13 ans de consultation de pathologies de la muqueuse buccale à l’hôpital Bretonneau

Claire Lutz, Muriel Tawfik, Anne-Laure Ejeil

Dossier spécial Médecine et Chirurgie Orale - AO News #34-35 Juin/Juillet 20


Introduction

Les pathologies de la muqueuse buccale présentent un ensemble de symptômes, de signes cliniques et d’étiologies (locales ou systémiques) très variées susceptibles de déconcerter le chirurgien-dentiste omnipraticien, alors même que bon nombre d’entre elles font partie intégrante

de sa pratique quotidienne. Les découvertes sont souvent fortuites, par les patients eux-mêmes ou par leur chirurgien-dentiste, ces derniers s’orientant alors vers des consultations spécialisées, à l’instar de la consultation de pathologies de la muqueuse buccale du service de Médecine Bucco-Dentaire de l’hôpital Bretonneau (AP-HP, Paris). Les patients, majoritairement adressés par des confrères, expriment une gêne, une douleur ou encore une anxiété vis-à-vis d’un éventuel caractère malin de leur pathologie. L’étude  rétrospective sur plus de dix ans (2007-2019) des cas diagnostiqués au sein de la consultation retrouve de nombreuses variations anatomiques, des tumeurs bénignes mais également des pathologies plus sévères (Fig. 1), décrites dans cet article. Article et Biographie.


Variantes anatomiques

 

Parmi les variations anatomiques diagnostiquées (Fig. 2), la plus fréquente est la langue géographique ou glossite exfoliatrice marginée. Elle se manifeste par des zones dépapillées, conduisant à un aspect d’érythème cerclé d’un bord blanchâtre (Fig. 3), ne nécessitant aucun traitement particulier. Lorsque des douleurs sont associées, elles sont liées à une alimentation acide et/ou épicée qu’il faudra éviter (1). Toutefois, il ne faut pas omettre certains diagnostics différentiels importants. En effet, des plages linguales dépapillées peuvent être la conséquence d’une anémie ferriprive ou carentielle (carence vitaminique (Fig. 4)). Un bilan sanguin comprenant une numération formule sanguine (NFS), un dosage vitaminique et de la ferritine sera alors indiqué en cas de tableau atypique (2). Un grand nombre de patients sont adressés pour des excroissances osseuses (tori), généralement asymptomatiques, ne nécessitant une résection qu’en cas d’ulcération de surface et/ou de difficulté au port de prothèses amovibles.


« Des petits points jaunes » apparaissant sur le versant cutané des lèvres (Fig. 5) ou des joues (Fig. 6) sont également un motif de consultation rencontré : ce sont des grains de Fordyce. Ces papules jaunâtres sont des petites glandes sébacées ectopiques qui apparaissent le plus souvent à la puberté. La gêne peut être esthétique, occasionnée par ces éléments disgracieux, le plus souvent de découverte fortuite, pouvant inquiéter les patients cancérophobes. Aucun traitement n’est requis sauf si la gêne esthétique est importante (3).

De nombreuses autres variations anatomiques sont rencontrées lors des consultations de pathologies de la muqueuse buccale, telles que des pigmentations ethniques (colorations héréditaires des muqueuses), les amygdales linguales (Fig. 7) dont l’inflammation (d’origine traumatique ou infectieuse) inquiète le patient (et parfois son médecin) ignorant l’existence de ce tissu lymphoïde physiologique (faisant partie de l’anneau lymphatique de Waldeyer).

 

Les variations anatomiques représentent près d’un diagnostic sur dix dans la consultation de pathologies de la muqueuse buccale à l’hôpital Bretonneau. L’identification de telles variantes doit être connue du chirurgien-dentiste en pratique privée, afin de rassurer le patient et les prendre en charge aisément, sans avoir besoin du recours à l’avis d’un spécialiste.


 

Pathologies les plus fréquemment rencontrées

 

Les cinq pathologies les plus fréquemment rencontrées dans la consultation (en dehors des variations anatomiques précédemment évoquées) sont représentatives de la grande variété des pathologies observables. Il s’agit :

1. du lichen plan buccal (19,1%) : pathologie dysimmunitaire cutanéo-muqueuse évoluant par alternance de phases de poussées inflammatoires et de quiescence (Fig. 8).

2. des pathologies nodulaires (14,5%) : regroupant par ordre de fréquence décroissante les diapneusies (7,5%) (Fig. 9) et les épulis (3,9%) mais aussi les fibromes, les fibromes ossifiants périphériques ou encore les botryomycomes.

3. des lésions traumatiques (10,1%) de différentes origines : tics de frottement, blessures prothétiques, morsures (Fig. 10)… qu’elles soient kératosiques ou ulcérées.

4. des pathologies infectieuses (9,8%) : virales (HSV (Fig. 11), HPV), fongiques (candidose (Fig. 12)) ou bactériennes (syphilis).

5. les stomatodynies/glossodynies (6,6%) : leur définition est plus complexe, impliquant souvent une dimension psychologique et une composante neuropathique (neuropathie à petites fibres) ; il s’agit d’un diagnostic d’élimination.

Lichen plan buccal

Dans sa forme la plus typique, il se manifeste de façon caractéristique par un réseau blanc au niveau de la face interne des joues (Fig. 8). Durant les phases de poussées inflammatoires, des plages érythémateuses voire érosives sont présentes sur les muqueuses. Les patients décrivent alors des symptômes variables allant d’une simple gêne à des douleurs intenses entrainant des difficultés d’alimentation et de brossage notamment dans les lichens plans gingivaux. Ces plages deviennent kératosiques au moment des phases de quiescence de la pathologie. Le traitement par corticoïdes locaux est instauré pendant les phases actives, associée à l’élimination des facteurs irritants (plaque/tartre, restaurations à l’amalgame, arrêt du tabac…) et une surveillance au long court est instaurée pour détecter précocement une possible transformation maligne (4).

Pathologies nodulaires

Les patients présentant des pathologies dont la manifestation clinique est un nodule consultent ou sont adressés pour son exérèse, souvent du fait de la gêne ressentie par le patient. Que ce soit pour une diapneusie (Fig. 9), le plus souvent secondaire à un tic de succion en regard d’un édentement non compensé ou pour une épulis inflammatoire, pseudotumeur gingivale se développant en réponse à une irritation chronique, l’exérèse doit s’accompagner de l’élimination du facteur causal sous peine

d’observer une récidive. 

 

Traumatismes

De nombreuses lésions liées à des traumatismes de différentes natures: tic de frottement, blessures prothétiques, morsures (Fig. 10)… sont également retrouvées, dont les étiologies sont variées. Généralement, ces traumatismes entrainent des ulcérations sources de douleurs et nécessitent une intervention du chirurgien-dentiste pour éliminer le facteur causal et la prescription d’un anesthésique local (gel de xylocaïne) pour traiter la douleur. Un contrôle à 10-15 jours est indispensable afin de constater la disparition complète de l’ulcération.

Pathologies infectieuses

Elles peuvent être d’origine virale telle que la primo-infection ou la récidive herpétique (Fig. 11) sous forme de vésicules confluentes, bactériennes comme le chancre syphilitique ou fongiques comme la candidose (Fig.12). Cette dernière peut être aiguë sous forme de plages érythémateuses et/ou d’enduit blanc détachable ou chronique, plus difficilement diagnostiquée. Un traitement antifongique local devra être mis en place ou un antifongique à action systémique en cas de suspicion de dissémination œsophagienne ou de candidose chronique (5). 

 

Stomatodynies/glossodynies

Cette pathologie doit être évoquée en dernier lieu, devant un examen clinique normal alors que le patient décrit des sensations de brûlures/douleurs buccales ou linguales, des troubles gustatifs ou salivaires par exemple et après avoir éliminé les autres étiologies possibles. Les patients consultent souvent de leur propre initiative après une longue période d’errance médicale, où ils n’ont pas toujours la sensation d’être pris au sérieux, y compris par leur proches, alors que leur douleur est réelle (secondaire à des lésions neuropathiques sub-cliniques) et engendre la peur d’une pathologie grave. Une prise en charge psychologique peut être alors proposée au patient, accompagnée de traitements spécifiques des douleurs neuropathiques (2).

 

Pathologies moins fréquentes

 

Les pathologies moins fréquentes regroupent des pathologies bénignes mais également des maladies plus sévères telles que les maladies

bulleuses ou les cancers.

Les maladies bulleuses comprennent la pemphigoïde cicatricielle (Fig. 13), évoquée devant une gingivite érosive et un signe de la pince positif (décollement de la gencive possible à la précelle (Fig. 14)) ou le pemphigus vulgaire (Fig. 15 et 16) évoqué devant des érosions muqueuses et un signe de Nikolski positif (décollement cutané secondaire à un léger frottement). Ces deux diagnostics sont confirmés sur deux biopsies, l’une pour l’histologie et l’autre pour une immunofluorescence indirecte à la recherche d’un immunomarquage évocateur. Les patients atteints de ces pathologies bulleuses doivent être adressés dans un centre de référence pour un examen clinique complet (cutané, génital et ophtalmique) et une prise en charge spécialisée (6).

Les pathologies malignes sont source de stress tant pour le patient que le praticien. Les facteurs de risques sont connus : consommation alcoolo-tabagique et infection par le papillomavirus (pour les cancers de l’oropharynx et de la base de la langue uniquement) (7). La majorité des cas rencontrés en consultation sont des carcinomes épidermoïdes (Fig. 17) dont les formes les plus fréquentes sont la forme ulcérée ou la forme ulcéro-bourgeonnante. Des signes bien qu’inconstants, doivent alerter le chirurgien-dentiste : la présence de facteurs de risque, d’adénopathies fermes et fixes par rapport au plan profond, l’absence de cicatrisation ou une induration de la lésion. Le chirurgien-dentiste a également un rôle de surveillance des lésions à risque de transformation maligne comme les kératoses tabagiques. L’instauration d’un sevrage tabagique est indispensable.


Les kystes rétentionnels des glandes salivaires (grenouillettes et mucocèles) sont rencontrés chez 6,6 % des patients. L’exérèse des mucocèles des glandes salivaires accessoires (GSA) peut être aisément réalisée au cabinet par le chirurgien-dentiste, tout comme la biopsie des GSA souvent prescrite par les rhumatologues pour confirmer un syndrome sec (syndrome de Gougerot-Sjögren).

Un bilan sanguin pourra être prescrit devant des aphtes répétés, des picotements ou sensations de brûlures sur la langue ou une dépapillation de cette dernière, évocateurs d’une anémie ou d’une carence vitaminique (B9 ou B12 principalement) (2). Par ailleurs, les traitements du patient devront être étudiés avec soin pour détecter leurs éventuels effets iatrogènes : hypertrophies gingivales, ostéonécrose des mâchoires ou mucites.

Enfin, la prise en charge des malformations vasculaires (hémangiomes, angiomes ou lymphangiomes) n’est pas du ressort du chirurgien-dentiste. Si une exérèse est nécessaire, elle devra se faire dans un service hospitalier spécialisé. Un test de vitropression ou le caractère pulsatile d’une lésion devront alerter le chirurgien-dentiste sur l’éventualité d’une telle pathologie (8).

 

Discussion

 

Un examen minutieux des muqueuses orales doit être effectué régulièrement pour détecter au plus tôt toute pathologie muqueuse. En dehors de quelques variations anatomiques pour lesquelles le patient a surtout besoin d’être rassuré par son chirurgien-dentiste, de nombreuses pathologies muqueuses sont vues au sein de la consultation.

D’après le travail de thèse du Dr M. Roume en 2017 présentant une étude nationale sur le diagnostic et la prise en charge des pathologies de la muqueuse buccale, une majorité d’omnipraticiens adressent leurs patients à des praticiens spécialisés. Les raisons invoquées sont en premier lieu un manque d’expérience professionnelle et un manque de confiance en leur capacité de diagnostic (9).

Un autre fait mis en lumière par l’étude menée auprès des praticiens de l’UFSBD montre que près de la moitié d’entre eux considère que la

prise en charge des pathologies des muqueuses orales ne fait pas partie de leur exercice. Des variations importantes sont à noter selon le niveau de formation continue des chirurgiens-dentistes (les praticiens faisant régulièrement des formations se sentant plus à l’aise) mais surtout selon les pathologies impliquées. En effet, il ressort de l’étude 3 pathologies dont le diagnostic apparait comme compliqué : le pemphigus, les manifestations orales des maladies systémiques et les carcinomes épidermoïdes, pouvant mener à une errance

diagnostic préjudiciable au patient.

 

Conclusion

 

Au sein de la consultation de pathologies de la muqueuse buccale, les principales pathologies diagnostiquées et traitées sont des lichens plans oraux, des végétations, des aphtoses ou des maladies infectieuses.

Certaines pathologies nécessitent une prise en charge hospitalière de part leur gravité ou le besoin d’un examen clinique général (dermatologique, ophtalmologique et/ou gynécologique).

Au final, le recours à une telle consultation spécialisée doit permettre de ne pas méconnaitre une pathologie sévère ou pouvant mettre en jeu le pronostic vital du patient, afin de limiter toute perte de chance pour ce dernier.

 

Bibliographie

1. Kosinski, S., Ejeil, A.-L., Lepelletier, F., Dridi, S.-M., 2009. La langue géographique. Rev Odont Stomat 38, 137–139.

2. Fricain, J.-C., 2010. Stomatodynies, glossodynies, burning mouth syndrome. Rev Odont Stomat 39, 145–148.

3. Benmoussa, L., 2012. Les granulations de Fordyce.pdf. Rev Odont Stomat 41, 274–278.

4. Alrashdan, M.S., Cirillo, N., McCullough, M., 2016. Oral lichen planus : a literature review and update Archives of Dermatological Research 308, 539–551.

5. Agbo-Godeau, S., Guedj, A., 2005. Mycoses buccales. EMC - Stomatologie 1, 30–41.

6. Dridi, S.-M., Ejeil, A.-L., Gaultier, F., 2013. Dépistage des dermatoses bulleuses auto-immunes : le rôle de l’odontologiste. L’information dentaire 18/19, 9.

7. Rubin, F., Legoupil, C., Hill, C., 2019. Facteurs de risque de cancer des voies aérodigestives supérieures. EMC - Oto-rhino-laryngologie 14, 13.

8. Beauvillain de Montreuil, C., Tessier, M.-H., Billet, J., 2012. Pathologie bénigne de la muqueuse buccale. EMC - Oto-rhino-laryngologie 7, 1–21.

9. Roume, M., 2017. Pathologies de la muqueuse buccale : identification, diagnostic et prise en charge des lésions en cabinet. État des lieux, enquête nationale auprès des praticiens.

 

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