Responsable scientifique : Brigitte Grosgogeat-Balayre

Conférenciers : Amélie Mainjot et Jean-Pierre Attal

AO News # 32 - Février 2020

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Le mode vie actuel fait que la part de la population concernée par le bruxisme est de plus en plus grande. On évalue à plus de 28 % la proportion de jeunes adultes présentant les signes cliniques du bruxisme : usures dentaires, fractures et éclats d’émail ou de céramique, mobilité dentaire, exostoses, empreintes dentaires sur la langue.

Nous sommes à l’ère de la dentisterie invasive à minima, le matériau de restauration doit s’adapter à la dent et non l’inverse. Il faut que nos matériaux soient biomimétiques, ce qui semble aujourd’hui une évidence biologique, biomécanique et optique (Tirlet, Attal). Le biomimétisme, cela commence par s’inspirer de la nature, architecte de notre futur. Idéalement, il faudrait remplacer les tissus dentaires perdus par des matériaux simulant ces tissus, au moins sur le plan mécanique et optique.

Le module d’élasticité ou module d’Young représente le rapport entre la contrainte et la déformation. Plus il est grand, plus le corps est rigide. L’émail a un module d’Young de 70 GPa, contre 18 pour la dentine, entre 8 et 15 pour un composite, 95 pour un Emax et 200 pour une zircone. L’émail est donc rigide mais plutôt cassant en apparence, car il existe des structures anatomiques qui le rendent moins cassant que prévu. En effet, à l’échelle microscopique, on constate que les prismes d’émail sont enfermés dans une gaine protéique qui bloque la propagation des fêlures. De plus, la décussation des prismes empêche les fractures horizontales de se propager (Fig. 1). Enfin, à l’échelle nanoscopique, chaque prisme a une structure composite avec des cristallites de 20 à 120 nm de fibres d’hydroxyapatite enrobés dans une couche de protéines de 2 nm. Par ailleurs, on sait que l’émail est un matériau dont les propriétés évoluent selon sa profondeur. En surface, l’émail est plus fragile à cause de la déformation plastique permise par les protéines alors qu’en profondeur, il est plus résistant car il y a plus de protéines et plus d’eau.

Ainsi, si l’on veut simuler l’émail, il faut un matériau rigide mais à gradient de propriétés mécaniques. L’émail est donc une coque rigide, résistante à l’usure mais cassante alors que la dentine est un noyau déformable, hydratée, plus tenace mais résistant mal à l’usure. Entre les deux, la jonction amélo-dentinaire est une structure anatomique de 60 à 100 μm qui les relient par des microfestons de collagène. La JAD stoppe les propagations des fissures car elle est moins rigide que l’émail. L’examen des zones de collage d’une couche hybride montre un entrelacement de fibres de collagène très semblable à celui de la JAD.

Pour sa part, la dentine est une matrice hydratée de collagène renforcée par des nanocristaux d’apatite. Elle est plus rigide en surface qu’en profondeur.

En conclusion, on peut dire que la dent naturelle présente une remarquable résilience, c’est-à-dire une grande capacité à absorber de l’énergie en se déformant élastiquement. En psychologie, la résilience est la capacité à surmonter les épreuves. Il en va de même pour la dent.

Actuellement, les matériaux offrant la meilleure résistance à la flexion sont les zircones, suivies par les Emax puis les composites Cad Cam. Depuis les années 2000, les industriels ont mis au point des zircones moins rigides (4-YTZP puis 5-YTZP) mais plus translucides. Cliniquement, la mise en œuvre des zircones n’a pas permis d’améliorer la performance de notre dentisterie. Une étude a été menée sur les 75 reconstitutions monolithiques trans vissées sur implant, en zircone 3-YTZP, suivies sur 2 ans. Dans cette étude, les patients n’ont pas été sélectionnés. 61 % d’entre eux présentaient des signes de bruxisme. Le taux de succès a été de 80 % chez les bruxo et 87 % chez les non bruxo. Des ruptures de pilier ont été observées dans 5,3 % des cas ; des fractures ou chipping dans 1,3 % des cas. L’implant a été perdu dans 2,7 % des cas. A l’arcade antagoniste, on a observé 1,6 % de fractures dentaires et 1,6 % de chipping sur composite. Ces complications n’étaient absolument pas prévues au départ.

 

Alors, voyons comment les forces sont transmises à la dent.

Une incisive reçoit 100 N tandis qu’une molaire reçoit 320 N et jusqu’à 1000 N pour certains bruxistes. Les 400 000 tonnes de l’Empire State Building reposent sur 8 000 m2 au sol, soit une contrainte de 0,05 Mpa tandis que les 32 kg d’un contact occlusal de 2 mm2 sur une molaire représente une contrainte unitaire de 160 MPa ! Lorsqu’une contrainte est appliquée, trois types d’énergie se libèrent. Soit une énergie élastique (le corps se déforme et revient à sa position d’équilibre), soit une énergie plastique (le corps se déforme et reste déformé), soit une énergie de surface (le corps se fracture).

Il faut pouvoir autoriser la déformation pour amortir les contraintes et pour cela, il faut utiliser des matériaux de faible module d’élasticité. Par ailleurs, si on veut amortir les contraintes, on doit autoriser l’usure car l’usure augmente peu à peu le nombre de points de contact et répartit donc ces contraintes.

S’il n’y a ni déformation ni usure, il y aura fracture par fatigue et s’il n’y a pas de fracture, alors il y aura des répercussions locales ou loco-régionales avec le lot de douleurs musculaires et/ou articulaires. Pour une restauration sur implant, c’est l’os qui cèdera le premier et on verra des péri-implantites par surcharge occlusale. Sur une dent, l’essentiel des déformations sous contraintes se fait dans le desmodonte. Si ce dernier n’existe pas, il n’y aura pas d’amortisseur.

Voyons alors comment réagissent les matériaux d’aujourd’hui. Nous disposons de composites CAD-CAM. Une première génération comprend les blocs Ultimate Lava® (2010), le Cerasmart® de GC (2014), l’Enamic® de Vita et les blocs Shofu® HC (2015). Une deuxième génération est maintenant disponible : le Brilliant® de Crios, le Grandio® de Voco et le Tetric CAD® d’Ivoclar.

Parmi ces nouveaux composites CAD-CAM, les PICNs (Polymer-Infiltrated Ceramic Network) représentent une nouvelle classe de matériaux puisqu’ils sont composés d'un réseau de vitrocéramique préalablement fritté (75 % vol.) puis infiltrés par un mélange de monomères, lesquels sont secondairement polymérisés selon un procédé particulier alliant haute température et haute pression (HT-HP). Les PICNs diffèrent donc considérablement des matériaux composites à charges dispersées classiquement incorporées par mélange et sont considérés comme des matériaux dont les phases constitutives sont interpénétrées. Le réseau de céramique des PICNs constitue un échafaudage tridimensionnel de particules interconnectées (par opposition aux particules dispersées) et forme ainsi un véritable squelette capable de répartir plus efficacement les contraintes dans toutes les directions, favorisant de ce fait le comportement biomécanique du matériau. Leur module d’élasticité correspond à celui de la dentine ; leur module de rupture est équivalent à celui de l’e-max ; leur résistance à la fracture de fatigue est très supérieure à celle des composites photos.

Les études ont montré que dès que la dentine est mise à nue, l’usure est très rapide, une protection dentinaire est indispensable et ce, d’autant plus que le patient bruxe ! Les composites s’usent de 50 μm par an, soit 2,5 fois l’usure des dents naturelles. Au bout de 10 ans, on a perdu 500 μm, ce qui nécessitera de ré intervenir. D’où l’intérêt des gouttières ou de trouver de nouveaux matériaux plus résistants. A moins de choisir de ré intervenir régulièrement… On sait que les céramiques et les métaux s’usent peu. La zircone s’use très peu et n’amortit pas les contraintes.

 

Le comportement au collage est intéressant. Les PICN nécessitent un mordançage à l’HF puis un silane pour un collage optimal. Ces matériaux sont encore au stade clinique expérimental mais l’ensemble de leurs propriétés a permis de tester un concept d’avant-garde : One step - no prep. Des reconstitutions pelliculées de 2-5/10e, collées sans préparation préalable, après une empreinte numérique, chez des patients à forte abrasion dentaire. 192 restaurations ont été analysées après 2 ans. La capacité d’absorption des contraintes des PICN, alliées à la qualité du collage a permis d’obtenir 100 % de succès avec une moyenne de 5 mm d’augmentation de la DV, chez des patients bruxomanes. Le chipping représente 6,5 % des cas et on déplore un seul décollement. L’épaisseur moyenne des restaurations était de 0.55 mm. On a là un matériau composite à haute performance, non opérateur dépendant (Fig. 2 à 5).

Pour les restaurations sur implant, une autre étude est en cours, mené par France Lambert. Il s’agit du concept One Tooth – One Time, dans lequel, l’implant est posé puis la couronne PICN monobloc est réalisée et posée le même jour. Les résultats après 2 ans montrent 100% de survie des implants, 1 dévissage et un décollement. Le temps de traitement a été abaissé à 2h07.

Esthétiquement, ce matériau est également très intéressant car il présente un gradient biomimétique. Ses capacités de polissage sont excellentes également.

Les PICN constituent donc très certainement le matériau d’avenir en conditions cliniques extrêmes.

 

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