La photographie numérique et l'art dentaire : quid du patient ?

Dossier spécial AONews #25 - Avril 2019 : CFAO à l'Université de Montpellier


Introduction

Historiquement, la photographie est née en 1838 en France et fut dès l’année suivante utilisée et adaptée par les dentistes américains à leur pratique. Aujourd’hui en France, la photographie n’est pas encore pleinement intégrée à notre art, du fait de l’investissement nécessaire en temps de formation, de réalisation et du coût initial en équipement. Paradoxalement, son utilisation est systématique en orthodontie, de nouveaux livres sont sortis à ce sujet et les cours de formation continue connaissent parmi nos confrères un franc succès ; lors de nos recherches, l’utilisation de cette technique est apparue très avantageuse pour le praticien. C’est pourquoi nous nous sommes interrogés sur les pendants de cette technique pour le patient. Nous nous sommes précisément demandé dans quelle mesure la photographie présente des bénéfices pour le patient appelant à son intégration complète et définitive dans l’art dentaire ?

Premièrement, il s’avère qu’en tant qu’outil de communication, la photographie offre au patient un accès simplifié aux informations contenues dans son examen clinique. Deuxièmement, elle permet une prise en charge pluridisciplinaire de meilleure qualité. Et troisièmement, elle offre au patient une sécurité renforcée tant du point de vue médico-légal que juridique.

 

La photographie offre au patient un accès simplifié aux informations le concernant.

L’information médicale permet le consentement éclairé

La photographie est un support de communication qui évite les longs discours et le quiproquo. Elle améliore la communication avec le patient grâce à la rapidité et à la puissance du langage visuel. Elle est un support sur lequel le patient peut pointer du doigt ses interrogations. Elle constitue une base de discussion commune et induit le partenariat thérapeutique. Elle permet au praticien de justifier son intervention auprès du patient et celui-ci ne peut que mieux apprécier l’opportunité des soins proposés. De ce fait, le patient devient autonome, maître de ses choix et acteur de sa santé. La photographie permet d’obtenir le consentement éclairé du patient en s’adaptant à son niveau de compréhension. Elle est le support idéal pour expliquer la situation et les soins à réaliser en toute simplicité et prouver le cas échéant la recherche du consentement ; même dans le cas de mineurs ou de majeurs juridiquement irresponsables. Le patient peut désormais expliquer le plan de traitement et les devis proposé via les photographies à ses proches, et ce, dès la sortie du cabinet grâce aux derniers logiciels de gestion qui mettent à disposition toutes les informations relatives au patient sur un nuage électronique (cloud) sécurisé auquel il a accès via son smartphone ou son ordinateur. Ceci permet au patient d’obtenir l’avis, le soutien moral et financier de ses proches pour des plans de traitement longs, conséquents et onéreux.

 

La photographie permet au patient de voir sa bouche autrement

La photographie met face à la réalité. Elle constitue un support pédagogique. En portant la connaissance du problème au patient elle lui impose d’y remédier activement. La présentation des options thérapeutiques est aidée par les portfolios constitués par le dentiste tout au long de son exercice. D’autre part, les outils numériques actuels permettent une prévisualisation du résultat final et permettent aux deux protagonistes de se mettre d’accord sur les objectifs à atteindre dans l’idéal et de communiquer leurs exigences au prothésiste. Le patient peut voir son futur sourire simulé. De plus, proposer une photographie avant/ après ou la photographie d’un mock-up a un grand impact sur le patient car il comprend la justification et la finalité de son traitement devient accommodant et y adhère naturellement.

 

La photographie permet une meilleure prise en charge pluridisciplinaire

La photographie enregistre les informations de façon fiable et normalisée grâce à du matériel et des techniques standardisées

Un smartphone ou un boîtier Réflex permettent de capturer les images. Le Smartphone doit être muni des systèmes d’éclairage Smile Line Lite ou Smile Line MDP. Le Boîtier Réflex, doit être équipé d’un objectif macro 100mm, [1 :1], f/2,8, et d’un flash annulaire ou de flashs asservis aussi appelé twin-set ou R1/C1. En cas d’éclairage insuffisant il faut équiper la salle de parapluies, d’un réflecteur tripodique, d’un fond neutre, voire d’une paire de projecteur LED 450Htz afin réaliser des vidéographies. Les contrasteurs, les écarteurs uni ou bilatéraux et les miroirs permettent d’écarter les tissus mous et de réfléchir l’image de façon à respecter le principe d’orthogonalité sans quoi l’exploitation des images par les logiciels de conception numériquement assistée n’est pas possible.

Certains paramètres sont fixés tels que : la sensibilité du capteur (ISO 200) ; la balance des blancs (T= 5500 Kelvin) ; le temps d’exposition (1/250 s) et doit être synchronisé à celui du flash ; l’enregistrement se fait simultanément au format RAW et JPEG. L’opérateur, quant à lui, doit ajuster la profondeur de champ et la zone de mise au point selon le cliché désiré. Le patient doit être placé à 1 mètre d’un fond de couleur neutre, les cheveux attachés afin de visualiser les repères auriculaires (Fig 1 à 9)

Elle permet le suivi thérapeutique et la mise en place des stratégies de prévention primaire, secondaire et tertiaire. Primaire en montrant au patient où il ne se brosse pas suffisamment les dents, elle réduit alors l’incidence des maladies bucco- dentaires. Secondaire en réduisant la prévalence autrement dit, la durée d’évolution de la maladie en permettant par exemple de repérer une lésion carieuse débutante et en la traitant rapidement. Tertiaire en permettant au patient d’adapter ses soins quotidiens à la maladie chronique ; par exemple : utiliser un révélateur de plaque et la photographie des dents antérieures permet d’approcher par calcul, la quantité de plaque présente sur l’ensemble des surfaces dentaires et d’aider ainsi le patient dans l’autogestion de son hygiène bucco-dentaire. (Fig 12 13 14)

 

La photographie facilite la communication avec les professionnels et permet une meilleure prise en charge pluri-disciplinaire

C’est un outil de transmission, des connaissances aux futures générations de dentistes, de chercheurs et de professeurs. Elle est incontournable dans le cas de présentation pédagogique, d’un concours ou d’une publication. Elle permet l’auto- évaluation du praticien ; la comparaison de son travail avec celui de ses confrères (Fig 15 16).

Dans le cadre d’une réhabilitation globale, le praticien peut demander à distance la réalisation du projet esthétique virtuel de son patient via la plateforme mise en ligne par le site du DSD®. (Fig 17)

La télémédecine a montré son efficacité en termes de détection de la carie occlusale via les photographies prises par la caméra d’un smartphone en comparaison à la technique traditionnelle d’examen. Elle permet d’adresser facilement le patient à un confrère ou à un spécialiste en joignant des informations complètes. La photographie permet d’expliquer visuellement au parodontiste, le résultat recherché. Finalement, c’est un outil indispensable dans la communication avec le laboratoire dentaire. La puissance de cet outil est sous-estimée puisqu’on s’aperçoit que 50% des prothésistes reçoivent rarement des photographies des patients et 6% n’est reçoivent jamais. La photographie renseigne sur les caractéristiques gingivales et dentaires personnels et permettent une fabrication personnalisée. De plus, la photographie numérique apparaît comme une alternative à l’utilisation du spectrophotomètre car les études ont montré qu’elle fournissait une approximation significativement acceptable de la couleur. Plusieurs moyens permettent de transmettre les photographies au prothésiste. Elles peuvent être imprimées et annotées si besoin puis envoyées au laboratoire par courrier ou coursier, Ou être éditées sur les logiciels adéquats et envoyées par mail ou partagées sur un disque dur amovible (clef USB) sur un cloud sécurisé. La transmission des informations et leur compréhension est la clef à une économie considérable en temps et en coût, car cela évite de refaire faire des prothèses mal adaptées. (Fig 18 à 20).

 

La photographie offre au patient une sécurité médico-légale et juridique renforcée

(Fig 21)

La photographie trouve sa place dans le dossier du patient

Un portrait complète la partie administrative. Les clichés réalisés tout au long du traitement sont inclus dans les données cliniques. Les clichés avant/après sont considérés comme des documents thérapeutiques. Le code de déontologie du chirurgien-dentiste ne mentionne pas l’obligation de tenir un dossier patient, mais la loi oblige à veiller à la qualité du dossier médical ; la photographie y concourt. L’Agence Nationale d’Accréditation et d’évaluation de la santé stipule que les photographies font partie des documents à conserver dans le dossier du patient. De plus, cet outil permet de numériser les radiographies que le patient apporte sur film et les modèles d’études du patient dans son dossier informatisé.

En cas d’accident, le dommage dentaire est bien souvent négligé dans un contexte poly-traumatique alors que la réparation de ces préjudices à un coût financier élevé. La rédaction du certificat médical initial est considérée comme un acte médico- légal et engage pleinement la responsabilité de celui qui le rédige ; la photographie permet d’attester de la véracité des observations du rédacteur. D’autant plus que la Haute Autorité de Santé recommande de joindre autant que possible des schémas, et des photographies contributives et identifiées avec l’accord de la victime et de conserver un double des photographies.

Le patient a un droit d’accès et de rectification sur son dossier médical. En effet, le patient peut demander à compléter, modifier voire supprimer certaines informations le concernant. La transmission des informations aux personnes sous tutelle ne demande pas de mesures particulières, le tuteur peut lui aussi exercer son droit d’accès en toutes circonstances.

 

La photographie est une preuve médico-légale

Elle permet l’identification en cas de disparition par comparaison des photographies ante mortem et post mortem, de la face, des dents, des lèvres et des papilles bunoïdes. La photographie permet de diffuser des avis de recherche. La photographie est utilisée dans la technique de superposition faciale qui consiste à superposer la photographie du crâne retrouvé avec la photographie de la personne présumée disparue. Ou dans la technique de reconstitution faciale. La photographie numérique permet le vieillissement informatique des photographies des enfants disparus afin de les retrouver. La photographie constitue une preuve en cas de litige avec le praticien. Il appartient au plaignant de contester l’authenticité d’une photographie et d’en apporter la preuve. Une photographie au format RAW est juridiquement incontestable. La photographie constitue une preuve que l’information a été délivrée au patient.

 

La photographie est protégée par un cadre juridique et des juridictions spécifiques

La Commission Nationale de l’Informatique et des libertés (CNIL) est l’autorité en charge de veiller à la protection des données personnelles. Selon la loi, les documents établis sur support informatique doivent faire l’objet d’une déclaration à cet organisme. Elle accompagne les professionnels dans leur mise en conformité et aide les patients à maîtriser leurs données personnelles et exercer leurs droits. La conservation des documents dans l’application est de 5 ans après la dernière modification, ensuite les données doivent être archivées sur un support externe bénéficiant du même niveau de sécurité pendant 15 ans. Soit une durée de conservation minimale de 20ans.

 

Alors que le Code de la Santé Publique a ramené dernièrement la durée de conservation à 10 ans à compter de la consolidation du dommage ou 10 ans après la majorité du patient mineur au moment de la consolidation, au lieu de 30 ans. L’hébergement n’est possible que chez un hébergeur de données agrémenté par le ministère de la santé et avec le consentement du patient. Les photographies sont protégées par des lois. Le secret médical s’impose au praticien mais aussi aux professionnels qui travaillent avec lui. Il tire son origine du serment d’Hippocrate et conditionne l’intimité du patient et sa confiance envers son praticien. Tout manquement au secret médical est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000€ d’amende.

 

D’après des dispositions civiles et pénales : chacun a le droit au respect de sa vie privée. Dans le cas contraire le praticien risque 1 an d’emprisonnement et jusqu’à 45 000€ d’amende. Le droit à l’image impose l’obtention du consentement du patient en cas d’utilisation et/ ou de diffusion de ses photographies où il est reconnaissable par lui- même ou un proche. Le consentement doit être réitéré pour chaque nouvelle utilisation des photographies et le patient peut se rétracter à tout moment. Alors que la confidentialité des photographies intra-orales est rarement remise en cause, les photographies extra-orale et dento-labiales sont propres à chaque individu et révèlent l’identité. Le consentement est cependant présumé lorsque la photographie a lieu dans un lieu privé tel que le cabinet dentaire, au vu et au su du patient sans qu’il ne s’y soit opposé clairement. Ne pas respecter les droits du patient conduit à 1 an de prison et 15 000€ d’amende. Le droit d’auteur définit par le code de la propriété intellectuelle s’applique lors de l’utilisation d’images prises dans des ouvrages. Ne pas respecter ce droit condamne à 3 an de prison et jusqu’à 300 000€ d’amende. La loi stipule que les photographies avant/ après soin du patient lui appartiennent mais ne définit pas l’appartenance des photographies per-opératoire. A défaut, elles appartiennent au praticien.

 

Conclusion

Concernant le patient, la photographie améliore sa compréhension et son investissement dans les soins ; elle lui garantit une meilleure prise en charge pluridisciplinaire tout en protégeant ses données.

La photographie répond à de nombreux enjeux dont notamment celui de définir précisément et de cadrer les exigences du patient, afin d’éviter les malentendus sources de litiges. La photographie trouve ces limites dans le fait que les sourires forcés ne sont pas très reproductibles d’un jour à l’autre et qu’il est difficile de capturer un sourire vrai, le sourire de Duchenne. D’où l’importance de la réalisation de vidéographies dont le praticien pourra extraire cette photographie pour évaluer au mieux la mobilité labiale. Nous retiendrons que la photographie est un outil à intégrer dans la pratique courante et un service supplémentaire à proposer au patient car elle complète et globalise sa prise en charge.

 

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