Chirurgie implantaire guidée et mise en charge immédiate : à propos d’un cas de réhabilitation complète bimaxillaire

Dossier spécial Focus sur le DUCICP - AON#31 - Décembre 2019

 

Mme B. a été reçue en consultation pré-implantaire en octobre 2017 à l’hôpital Rothschild, dans le cadre du Diplôme Universitaire Clinique d’Implantologie Chirurgicale et Prothétique Paris VII). Elle était auparavant prise en charge dans un centre dentaire Dentexia sans que sa demande n’ait pu aboutir. Elle souhaite une réhabilitation prothétique globale.

La patiente est âgée de 71 ans et ne présente aucune pathologie nécessitant un traitement médicamenteux (ASA 1) [1].

A l’examen exo-buccal, elle montre une harmonie des étages de la face, un profil convexe et un angle naso-labial ouvert. Elle présente une ligne du sourire basse correspondant à une classe 4 selon la classification de Liébart [2].

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A l’examen endo-buccal, la patiente présente de nombreux signes cliniques évocateurs d’une parodontopathie avancée (fistule, suppuration) (Fig. 1 et 2). Le sondage parodontal montre une perte d’attache moyenne supérieure à 5 mm et de nombreux sites présentent des poches profondes supérieures à 6 mm, tant au maxillaire qu’à la mandibule. Le bilan rétro-alvéolaire montre une alvéolyse radiographique supérieure ou égale à 50% de la hauteur radiculaire. La patiente est non fumeuse et non diabétique. Selon le consensus de 2017 concernant la classification des maladies parodontales, le diagnostic de cette patiente correspond à une parodontite de classe 4 grade A sans facteur modifiant [3].

Au vu de l’examen clinique et du pronostic très réservé des dents restantes, l’indication d’extraction de l’ensemble des dents est posée. A ce stade, un projet prothétique doit être proposé à la patiente. Elle souhaite une réhabilitation fixe. Un manque de soutien labial antérieur ainsi qu’une forte résorption osseuse antéro-postérieure oriente le choix thérapeutique vers une prothèse transvissée avec fausse gencive -type bridge sur Pilotis Brånemark-, dans le cadre d’un plan de traitement passant par les extractions des dents restantes et la mise en place de prothèses amovibles transitoires. Dans un souci d’optimisation du positionnement des implants, il a été décidé d’effectuer une planification implantaire associée à l’utilisation d’un guide chirurgical à appuis muqueux. Après réflexion, la patiente accepte le traitement. Un devis et un consentement éclairés sont signés.

 

Extraction et mise en place de la prothèse amovible complète immédiate

 

En amont des extractions, les étapes thérapeutiques nécessaires à la réalisation des prothèses immédiates maxillaire et mandibulaire ont été effectuées. L’adaptation optimale des prothèses est recherchée, d’une part pour le confort de la patiente, mais également pour contribuer à la précision de la planification implantaire et des guides chirurgicaux secondairement réalisés.

 

Planifications implantaires maxillaire et mandibulaire

 

Une technique de double acquisition ou Dual Scan a été utilisée [3].

Dans un premier temps, un duplicata des prothèses a été réalisé en résine transparente, dans lequel ont été insérées des billes de gutta percha d’1 mm de diamètre, placées dans différents plans (Fig. 3)

Dans un second temps, un examen CBCT de la patiente avec les duplicatas insérés en bouche a été effectué. Dans le but de contrôler la pression sur la surface d’appui exercée par les duplicatas et permettre leur séparation physique lors de l’examen radiographique, une clé en matériau silicone non radio opaque a été intercalée entre les surfaces occlusales. Il est demandé à la patiente de « serrer les dents » sur cette clé durant l’examen radiographique (Fig. 4). Enfin, une autre acquisition CBCT des duplicatas seuls, en dehors de la bouche, a été réalisée.

Les billes de gutta percha étant visibles sur les 2 examens radiographiques, ils servent de repères communs, et les fichiers sont fusionnés facilement, afin de pouvoir réaliser la planification implantaire correspondant au projet prothétique.

Il a été décidé de poser 6 implants Astra Tech System EV (Dentsply Sirona) à la mandibule et 8 implants Astra EV au maxillaire. La planification implantaire est associée au choix des piliers coniques (Pilier Uni EV, Dentsply Sirona) correspondants à l’orientation de chacun de ces implants. Ces piliers seront mis en place pendant la chirurgie directement après la mise en place implantaire (Fig. 5).

Enfin, la situation de trois vis de transfixation du guide chirurgical a été planifiée. Un guide chirurgical type full guided issu de cette planification est réalisé par stéréolithographie. Il permet un forage précis en termes de situation et d’orientation dans les différents plans de l’espace pour chacun des implants planifiés. L’ensemble de la séquence de forage ainsi que la mise en place implantaire seront effectués au travers du guide chirurgical immobilisé sur la fibromuqueuse par l’intermédiaire des vis de transfixation.


 Phase chirurgicale implantaire

 

Afin de limiter la morbidité et de rationaliser le déroulement du plan de traitement, il a été décidé de poser les implants en deux étapes chirurgicales distinctes. Les implants mandibulaires ont été posés dans un premier temps. Puis, l’intervention au maxillaire a été effectuée un mois plus tard. Les étapes chirurgicales et prothétiques à la mandibule et au maxillaire ont été conduites de manière similaire.

 Après une prémédication habituelle (Amoxicilline 1g le matin et 1g le soir - à poursuivre six jours après la chirurgie -, et Solupred® 20mg, 3 comprimés le matin - à poursuivre trois jours après la chirurgie), l’intervention a débuté par une anesthésie (Articaine®1/100 000, en injection vestibulaire avec des rappels en palatin et lingual). Puis le guide chirurgical a été fixé, en occlusion serrée, à l’aide des 3 vis de transfixation prévues dans la planification (Fig. 6). Une quantité suffisante de gencive kératinisée a permis de réaliser une technique sans lambeau. La résection gingivale au travers du guide a été réalisée à l’aide d’un foret spécifique.

La préparation des sites implantaires a ensuite été effectuée avec une séquence de forage sous irrigation. Le foret est garni d’une douille à butée s’insérant dans une gaine métallique solidaire du guide chirurgical. La douille permet de contrôler l’axe planifié, tandis que la butée limite la profondeur de forage (Fig. 7). Tout d’abord, deux implants ont été mis en place au travers du guide afin d’être équipés de piliers de stabilisation pour fixer le guide chirurgical en bonne position et ainsi améliorer la précision des étapes ultérieures de forage. Les autres implants ont ensuite été posés. Puis le guide chirurgical a été déposé et les piliers coniques, choisis lors de la planification, ont été vissés sur les implants au torque de 25 N.cm. Une empreinte de situation des piliers a été immédiatement réalisée afin de concevoir la prothèse transitoire. Pour cela, le guide chirurgical a été remis en place et des transferts d’empreinte ont été transvissés sur les piliers coniques. Ces transferts ont ensuite été solidarisés au guide à l’aide d’une résine chémopolymérisable (Duroc Elsodent) (Fig. 8). L’enregistrement du rapport inter-maxillaire a été effectué à l’aide du guide radiologique, solidarisé à 2 piliers provisoires transvissés en utilisant la même résine chémopolymérisable que précédemment (Fig. 9). L’empreinte de situation ainsi que l’enregistrement du rapport inter-maxillaire ont été transmis au laboratoire de prothèse (Edentech, Éragny sur Oise) afin de réaliser la prothèse transitoire immédiate transvissée. 48 heures après l’intervention, la patiente a été revue pour insérer la prothèse. Elle n’a pas exprimé de doléances post-opératoires majeures et la douleur a été contrôlée à l’aide d’antalgiques de palier 1 (Paracétamol, 1g toutes les 6 heures). La prothèse a été transvissée au torque de 15 N.cm. Une vérification des contacts occlusaux en relation centrée et lors des mouvements excentrés ainsi qu’un contrôle radiologique de l’adaptation de la prothèse transitoire supra-implantaire ont été réalisés. L’implant en situation 36 ne présentait pas un torque suffisant lors de la phase chirurgicale pour pouvoir être associé aux autres implants dans la prothèse transitoire immédiate mandibulaire (Fig. 10).

Après 4 mois de cicatrisation, le contrôle radiologique montre une parfaite stabilité osseuse et la réalisation des prothèses d’usage a pu débuter.


 

Réalisation des prothèses d’usage

 

Afin d’enregistrer la situation de l’implant 36, non inclus dans la prothèse transitoire, une nouvelle empreinte de situation des piliers coniques a été réalisée à la mandibule. Du plâtre à prise rapide (Snow White® Kerr) a été utilisé pour cette empreinte, en utilisant un porte empreinte individuel ouvert au niveau des piliers coniques équipés de transferts emportés.

Au maxillaire, l’empreinte effectuée lors de la chirurgie a pu être réutilisée. Pour valider les modèles d’études obtenus, des clés de validation au plâtre ont été transvissées en bouche sans entraîner de fracture (Fig. 11). La dimension verticale a été validée et un montage directeur des dents sur cire a été essayé. Une fois le montage validé dans ces caractéristiques fonctionnelles et esthétiques, les armatures prothétiques en titane des prothèses ont été conçues par CFAO dans le volume prothétique ainsi déterminé. Celles-ci ont été essayées et leur adaptation a été contrôlée radiologiquement (Fig. 12).

Puis, les dents prothétiques ont été montées sur ces armatures en titane en utilisant des clés réalisées sur le montage directeur validé. Les prothèses ont ensuite été polymérisées. Les intrados prothétiques ont été corrigés afin de faciliter le passage des brossettes interdentaires et faciliter l’hygiène quotidienne grâce à une forme prophylactique de ces intrados. Les prothèses ont été vissées et les vis de transfixation ont été torquées à 15 N.cm. Enfin, les puits de vissage ont été obturés à l’aide de téflon recouvert de résine composite. L’occlusion a été réglée et vérifiée. Un schéma occlusal de fonction de groupe bilatérale a été choisi (Fig. 13). Les procédures d’hygiène ont été expliquées et montrées à la patiente.

 

En conclusion, ce cas clinique, présenté étape par étape illustre le bénéfice apporté par un plan de traitement implanto-prothétique rationnel. A ce titre, la chronologie et les modalités thérapeutiques retenues contribuent à la réussite du traitement attestée par l’adéquation entre la planification implanto-prothétique initiale et le résultat final (Fig. 14 et 15).

 

Bibliographie :

1. Owens WD, Felts JA, Spitznagel EL., Jr ASA physical status classifications: a study of consistency of ratings. Anesthesiology. 1978;49:239–243.

2. Liebart ME, Deruelle CF, Santini A, DILLIER FL, Corti VM, et al. Smile Line and Periodontium Visibility. Perio. 2004;1:17-25.

3. Papapanou PN, Sanz M,et al. Periodontitis: consensus report of workgroup 2 of the 2017 World Workshop on the Classification of Periodontal and Peri-Implant Diseases and Conditions. Journal of Periodontology. 2018;89:S173-S182.

4. Gallardo Y. N. R., da Silva-Olivio I. R. T., Mukai E., Morimoto S., Sesma N., Cordaro L. Accuracy comparison of guided surgery for dental implants according to the tissue of support: a systematic review and meta-analysis. Clinical Oral Implants Research. 2017;28(5):602–612.

5. Vercruyssen M, Laleman I, JacobsR, Quirynen M. Computer-supported implant planning and guided surgery: a narrative review. Clin Oral Impl Res. 2015 ;26 :69-76.

 

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