Le traitement de l’édentation complète au maxillaire supérieur à l’aide d’implants constitue une solution fiable1 et largement documentée dans la littérature. De même, la possibilité, dans certains cas, de réaliser une procédure d’extraction-implantation-mise en charge immédiate est elle aussi largement diffusée. Cette technique permet au patient de passer, en un temps chirurgico-prothétique, d’un état d’édenté partiel ou subtotal à un état denté avec une prothèse fixe immédiate transvissée provisoire satisfaisant aux critères esthétiques et fonctionnels. Toutefois, il existe des situations cliniques où le manque d’os résiduel constitue un obstacle majeur à la réalisation d’une telle procédure. Le clinicien se trouve alors confronté à un choix thérapeutique :
- soit un recours à des greffes d’apposition et/ou de techniques de régénération est envisagé ; mais alors la mise en place immédiate d’implants et à fortiori d’une mise en fonction/esthétique immédiate est contre-indiquée ;
- soit un recours à un ou plusieurs implants transzygomatique 2/3 permet d’obtenir, en un temps chirurgical, un ancrage fiable et solide permettant une mise en charge immédiate.
Cas clinique
Examen clinique et para-clinique
Patiente de 70 ans, sans antécédents, présentant une édentation unilatérale terminale droite maxillaire et porteuse d’une prothèse adjointe mal adaptée entrainant inconfort et préjudice esthétique (Fig.1). L’examen clinique montre une forte résorption de la crête édentée. Les dents résiduelles sont fortement égressées avec un pronostic parodontal défavorable. L’arcade mandibulaire est restaurée à l’aide une prothèse adjointe complète stabilisée par implants (PACSI) avec une usure importante des dents prothétiques opposées aux dents maxillaire résiduelles (Fig. 2, 3).L’examen panoramique et CBCT confirme une quantité d’os disponible incompatible avec la mise en place d’implants en secteur 1. En revanche, une implantation est possible en zone sous-nasale et inter-sinuso-nasale, de même qu’en secteur 2 après extraction des dents résiduelles (Fig. 4, 5).
Le plan de traitement proposé consiste en l’extraction des dents restantes, la mise en place de 5 implants conventionnels en position 13/11/21/23/25 plus d’un implant transzygomatique en secteur 1.
Etape préparatoire à la prothèse immédiate
Des modèles sont réalisés à partir d’empreintes à l’alginate et montés sur articulateur semi-adaptable. Les dents résiduelles sont retirés sur le modèle en plâtre (Fig. 6) et un montage directeur avec dents du commerce est réalisé en ayant au préalable remonté la dimension verticale de 3 mm (Fig. 7).
Une clé en silicone permet de conserver ce montage (Fig. 8) et va servir à la fabrication de 2 éléments :
- un guide chirurgical en résine transparente, qui servira aussi à l’enregistrement des rapports inter-maxillaire après la chirurgie (Fig. 9),
- une arcade complète de 12 dents du commerce (Vitapan) réunies entre-elles par de la résine auto-polymérisante et destinée à être connectée aux cylindres provisoires par le technicien de laboratoire (Fig. 10).
Phase chirurgicale
Les dents résiduelles sont retirées et 5 implants Nobelactive NP sont placés, à un torque de 35 Ncm. , 3 en secteur II (21/23/25) et 2 en secteur I (11/13) . Des piliers multi-unit conical connection sont vissés à 35 Ncm et recouverts de capuchons de cicatrisation. Au niveau de la 16, en raison de la forte résorption, un implant trans-zygomatique est placé, avec une préparation osseuse de type ZAGA 44. Le choix de dette pose extra-sinusienne est dicté par l’anatomie de l’os résiduel. Suite au décollement du lambeau et à l’insertion d’un écarteur type Obwegeser « toe out » dans l’échancrure zygomatique, une fenêtre est réalisée sur la face antérieure du maxillaire (slot technic) avec une rainure intéressant la quasi totalité de l’os5 (Fig. 11). La préparation du logement de l’implant au niveau de l’os zygomatique se fait avec une séquence de forage conventionnelle (fraise boule-foret diamètre 2,9mm- foret pilote 2,9/3,5mm). Un implant (Branemark Zygoma machined 40mm) est alors vissé manuellement dans son logement au moyen d’une poignée porte-implant à un torque de 55Ncm (Fig. 12). L’orientation de la tête de l’implant à 45° impose un ajustement précis afin que l’axe du futur pilier soit compatible avec une émergence la plus proche possible de l’arcade antagoniste. Un pilier multi-unit type Branemark est vissé sur la tête de l’implant à 35 Ncm (Fig. 13) et un capuchon de protection est mis en place. Les tissus sont suturés (Vicryl résorbable 4.0) à points séparés après rinçage et nettoyage soigneux de l’os).
Empreintes
Le guide chirugical est garni de silicone d’occlusion (Jet Blue Bite, Coltene) et mis en place. Le but est d’enregistrer la position des capuchons de cicatrisation et de permettre de repositionner ce guide sur le futur modèle de travail (Fig. 14). Les rapports inter-maxillaire sont enregistrés grâce à un mordu en silicone réalisé sur le guide (Fig. 15) et permettra le positionnement du modèle de travail sur l’articulateur.
Les capuchons sont alors retirés, des transferts vissés type pick-up pour porte-empreinte ouvert sont vissés manuellement et une empreinte au plâtre est pratiquée (Snow-White, Kerr) (Fig. 16).
Une fois cette étape réalisée, les capuchons sont remis sur les piliers et le patient, dirigé en salle de repos, reçoit une prescription d’antalgiques (Paracetamol codeiné) et des vessies réfrigérées sont placées sur les zones opérées.
Étape de laboratoire
Après vissage des répliques et confection d’une fausse gencive en silicone, le modèle est coulé en plâtre pierre (Fig. 17). Le guide chirurgical est repositionné sur le modèle et sur l’antagoniste et celui-ci est monté sur l’articulateur (Fig. 18). Des cylindres provisoires, préalablement silanés (afin d’améliorer la liaison de la résine sur ceux-ci) sont vissés et sectionnés en fonction de la hauteur disponible (Fig. 19).
L’arcade de dents du commerce préalablement préparée est alors ajustée et connectée aux cylindres à l’aide de résine auto-polymérisante (Fig. 20). Selon l’importance de la résorption, et en fonction des zones considérées, il est parfois nécessaire d’avoir recours à de la résine rose pour limiter la longueur des dents prothétiques. Les finitions sont alors effectuées, et le bridge est poli. Il est indispensable de laisser une bande d’épaisseur minimale de 1mm de cylindre en titane visible au niveau gingival pour limiter le contact résine-gencive (Fig. 21). On s’attachera à créer des embrasures suffisantes au niveau de chaque cylindre pour permettre un passage aisé des brossettes interdentaires par le patient : en effet, l’hygiène est un facteur de la réussite immédiate et à long terme de ce type de traitement. Du fait de l’usure de la prothèse inférieure, et afin d’obtenir un plan d’occlusion convenable, un ajout de résine est exécuté sur celle-ci (Fig. 22).
Délivrance de la prothèse
Après retrait des capuchons de cicatrisation, la prothèse est vissée sur les piliers à 15 Ncm (Fig. 23) et l’occlusion vérifiée. On privilégiera des rapports répartis et équilibrés en occlusion statique ; un guidage antérieur et une fonction de groupe en occlusion dynamique. La délivrance de la prothèse a lieu dans les 3h qui suivent la fin de la chirurgie. La patiente est convoquée à J+3, J+8, 1 mois et tous les mois pendant 4 mois avec des recommandations alimentaires strictes (alimentation souple) et une importante motivation à l’hygiène. Un CBCT de contrôle est pratiqué, notamment au niveau de l’os zygomatique, pour s’assurer de la longueur d’implant insérée (Fig. 24).
Prothèse d’usage
A 4 mois post-opératoire, la prothèse est dévissée (Fig. 25) et le serrage des piliers contrôlé. Une nouvelle empreinte au plâtre est pratiquée et traitée de la même manière que précédemment. Une vérification de la fiabilité de celle-ci sera réalisée à l’ai d’une barrette en plâtre, afin de s’assurer d’une parfaite passivité. Dans le cas où celle ci se fracturerait, une nouvelle empreinte sera pratiquée. L’occlusion est enregistrée avec une barrette en résine et le modèle de travail monté sur articulateur. Un montage de dents prothétique en composite, au volume identique à la future prothèse est essayé afin de contrôler l’esthétique, l’occlusion et le profil d’émergence global. On s’attachera à vérifier l’absence de zone concave ou de contre-dépouille risquant de perturber l’accès à une hygiène aisée.
Une barre titane est usinée (CadCam Simeda) puis silanée et polie afin de recevoir les éléments cosmétiques. On notera que les doléances de la patiente peuvent s’exprimer à ce stade, et que celle-ci souhaitant des volumes de dents moins importants, une fausse gencive a été nécessaire (Fig. 26).
Une fois le bridge vissé, les puits d’accès sont obturés à l’aide de Teflon et de Cavit le jour de la délivrance. Une radiographie de contrôle permet de s’assurer de la parfaite adaptation du bridge sur les piliers. L’occlusion est ensuite contrôlée, ajustée si nécessaire et la patiente est revue à J+8 afin de pratiquer d’éventuelles retouches. Les puits d’accès peuvent alors être obturés au composite.
Discussion - Conclusion.
L’apport d’implant zygomatique dans ce type de traitement a permis de réaliser une extraction-implantation-mise en charge immédiate ce qui aurait été impossible dans le cas où des greffes auraient été exécutées. De plus, la possibilité de poser ces implants sous anesthésie locale simple, sans prémédication, élargit considérablement leu champ d’action. Les suites opératoires sont comparables à celles d’implants conventionnels. Il est bien sûr indispensable de s’assurer d’une bonne santé sinusienne et d’une parfaite perméabilité du méat moyen. Ce type d’implant rend d’évidents services dans les cas de fortes résorptions au maxillaire, toutefois, la technique de pose nécessite une formation spécifique du chirurgien. De même, l’aspect prothétique est très important tant au niveau du design du bridge que de l’occlusion. Il est impératif de vérifier qu’il existe une occlusion parfaitement équilibrée et surtout pérène. Des modifications au niveau notamment de l’arcade antagoniste doivent être corrigées au plus tôt, afin d’éviter une surcharge occlusale pouvant entrainer des fractures de cosmétique, des dévissages voire des fractures d’implant. La maintenance est un facteur essentiel, on s’assurera de la capacité du patient à entretenir une hygiène parfaite grâce en particulier à l’usage de brossettes. Un contrôle clinique bis-annuel, et radiographique annuel est indispensable.
Il faut noter que ces implants permettent de faire face à des situations encore plus compromises, notamment en présence de résorption généralisée, par la mise en place de 4 implants zygomatique : technique quad-zygo. Le taux de succès à moyen et long terme permet de considérer ces techniques comme une solution fiable, prédictible et une alternative fiable aux procédures de greffes d’apposition6.
Bibliographie :
1/ David Soto-Peñaloza , Regino Zaragozí-Alonso , María Peñarrocha-Diago , Miguel Peñarrocha-Diago : The all-on-four treatment concept: Systematic review / J Clin Exp Dent. 2017;9(3):e474-88.
2/ Edmond Bedrossian, DDS, FACD, FACOMS/Lambert Stumpel III, DDS/ Michael Beckely, DDS/Thomas Indersano, DDS : The Zygomatic Implant: Preliminary Data on Treatment of Severely Resorbed Maxillae. A Clinical Report / (INT J ORAL MAXILLOFAC IMPLANTS 2002;17:861–865)
3/ Paulo Maló, DDS,Miguel de Araujo Nobre, RDH,Isabel Lopes, DDS : A new approach to rehabilitate the severely atrophic maxilla using extramaxillary anchored implants in immediate function: A pilot study / J Prosthet Dent 2008;100:354-366
4/– Aparicio C & Al : ZAGA : the ABC’S of establishing the implant trajectory . Zygomatic implants – The anatomy-guided approach. Quint.Pub.Co, ltd. 2012- 11.
5/ John Paul Stella, DDS/Michael R. Warner, DDS, PhD : Sinus Slot Technique for Simplification and Improved Orientation of Zygomaticus Dental Implants: A Technical Note / (INT J ORAL MAXILLOFAC IMPLANTS 2000;15:889–893)
6/ Davo R., Malevez C., Rojas J., Rodriguez J., and Regolf J., Clinical outcome of 42 patients treated with 81 immediately loaded zygomatic implants: a 12- to 42-month retrospective study. Eur J Oral Implantol 2008; 1(2):141-50.
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