Introduction
La révolution numérique est omniprésente dans notre société et concerne de plus en plus notre profession de chirurgiens-dentistes. Même les plus réticents aux nouvelles technologies ne peuvent s’en passer totalement et à fortiori dans le domaine de l’implantologie. Si l’utilisation de la CFAO se démocratise pour les restaurations prothétiques unitaires, il n’en est toutefois pas de même dans le domaine de la prothèse sur implant : seuls les chirurgiens-dentistes aguerris depuis de nombreuses années à ces technologies osent concevoir leur prothèse sur implant au cabinet en totale autonomie.
Pourtant nous allons voir à travers ce cas clinique que la réalisation en un seul temps clinique d’une couronne sur implant est facile à mettre en œuvre si l’indication clinique s’y prête.
Une patiente de 63 années, sans pathologie générale, s’est présentée en consultation avec une doléance de réhabilitation globale prothétique (Fig. 1 et 2).
Les dents 47-48-38 ont été jugées non conservables pour des raisons parodontales et prothétiques. Une réhabilitation en arcade courte (allant jusqu’aux premières molaires) avec pose d’implants 16 et 46 a été choisie dans un premier temps, pour des raisons financières.
Des implants OsseospeedTM EV 4,8 S-8mm de la marque ASTRA® ont été posés (Fig. 3).
Après 6 mois de cicatrisation, les 2 implants étaient ostéointégrés et les vis de cicatrisation ont été mises en place (Fig. 3-5).
Il a été décidé de réaliser la prothèse de la 16 en technique conventionnelle : couronne céramo-métallique scellée avec pilier personnalisé ATLANTIS® (réalisé par CFAO indirecte) (Fig. 6-8) et de réaliser une prothèse céramique transvissée en CFAO sur la 46 avec le système CEREC®. Seule, la réalisation de la 46 a été décrite ci-après.
Réalisation de l’empreinte optique
L’empreinte en implantologie est une étape primordiale pour la réussite de la prothèse. L’objectif d’une telle empreinte est d’enregistrer, avec précision, la situation clinique des implants, le contour gingival et le profil d’émergence de la future prothèse. Le praticien enregistre l’arcade implantée avec et sans les transferts numériques (tissus mous), l’arcade antagoniste et la relation intermaxillaire.
Plusieurs pièces sont nécessaires à cette prise d’empreinte :
- le scanpost® est un pilier de transfert de prise d'empreinte numérique, en titane. A chaque référence d’implant correspond un scanpost®. Il est livré avec sa vis permettant de le relier à la connectique implantaire. C’est un transfert pur, il ne peut en aucun cas être utilisé comme pilier définitif pour l’implant, contrairement au système TiBase® qui peut servir de pilier définitif.
- le scanbody, pièce usinée en téflon ou en plastique rigide, s’emboite sur le scanpost® afin d’enregistrer la position tridimensionnelle numérique de l’implant sur l’arcade. Il possède une encoche qui lui permet de s’aligner directement avec la rainure de guidage du scanpost®, ce qui aide à la numérisation de la position de l’implant.
Le patient est positionné assis ou allongé de telle sorte que la surface d’occlusion soit parallèle à la caméra intra-orale. Après mise en tension de la caméra optique Omnicam® (Cerec, Dentsply Sirona) nous réalisons l’empreinte optique du profil gingival. Un signal sonore lors de la prise d’empreinte et le suivi sur l’écran en direct permet de contrôler la prise d’empreinte. En cas d’information manquante, il est possible de repasser sur les zones incorrectes autant de fois que nécessaires.
Le vissage du scanpost® est ensuite effectué à l’aide de la vis fournie. Le pilier de scannage en titane est transvissé. Il présente à une extrémité une connectique spécifique au type et au diamètre de l’implant. Comme en prise d’empreinte traditionnelle, une radiographie de contrôle du bon positionnement du pilier est réalisée (Fig. 9-10).
Le scanbody gris est positionné sur le scanPost® à l’aide des encoches qui doivent s’emboiter. Par commodité, il vaut mieux placer ces encoches en vestibulaire (Fig. 11).
L’empreinte optique du transfert numérique, de l’antagoniste et des arcades en occlusion (vue vestibulaire) peut alors être réalisée. Il faut bien vérifier sur le logiciel que les informations ont été correctement enregistrées.
Le scanbody® peut alors être retiré mais le scanpost® est laissé en place afin d’immobiliser la gencive dans la position et d’éviter son affaissement.
Modélisation de la future couronne
La modélisation de la forme individuelle de la future reconstruction prothétique est réalisée à l’aide du logiciel CEREC SW 4.3®. Le scanbody® présente à son extrémité une forme pyramidale à base triangulaire (Fig. 12). C’est la reconnaissance de ce tétraèdre par le logiciel de CAO qui va permettre d’identifier avec précision la position de l’implant.
La zone d'ajustage autour du scanpost® est définie pour créer le profil d'émergence de la future couronne et choisir l’axe de la future couronne (Fig. 13 et 14).
La modélisation automatique est ensuite lancée ; elle peut être corrigée par le praticien. Les points de contact idéaux sont alors définis sur le logiciel ainsi que le profil d’émergence de la couronne. L’intensité des points de contact en statique est matérialisée par des nuances de couleurs pouvant aller du bleu au rouge (Fig. 15 et 16).
La réalisation de la prothèse, par le système informatique, permet également une calibration optimale de l’espacement (« die spacer » ici numérique) ce qui offre la possibilité d’accroître l’homothétie lors de la fabrication de la pièce prothétique, ce qui diminue ainsi les erreurs d’occlusion (en particulier, de sur occlusion) et les défauts d’ajustage cervicaux.
Une fois la modélisation effectuée, l’usinage est lancé et réalisé à partir de l’usineuse CEREC McXL®. La fabrication par soustraction à partir d’un bloc VITA ENAMIC® EM-16 teinte 2M2 préalablement choisi peut commencer.
Ces blocs possèdent un canal intérieur à la configuration spécifique en vue du collage sur le pilier implantaire TiBase® pour un assemblage vissé transcoronal.
L’usineuse réduit le bloc de matériau par mouvements de fraises (2 fraises différentes travaillant dans les 3 plans de l’espace), sous irrigation, passage après passage.
18 minutes plus tard, le bloc de notre couronne transvissée a été usiné et détaché à l’aide d’un disque de coupe diamanté (Fig. 17 et 18).
La structure prothétique se décline de la manière suivante :
Préparation de la pièce prothétique
Le matériau pour la reconstruction prothétique ne nécessite pas de frittage. Le maquillage se fait soit mécaniquement avec des instruments de polissage, soit par maquillage direct avec des colorants photopolymérisables (VITA ENAMIC GLAZE® et VITA ENAMIC Stains®).
Il est recommandé de se munir d’un feutre pour faciliter le repositionnement de la couronne sur le TiBase®, ainsi qu’un analogue d’implant pour faciliter sa préhension. Une trace au feutre est réalisée afin de retrouver la position exacte des éléments prothétiques une fois collés.
Le sablage du TiBase® doit être effectué (le profil d’émergence de la base en titane ne doit pas être sablé ni traité d’une quelconque manière ; on peut la protéger avec du silicone).
Un gel de mordançage (acide fluorhydrique à 5 %) VITA CERAMIC ETCH® est ensuite appliqué, rincé puis séché sur la partie de la céramique destinée à être collée à la base titane pendant 10 à 20 secondes (Fig. 19 et 20).
L’adhésif Monobond Plus® (Ivoclar®) est ensuite appliqué sur la surface de collage de la base en titane et de la céramique pendant 60 secondes (Fig. 21 et 22).
Le composite de collage Multilink Hybrid Abutment® (Ivoclar®) est enfin appliqué directement sur la base en titane et dans l’intrados de la couronne-pilier en céramique préalablement traitée (Fig. 23). La plus grande précaution est prise dans le site du puits de vissage. En effet, aucune trace de colle ne doit être présente au risque de ne pas avoir accès à la vis de fixation. L’insertion d’une boulette de coton ou de téflon avant le collage peut permettre d’éviter cet écueil. Les pièces sont assemblées par photopolymérisation (Fig. 24) avec une légère pression homogène et après un contrôle du bon positionnement des pièces. Le joint de collage est ensuite passé au polissoir en caoutchouc, à un faible régime pour éviter toute surchauffe. Puis un « maquillage » mécanique (polissage) de la pièce prothétique est réalisé à l’aide du kit VITA® (Fig. 25-26 et 27).
Mise en place de la couronne transvissée
La couronne-pilier hybride est positionnée sur l’implant en bouche. Un vissage à la main puis avec une clé dynamométrique à 25 N.cm est effectué. Puis l’occlusion est contrôlée en statique et en dynamique. Une ultime vérification de l’occlusion est réalisée et un polissage à l’aide de polisseurs en silicone est effectué après comblement du puits de vissage à l’aide de gutta percha chaude et composite (Fig. 28-29-30).
Une radiographie rétro-alvéolaire confirme le bon assemblage implant-pilier/couronne (Fig. 31).
Au total, la couronne est réalisée et posée en une seule séance. Un contrôle est effectué 3 semaines après la pose puis 6 mois plus tard.
Discussion et conclusion
Du fait de l’ankylose de l’implant (mobilité de l’ordre de 10m d’après Assif et al 1), l’empreinte peut être qualifiée d’empreinte de positionnement2. Cette particularité oblige une rigueur opératoire puisque la rigidité du système os-implant ne permet pas de compenser un défaut d’adaptation de la prothèse, aussi faible soit-il3. En prothèse supra-implantaire, la difficulté réside en l’obtention d’une adaptation passive des éléments prothétiques sur les implants. La précision des positions spatiales des implants est donc indispensable. En effet, le défaut d’empreinte génère une déformation de l’armature prothétique ce qui engendre des contraintes du système implantaire lors de la mise en fonction de la prothèse. Ces contraintes peuvent être à l’origine de fractures (vis, céramique voire l’implant) voire même d’une perte d’ostéo-intégration4.
L’étape d’empreinte est donc cruciale et tout l’enjeu de ces nouvelles technologies réside dans le maintien d’une précision au moins équivalente à celle des empreintes traditionnelles.
Plusieurs fabricants (près d’une vingtaine aujourd’hui) ont mis sur le marché des caméras optiques : citons par exemple 3shape®, Cerec®, iTero®, Planmeca®…
La grande question concerne la précision de cette empreinte numérique. Qu’en est-il par rapport à l’empreinte conventionnelle en implantologie ? Peu d’études encore nous donnent une idée de sur cette question. En 2013 Lee Sang et al. 5-6 ont réalisé des études sur la précision des empreintes optiques par rapport aux empreintes conventionnelles. Ces études, menées auprès d’un groupe d’étudiants en dentaire, ont conclu que l’empreinte numérique supra-implantaire était plus précise et plus facile à mettre en application que l’empreinte traditionnelle. De même, les travaux de Guth et al. en 2013 7, qui ont aussi comparé ces deux techniques ont également donné l’avantage à l’empreinte optique : elle s’est révélée plus précise que l’empreinte aux polyethers.
De plus, bien que les empreintes numériques prises au fauteuil semblent offrir une précision au moins équivalente à celle des empreintes traditionnelles pour des restaurations unitaires 8, et meilleure que celle des empreintes scannées en laboratoire à partir d’une empreinte traditionnelle, une limite semble persister pour la numérisation d’une arcade complète en bouche, d’après Kuhr et al. (2016) 9. Les indications doivent être donc bien posées.
En ce qui concerne l’utilisation de piliers provisoires, le recours au système TiBase® permet, par méthode directe, de réaliser un pilier implantaire personnalisé et sa couronne supra-implantaire. La couronne et le pilier sont donc numérisés en même temps. Le choix de réaliser une prothèse vissée ou collée est alors fonction de la situation clinique.
Cependant, ce système connait certaines limites et il est contre indiqué dans le cas de limitation d’ouverture buccale, d’espace prothétique réduit ou lorsque l’axe prothétique à corriger est supérieur à 20°. De même, en présence d’une hauteur transgingivale importante, l’empreinte numérique est difficile à obtenir, et le système classique avec scanpost® est recommandé.
Au regard de ce cas clinique, la CFAO en Implantologie semble être très séduisante.
Les avantages paraissent considérables :
- un confort indéniable pour le patient (absence de matériau inconfortable pour la prise d’empreinte, en une séance la prothèse est réalisée et mise en place,),
- un confort pour le praticien (autonomie vis-à-vis d’un prothésiste extérieur) ainsi qu’une absence de contraintes parodontales (pas de dévissages/revissages des vis de cicatrisation, manœuvres connues pour être délétères).
Cependant le coût et l’investissement personnel (longue durée d’apprentissage pour le praticien) restent des éléments encore dissuasifs.
La réalisation de ce cas clinique a nécessité 4h30 pour la réalisation de cette couronne car certains contretemps techniques sont apparus (bug informatique dans la modélisation, bug dans le procédé d’usinage qui a rendu défectueuse une fraise, qu’il a fallu changer). Au final, 4 blocs de céramiques ont été utilisés pour usiner cette couronne. Au regard des contraintes organisationnelles importantes et du coût horaire d’un cabinet, une réflexion approfondie doit être menée avant un éventuel investissement.
En l’occurrence, ce temps anormalement long a été également dû à un manque d’expérience de la part du praticien (en formation au DU d’implantologie) : en principe, le processus ne devrait pas prendre plus de temps que pour une couronne normale.
Au final, il paraît utopique d’imaginer que la CFAO puisse permettre de s’absoudre totalement du travail des prothésistes. Il paraît plus réaliste de l’envisager comme un outil complémentaire pour des cas cliniques simples et unitaires en implantologie.
Bibliographie
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