cas clinique le but de la greffe épithélio-conjonctive était d’améliorer le capital gingival afin de préparer au mieux le recouvrement de la régénération osseuse par les tissus mous mais aussi le futur environnement muqueux autour des implants (7).
La largeur osseuse disponible initiale était de l’ordre de 1 à 2 mm, un gain d’au moins 5mm était nécessaire associé à une augmentation en hauteur pour pouvoir poser des implants dans un environnement osseux favorable et guidé par le projet prothétique. Pour cela, nous avons opté pour régénération osseuse guidée en associant une membrane non résorbable type polytétrafluoroéthylène expansée et qui a montré des résultats prédictibles notamment pour les augmentations 3D.
En effet, ce type de membrane favorise la sélection des cellules ostéoprogénitrices dans le site à reconstruire et stabilise la greffe osseuse ainsi que le caillot sanguin dans leur aspect volumétrique grâce au renforcement par des lamelles titane. Actuellement ce type de membrane (Gore-Tex®) n'est plus commercialisé mais d'autres membranes en PTFE dense (Cytoplast®, Dental Force) sont disponibles (8). Les grilles en titane sont aussi une alternative particulièrement intéressante qui peut sans doute se substituer aussi à ce type de membrane.
Concernant les matériaux utilisés dans ce cas clinique, nous avons opté pour l’utilisation de la combinaison d'un mélange 50/50 os allogénique (Biobank™ particules cortico-spongieuses) et os d'origine bovine (Bio-Oss®, Geistlich).
L’os allogénique lyophilisé déminéralisé, que l'on trouve souvent dans la littérature sous les termes anglais « Demineralized Freeze-Dried Bone Allograft » (DFDBA), est un os de banque d’origine humaine issus de têtes fémorales prélevées sur donneurs vivants lors d’arthroplasties de hanche ou sur cadavres frais. Il est traité chimiquement afin d’inactiver les virus et supprimer les agents pathogènes, puis lyophilisé et stérilisé par irradiation.
Contrairement à l’os lyophilisé non déminéralisé (FDBA), la fraction minérale est supprimée par déminéralisation, tandis que la matrice collagénique et les protéines matricielles non-collagéniques sont conservées. Ces dernières, dont font partie les Bone Morphogenetic Proteins (BMP), ne sont donc plus prisonnières du squelette minéral osseux et pourraient ainsi exprimer leur potentiel ostéo-inducteur lors de la cicatrisation osseuse. Ainsi, grâce à ces protéines, le DFDBA présenterait un pouvoir ostéo-inducteur aujourd’hui mais qui reste à démontrer (9) (10).
L’os allogénique a été mélangé à de l’os d’origine bovine. Ce dernier n’a aucun pouvoir ostéogénique ni ostéoinducteur. II est uniquement ostéoconducteur, grâce à la capacité de la structure minérale qui ressemble de très près à l’ultra structure de l’os humain à servir d’échafaudage pour la migration et la colonisation des cellules vasculaires et ostéogéniques, provenant du tissu osseux adjacent au site d’intervention.
Un délai de plus ou moins 8 mois est nécessaire avant d’effectuer la ré-entrée du fait de l’utilisation des substituts osseux xénogéniques. En effet, ceci dû à l’allongement de la phase de revascularisation et d’incorporation du greffon. Cependant, l’avantage de cette association est de profiter de la lente résorbabilité de los d’origine bovine mais aussi de sa capacité à stabiliser le volume osseux recréé (11).
Dans notre situation clinique avec trois dents manquantes (11, 21 et 22) deux implants en position 11 et 22 sont placés aux extrémités afin de réaliser un bridge de trois éléments avec un « ovate pontic » compressif. Cette décision est aussi étayée par une plus grande facilité d’obtention d'un résultat esthétique et de régénération des papilles (12).
Conclusion
La gestion de l’édentement maxillaire antérieur demeure un défi pour le chirurgien-dentiste malgré toutes les évolutions technologiques et ceci est particulièrement vrai quand les augmentations osseuses verticales y sont associées.
On dispose de peu d'éléments de preuves concernant l'augmentation osseuse crestale verticale. Cependant, l’évaluation de certains facteurs est essentielle pour la réussite de ce genre d’augmentation comme la largeur et l’épaisseur de la muqueuse kératinisée, les structures anatomiques adjacentes mais aussi les facteurs cliniques comme la compétence et l’expérience du chirurgien puis les facteurs liés au patient. Notre préférence s’oriente d’une manière générale vers la ROG en raison de sa prédictibilité et de son faible taux de complications et de sa moindre morbidité. L’os autogène reste une option mais devrait être utilisé, à notre sens, pour les patients qui refusent les greffes allogéniques et xénogéniques.
La démarche en 2 temps pour ce cas clinique et le choix de la ROG a permis la restauration du sourire de la patiente avec un résultat stable à 5 ans aussi bien sur le plan muqueux qu’osseux.
Bibliographie :
1) Schwartz-Arad D, Levin L, Ashkenazi M. Treatment options of untreatable traumatized anterior maxillary teeth for future use of dental implantation. Implant Dent. 2004;13(2):120-8.
2) Andreasen JO, Andreasen FM. Essentials of Traumatic Injuries to the Teeth,2nd ed. Copenhagen: Munksgaard; 2000:7–9
3) Attal JP, Tirlet G. Le cantilever : une nouvelle géométrie pour les bridges collés. Revue de la littérature. Réalités Cliniques 2015. Vol. 26, n°1 : pp. 25-34
4) Cocchetto R, Pradies G, Celletti R, Canullo L. Continuous craniofacial growth in adult patients treated with dental implants in the anterior maxilla. Clin Implant Dent Relat Res. 2019 ;21(4):627-634.
5) Bousquet P, Ansermino H, Canal P, Renaud M, Artz C. Croissance et implants dentaires : évaluation et prévention du risque esthétique. Orthod Fr. 2016;87(3):321–8.
6) Heij DG, Opdebeeck H, van Steenberghe D, Kokich VG, Belser U, Quirynen M. Facial development, continuous tooth eruption, and mesial drift as compromising factors for implant placement. Int J Oral Maxillofac Implants. 2006;21(6):867-78.
7)Landsberg CJ, Bichacho N. A modified surgical/prosthetic approach for optimal single implant supported crown. Part |--The socket seal surgery. Pract Periodontics Aesthet Dent. 1994 ;6 :11-7
8) Urban IA, Monje A, Nevins M, Nevins ML, Lozada JL, Wang HL. Surgical Management of Significant Maxillary Anterior Vertical Ridge Defects. Int J Periodontics Restorative Dent. 2016;36(3):329-37.
9) Benic GI, Hammerle CH. Horizontal bone augmentation by means of guided bone regeneration. Periodontol 2000. 2014;66(1):13-40.
10) Miron RJ, Sculean A, Shuang Y, Bosshardt DD, Gruber R, Buser D, Chandad F, Zhang Y. Osteoinductive potential of a novel biphasic calcium phosphate bone graft in comparison with autographs, xenografts, and DFDBA. Clin Oral Implants Res. 2016;27(6):668-75.
11) Salem D, Alshihri A, Arguello E, Jung RE, Mohmed HA, Friedland B. Volumetric Analysis of Allogenic and Xenogenic Bone Substitutes Used in Maxillary Sinus Augmentations Utilizing Cone Beam CT: A Prospective Randomized Pilot Study. Int J Oral Maxillofac Implants. 2019;34(4):920–926.
12) Noharet.R., Viennot.S., Secteur Antérieur et Implants : Défi esthétique. Esthetique en odontologie, Edition JPIO, Chapitre 8, CdP, pp 121-138.
Retour au Dossier spécial Tout Sourire - AO news#36 - Septembre 2020