Le sujet ne manque pas d’ambition en 2018 ; il a une sorte d’odeur du passé (Fig.1), j’irai même jusqu’à dire qu’il devient « pléonasme » car comment dissocier dans un monde moderne dentisterie, esthétique et numérique. Jusqu’en 1970, n’était associé à la dentisterie que l’Art avec un grand A. Aujourd’hui la science, avec en première ligne le numérique, y fait une entrée fracassante et c’est tant mieux pour ceux qui aiment notre métier. Cela ne doit pas nous empêcher de l’aborder avec un certain recul. C’est ce que nous allons faire un peu avec vous.
Camper dans notre position ancestrale qui nous laissait penser que notre métier relevait plus de l’art que de la science, nous a fait manquer la première révolution numérique des années 50. Ce n’est qu’au début des années 70 que quelques hurluberlus ont osé se poser la question : pourquoi ne pas dépasser le champ d’action établi arbitrairement dans nos études universitaires et analyser, voire intégrer le numérique à notre pratique quotidienne ?
La question était osée, la réponse le fut encore plus. Ce qui ne devait être qu’un outil se substituant à la pratique répétitive de certains actes, en particulier au niveau de nos actes prothétiques, s’est transformé en aide clinique et même conceptuelle générale dans notre discipline. Le numérique a progressivement virtualisé notre pratique clinique et bien sont rares aujourd’hui ceux qui n’y touchent jamais. Virtualisé, le mot est lâché et il va nous accompagner jusqu’à la fin de cet article. Car il s’agit d’abord de cela : le numérique virtualise de plus en plus notre pratique quotidienne et cette virtualisation si importante aujourd’hui est née de la possibilité de numériser, de digitaliser, d’apporter le digital à la dentisterie. C’est l’acte fondateur de la question que nous nous posons aujourd’hui « l’apport du digital à la dentisterie et à l’esthétique ».
Cet apport a permis de numériser en mesurant les surfaces sur lesquelles nous intervenons. Notre métier est de modeler, d’enrichir ou de corriger des surfaces visibles (ou non). Le faire sur la surface elle-même, réelle comme l’est un modèle ou une dent en bouche, est l’acte fondateur de la dentisterie de toujours. Comme il s’agit de notre champ de travail, pour utiliser le numérique, il nous fallait tout d’abord être capable de digitaliser cette surface. La chose n’était pas simple car à la différence d’un cube ou d’une sphère en mécanique, la dentisterie nous offre que des surfaces complexes, on parle de » surfaces gauches ».
Nous y sommes arrivés grâce à l’empreinte optique qui d’une information réelle, analogique, nous transmet une information virtuelle, codée et numérique. Il ne nous restait plus qu’à la traiter et, si ce ne fut le plus difficile, ce fut à coup sûr le plus passionnant. Pensez, mettre en équation nos gestes quotidiens, nos mouvements mandibulaires, nos couronnes en fonction des matériaux … C’est sans doute cette place clef qui explique que souvent nous réduisons la conception assistée par l’ordinateur, voire même la réalisation des analyses ou la fabrication des pièces prothétiques, à l’empreinte optique.
Les dents ne sont plus des objets que l’on touche physiquement (et encore … dans peu de temps on pourra toucher physiquement ces objets virtuels) mais un ensemble de points plus ou moins rapprochés se déroulant dans l’espace. L’empreinte optique a pour but de mesurer la position de ces points par rapport à un référentiel commun (comme l’est le socle de notre modèle en plâtre).
D’ailleurs pour une personne qui numérise les surfaces, la comparaison entre les atomes constituants la frontière externe d’une pièce mécanique et les points mesurés par l’empreinte optique à la surface de la dent est une évidence. La surface de la pièce mécanique est constituée de points que l’on mesure comme ceux que l’on mesure sur nos dents.
Si nous voulons même aller plus loin dans notre raisonnement « numérique », ces surfaces mécaniques frontières sont en réalité constituées dans l’infiniment petit par des atomes serrés les uns contre les autres. Les points dans ce monde « sub-microscopique » peuvent donc être confondus avec les atomes de la matière elle-même et toutes les lois qui y sont associées (quantiques …). Si nous imaginons maintenant une caméra endo buccale IOS hyper-précise, nous pourrons trouver un nombre de points identiques véritable surface frontière atomique externe de nos dents et gencives auxquels nous pourrons accrocher les mêmes lois, comme par exemple les lois quantiques de la nouvelle physique. Le futur de la dentisterie pour moi se situe là, dans cette maitrise du dynamisme universel mais ceci est autre chose qu’il est difficile de transmettre.
Notre métier est donc en train, grâce au numérique, de basculer lentement mais surement dans le monde de la nouvelle physique et de ses règles associées. Il nous permettra aussi de paramétrer nos maladies et d’en virtualiser l’évolution. … Quelle vue fascinante nous offre ce petit acte simple consistant à mesurer à l’aide d’une caméra une petite surface de dent !
Mais revenons à la réalité du moment. Derrière cette numérisation apparait l’ordinateur et toutes ses valeurs associées. Le fait de disposer de points de mesure des surfaces dentaires dans l’espace, connus dès le début des années 80, (Fig. 2 et 3) et que ces points de mesures soient des chiffres de cordonnées (x.y.z.t), nous a permis de faire rentrer la dentisterie dans le monde de l’informatique. Nous n’étions plus des amateurs comptables n’utilisant que des logiciels de gestion destinés à des comptables mais des dentistes utilisant des logiciels pour dentistes.
La surface de la dent était numériquement définie et mesurée dans l’espace ; donc, nous pouvions la faire traiter par des unités de calcul numérique (digital pour être anglo- français) que l’on peut appeler ordinateur et bénéficier de tout ce qui est disponible dans ce monde informatique. La digitalisation nous a permis de nous affranchir de l’objet lui-même, et c’est heureux, mais aussi de lui appliquer de nouveaux traitements dans le respect, ou non, des anciennes méthodes. La digitalisation a permis d’actualiser dans un monde moderne ce que nous faisions avec des outils dépassés et même d’appliquer de nouvelles méthodes ou de nouvelles thérapeutiques qui n’étaient même pas envisageables (et même pas pensables) avec nos anciens outils.
Il me paraît intéressant et amusant à cet instant de vous donner deux exemples concrets comparant les anciennes méthodes cliniques analogiques issues du passé et celles issues de la numérisation.
Le premier est l’exemple du modèle en plâtre : à première vue, nous nous disons que la digitalisation du modèle en plâtre est une évidence ; il ne s’agit que de passer d’un modèle réel à un modèle virtuel, grâce au scanner. Cette vision est étroite. Nous avons très rapidement compris, comme dentiste-informaticien, qu’un modèle en plâtre n’est ni plus ni moins qu’une sorte de stockage d’information sous une forme réelle et palpable. C’est la clef USB des temps anciens. Aujourd’hui, stocker le modèle sous forme numérique grâce au scanner sur une clef USB est un acte similaire à celui de couler le modèle réel en plâtre mais la finalité ou le résultat est très différent. Ce sont dans les deux cas une mémorisation de la forme de la bouche. Dans le premier cas, c’est un modèle non reproductible, fragile et non évolutif (mouvements des dents en orthodontie ou en parodontologie). Il ne s’agit que d’une « mémoire instantanée et fugace », alors que d’en l’autre cas c’est une mémoire accessible (RAM) reproductible à l’infinie et stockable en une infinité d’unités identiques modulables mais pouvant toujours revenir à son état initial.
Deux mémorisations surfaciques, deux disponibilités différentes. Voici un exemple concret de l’apport du numérique supplétif et enrichissant la méthode traditionnelle sans en changer sa finalité.
Le deuxième exemple ne se rapporte pas à des mesures de surfaces mais à des analyses découlant des mesures de transparence de la matière. Tous les systèmes de radiologie numérique allant du scanner au cône-beam en passant par notre RVG sont des mesureurs de matière par transparence. En informatique on ne parle plus de « surface modeling », ou mesure de surface, mais de « solide modeling » utilisé par mon équipe de Hennson dans les premières modélisations de dents faites par le logiciel Euclid de Matra.
Visualiser une radio ne signifie pas qu’elle est numérisée. Voir une radio sur un écran date d’avant les premiers ordinateurs. Les premiers systèmes de radiologie dentaire, comme le premier Cerec, n’étaient pas des systèmes numériques mais travaillaient en analogique. La numérisation n’était pas nécessaire à la visualisation et elle coûtait chère.
Tout aurait pu être analogique sans conversion pour le monde digital. Pourtant c’est le traitement numérique qui a donné toute la puissance à cette technologie. La représentation 3D de la matière « radio » a permis en premier lieu de monter des modèles virtuels avec des forces internes « en éléments finis » reproduisant les tensions internes dans l’os, très utilisée aujourd’hui en prothèse mais aussi en implantologie et en orthodontie. Il nous est possible de visualiser l’effet d’une force appliquée sur la dent, sur l’os ou sur une prothèse pour analyser son comportement et sa rémanence. Ceci a conduit aussi à quelques erreurs célèbres lorsque l’on a voulu associer aux niveaux de gris de la radiologie numérique des pathologies et d’y associer de « fausses couleurs ». Ceci est une autre histoire …
Ces deux modèles virtuels aujourd’hui convergent vers un seul objet associant l’image RX invasive et l’image de surface plus précise. Cette pratique s’est généralisée il y a une dizaine d’années et principalement en implantologie et en orthodontie. Elle est incontournable en implantologie car elle permet de positionner virtuellement des implants, d’en simuler le positionnement mais aussi d’usiner en temps réel les guides d’insertion.
En orthodontie elle permet, certes, de faire des gouttières mais aussi de simuler le traitement en fonction des forces appliquées et applicables pour atteindre l’objectif mais surtout, à la différence des méthodes analogiques, de visualiser d’une manière extrêmement précise le moment d’une éventuelle dérive (et ses conséquences osseuses).
Le numérique historiquement s’est attaqué à l’orthodontie, non pas comme modéliseur de surfaces, mais comme gestionnaire de données. Burston l’a utilisé pour clarifier et … classifier des milliers de données céphalométriques à la fin des années 60. Entre 1971et 1973 est arrivée la CFAO dentaire (Fig. 4). Ignorée voire mal accueillie dans les années 70 par les instances universitaires, c’est la présentation de 1983 à la Garancière qui lui a permis de s’imposer et de transformer l’acte prothétique grâce à la pression et l’intérêt des dentistes.
La CFAO a profondément changé le monde dentaire dès son apparition non pas parce qu’elle était technologiquement complexe, mais parce que, dans cette complexité, elle avait été conçue dans un esprit respectant l’acquis scientifique de notre métier depuis son origine. Elle était donc difficilement destructible, exception faite au travers de l’état des techniques de l’époque.
La CFAO laisse le choix de son matériau au praticien.
Ce qui intéressa en premier, le plus, les scientifiques de l’époque (entre autre du MIT) et par contre coup les dentistes, fut qu’il s’agissait, sans aucun doute, d’un des premiers systèmes, sinon le premier, d’application de l’intelligence artificielle à la médecine (en tout état de cause c’est le premier en dentisterie). En effet l’IA (Intelligence Artificielle) se caractérise par l’inclusion dans un procès automatique ou semi-automatique d’une réflexion ou d’un savoir- faire humain dans la procédure de réalisation d’un acte en général robotisé. La CFAO dentaire mesure une préparation et produit une couronne. Il y a une différence donc entre les données entrées dans la chaine et les données exploitées à la sortie. C’est la définition même et la plus pure de l’IA. Nous ne nous en sommes pas rendu compte immédiatement car cela nous paraissait évident …
Le deuxième intérêt porta sur le fait que, à la chaine de la CFAO industrielle classique (conception des données par table graphique, fabrication par usinage le tout assisté par l’ordinateur ou CFAO) était adjoint une nouvelle entrée des données automatisées avec conversion automatique analogique/digitale ou « empreinte optique » (c’est pour cette raison que j’avais choisi ce titre de thèse). La CFAO dentaire proposait d’aller plus loin que la CFAO industrielle classique. Cette différence permit à la dentisterie de traiter des données complexes (surfaces gauches, radiologiques) qui sont le quotidien des dentistes, par des systèmes de CFAO dont les logiciels appliquaient les règles de l’intelligence artificielle.
D’un seul coup nous allions pouvoir mettre en équation tout notre savoir sans aucun esprit sélectif, l’équation étant d’autant plus complète que toutes les hypothèses étaient retenues. Elle était aussi enrichie par feedback et, de ce fait, proposait le premier système expert en médecine et dentisterie. Enfin, elle frappa les spécialistes de la communication car elle décrivait pour la première fois internet (avant l’heure) et la télémédecine associée à des grands centres
Tout cela fut apporté par le numérique à la dentisterie (et la médecine par contre coup…) et est actuellement utilisé tous les jours. Les conséquences de cette numérisation ne se firent pas attendre et la quasi-totalité a été décrite et inventée en France (d’où une certaine « jalousie » encore perceptible dans certains articles nationaux et internationaux occultant l’origine des idées et des réalisations). La première porte sur l’automatisation des bibliothèques de dents théoriques utilisées pour construire la forme externe de la future prothèse (Fig. 6).
Alors que la dilatation virtuelle de la préparation remplaçait avantageusement le « die spacer » imprécis et aléatoire, la partie externe s’appuyait enfin sur des critères anatomiques et scientifiques, loin de l’expérience propre du praticien. Créer l’enveloppe externe d’une prothèse est un acte complexe associant origine génétique du patient, mécanique des matériaux, physique des contacts, respect de l’harmonie d’arcades et bien entendu l’esthétique des rendus (incluant forme et couleur). Il est évident que l’approche empirique ne pouvait pas inclure tous ces facteurs et que ce n’est que l’expérience « artistique » du créateur qui y suppléait. J’irai jusqu’à dire que plus la pratique était grande et plus le risque de masquer l’un de ces facteurs était grand.
D’emblée la CFAO a tout mis sur la table en passant par des fichiers standards mais individuellement adaptables. Pour chaque réalisation de prothèse une forme d’enveloppe externe est proposée (dents théoriques mémorisées), avec des outils simples et propres permettant à chacun d’y mettre sa touche personnelle.
Chaque facteur a été numériquement pris en compte, quelques exemples.
La génétique est à la fois incluse dans la forme de base, mémorisée dans la mémoire de l’ordinateur mais aussi dans son adaption primaire au regard des dents présentes dans la bouche du patient. Chaque jour de nouvelles bibliothèques sont proposées.
Grâce à la CFAO, la mécanique des matériaux traités en numérique a suivi, dès l’origine, deux voies inexplorées en dentisterie traditionnelle. La première voie fut la création de blocs usinés dont on maitrisait les caractéristiques mécaniques et qui, du fait de l’absence de modification d’état, conservaient leurs qualités « usine » au moment de la mise bouche de la prothèse (usinage par enlèvement de matière). La seconde fut l’usinage de matériaux hétérogènes orientés et structurés (Fig. 7) en tout point semblables à une dent naturelle (avec fibres orientées comme le collagène, charges et liants). L’usinage permettait de respecter l’orientation des fibres et l’Aristée (tel était son nom) ouvrait une nouvelle voie révolutionnaire malheureusement stoppée, temporairement, par l’usure prématurée des surfaces. Et nous ne parlons pas des méthodes additives … » chouchou » de la dentisterie moderne.
La physique des contacts était déjà un terrain privilégié des « mathématiciens dentistes » mais la complexité de la construction des surfaces occlusales obligeait d’une part à se cantonner à une théorie ou une pratique (fonctionnaliste, gnathologie … côté balançant …) et la manipulation de l’arc facial était rédhibitoire et réservée à une élite. Le numérique a fait comprendre aux praticiens qu’une surface 3D, composée des points de surface dont nous parlions au début de cet article, pouvait se mouvoir dans l’espace et qu’à chaque point connu dans l’espace 3D (xyz) pouvait être associée une quatrième dimension, celle du mouvement (xyzt). Tout devenait clair et la modélisation des surfaces devenait une soustraction Booléenne simple et rapide à condition d’avoir l’analyseur. Le premier fut, là encore, français et les 3 diodes et les 2 caméras de l’Access Articulator firent le reste (voir les travaux des Drs Jean Pierre Toubol et Fabienne Jourdan) (Fig. 8)
Si l’harmonie des arcades passait par la détection des sillons et des crêtes, acte d’autant plus facile que les premiers systèmes de CFAO travaillaient en « morphologie mathématique, là encore le digital … il restait à maitriser l’esthétique. A ce niveau le digital fit et fait feux de tout bois. Tout d’abord à chaque point des surfaces (encore nos fameux points) fut associée une 5e dimension, la couleur elle-même divisée en trois sous-valeurs de spectro-colorimétrie dans le shade-master de Bertin (chroma … et non pas la RGB des Colorimètres). Puis le numérique dériva vers l’esthétisme des volumes en associant à la fois la forme des visages et la forme des dents. Un véritable commerce d’appareils est arrivé progressivement sur le marché dentaire permettant de créer virtuellement les dents futures du patient sur ses photos de visage en 2D (puis récemment en 3D). Véritable petit outil de vente… de l’esthétisme mais répondant à un besoin fondamental dans la relation patient praticien. Il s’agissait de reproduire et adapter technologiquement ce qui existait dans l’habillement dès les années 70 grâce au laser (l’armée américaine avait mis au point un système laser permettant de calculer automatiquement la stature de ses soldats pour tailler sur mesure et en temps réel leurs uniformes).
Plus intéressante, mais ceci n’est que mon avis, fut l’idée lancée par notre équipe dans les années 80 et qui consistait à mémoriser et donner sur carte laser (la clef USB de l’époque Fig. 9) toutes les dents en 3D, ainsi que les arcades, les teintes et les mouvements mandibulaires, de chaque patient au moment de l’adolescence, c’est-à-dire lorsqu’elles ne sont pas trop usées. Chacun pouvait alors les transmettre au praticien si nécessaire dans le futur et/ou en un autre lieu. Cette application numérique est quand même mieux qu’une vieille photo N&B écornée !
La deuxième révolution qu’apporte le numérique en dentisterie porte sur le diagnostic. Cet apport est particulier car il porte à la fois, comme nous le disions, sur l’imagerie mais aussi sur la transmission des données.
Sur l’imagerie, l’exploration des images permet d’arriver à des niveaux d’analyse jamais atteints par les méthodes conventionnelles. Il n’y aurait pas eu de scanner, de cône beam ou d’IRM sans le numérique. Cet apport a conduit à révolutionner en profondeur toute l’implantologie. Il est impossible aujourd’hui de pratiquer cet acte sans passer par une analyse fine et précise de l’environnement osseux et d’avoir une bonne visualisation virtuelle de l’implant avec son pré-positionnement avant de pratiquer l’acte chirurgical. Véritable compagnon des interventions les plus complexes le traitement et la reconstitution numérique ont permis d’aller bien au-delà des limites que personne ne pouvait imaginer il y a encore 20 ans.
Pourtant ce n’est pas une obligation de passer par la reconstruction 3D pour profiter pleinement du numérique en dentisterie. Une simple vue 2D traitée numériquement offre déjà des vues originales sur l’état réel des tissus durs ou des tissus mous. Plus encore en jouant sur les longueurs d’ondes balayant les tissus dentaires et en utilisant un décryptage numérique, il nous est possible aujourd’hui de visualiser en temps réel l’état des tissus. Cette application originale a conduit à certaines applications très intéressantes, comme par exemple, la détection des tissus dentinaires ou carieux dans la caméra Soprolife ®.
Sur la transmission des informations, le numérique devient de plus en plus important, surtout en médecine et en prothèse dentaire. Autour de la télémédecine, pipeline des données médicales, se développe toute une industrie du stockage sécurisé (contrôlé par le CNIL) et de transmission des données. L’objet de ces transferts a pour but et pour fonction de chercher l’avis de spécialistes (c’est la transmission pure des données pour analyse) mais aussi de déporter tout ou partie de la chaine de traitement. Par exemple en CFAO dentaire, la chaine peut se délocaliser dans un laboratoire de prothèse ou vers un autre cabinet dentaire. Grace à des fichiers de format STL ou PLY (forme de STL renfermant en plus l’information couleur) (Fig. 10). La chaine de fabrication peut passer temporairement par le laboratoire.
Autrefois, notre travail était transmis aux laboratoires sous la forme d’un modèle en plâtre et ne revenait que sous la forme d’une prothèse terminée. Aujourd’hui il existe de nombreuses solutions apportées par le numérique :
- l’empreinte optique et sa numérisation (conversion A/D) se fait au cabinet (ou au laboratoire) et la prothèse revient terminée. Le traitement entre l’empreinte et la pose est extrêmement rapide, contrôlable financièrement et très confortable pour le patient. Cet acte est d’autant plus rapide que la chaine peut se situer totalement dans le cabinet dentaire (CFAO directe) ;
- l’empreinte optique est réalisée dans le cabinet et est contrôlée, temps réel, par le laboratoire (parallélisme, contre-dépouille, espace pour le matériau …) ce qui permet une correction durant la préparation. La collaboration entre le dentiste et le prothésiste est constante ;
- l’empreinte optique est réalisée dans le cabinet et la CFAO dans le laboratoire (grâce à la transmission des fichiers STL). Lorsque la prothèse est modélisée, celle-ci retourne dans le cabinet, en sens inverse mais dans un fichier interprétable par une machine-outil située dans le cabinet (pas sous forme réelle) et c’est le prothésiste qui, à distance, pilote l’usinage pour la réalisation finale ;
- enfin, mais ce n’est pas la dernière possibilité, tout en étant sans doute la plus importante, on peut imaginer la transmission des données par satellite. L’information pour les télédiagnostics ou les images 2 ou 3D est envoyée depuis une région difficile d’accès. Elle permet son analyse et son traitement par des équipes éloignées mais très spécialisées, via les transmissions spatiales. Le retour peut se faire sur des machines-outils localisées dans ces zones démunies. C’est une extraordinaire dimension humanitaire du numérique appliquée à notre profession. Nous voyons donc que la transmission des images 2D ou 3D revêt des aspects très particuliers et très variés transformant radicalement la vue « centralisée » de notre exercice.
Les autres facteurs de la révolution numérique sont la précision et la vitesse. Historiquement c’est l’absence de maîtrise des variations dimensionnelles, donc de la précision dans nos actes cliniques, qui a conduit à notre numérisation des données. Nous ne connaissions rien des dimensions « métriques » de l’objet sur lequel nous travaillions et dont l’information passait de corps en corps. Nous n’avions aucune idée de ses variations volumiques. Nous appelions cela « variation dimensionnelle » (Pâte d’empreinte /plâtre /cire/cylindre de revêtement/ coulée …). Nous arrivions tant bien que mal à les compenser par des actions aléatoires et empiriques.
Le numérique a tout changé en abordant scientifiquement les règles régissant la résolution et la précision. Il l’a fait aussi en précisant dans quelle échelle nous devions travailler. La précision n’était plus liée uniquement à la qualité de l’opérateur mais aussi aux performances de l’outil utilisé. Quant à la vitesse, rien n’a besoin d’être rajouté à tout ce qui a été dit et répété de nombreuses fois. Ce qui nous importe aujourd’hui, c’est que nous devons être conscients qu’en nous dégageant du temps, en nous supprimant des tâches répétitives, la vitesse nous permet de consacrer plus de temps à l’analyse médicale de nos patients, essence même de notre existence professionnelle.
Ceci nous amène à parler de l’avenir (proche). Le numérique va nous ouvrir deux nouvelles voies, l’une étant l’acte clinique robotisé et l’autre, l’acte clinique sous réalité augmentée.
La première, l’acte robotisé, n’apparaitra pas immédiatement car elle suppose un contrôle précis des déplacements d’un matériel complexe, de sa miniaturisation et de la maitrise de son coût. Pourtant elle fait ses preuves en chirurgie depuis quelques années. L’acte robotisé est plus précis et réduit la fatigue de l’opérant. Il n’y a donc aucune raison pour qu’il n’arrive pas un jour en dentisterie. Le numérique, c’est cela aussi, et il nous faut l’accepter car si nous ne le faisons pas, d’autres le feront à notre place.
La deuxième, l’acte clinique sous réalité augmentée, peut arriver plus rapidement car elle ne suppose pas l’utilisation d’un matériel complexe et met en jeu des produits existants sur le marché.Nous en arrivons enfin à la partie qui occupe toute notre pensée aujourd’hui, celle de la réalité augmentée strictement dentaire. La réalité augmentée se caractérise par l’enrichissement de la vision de l’opérateur au moment de son diagnostic et/ou de son action clinique. Elle fut d’abord une simple vidéo apparaissant dans le champ de travail grâce à des lunettes spéciales. Elle se prépare à offrir beaucoup plus au clinicien. Ceci est l’objet de recherche de mon équipe aujourd’hui. Nous allons vous la présenter comme si vous l’utilisiez aujourd’hui.
Imaginez : votre patient arrive au cabinet et vous l’examinez. Immédiatement vous remarquez des caries, une dent incluse et une zone propice à la pose d’implants. Dans le cas d’une utilisation de l’outil RA (Réalité Augmentée), vous demandez à votre patient de faire réaliser un fichier Dat-com (qu’importe la forme du fichier) de sa bouche donc de son environnement osseux. Il revient avec son modèle 3D, issu de l’empreinte optique RX (car utilisant les RX comme vecteur ondulatoire d’analyse) incluant les maxillaires et tout ce qui y est invisible à l’œil, dans la bouche, car sous gingival : contour osseux, position de la dent incluse, position de la crête osseuse pour les implants, trajets nerveux et sanguins, racines et apex …). Vous disposez alors d’une information 3D capitale mais invisible directement dans la bouche à moins de regarder une radio en permanence (et encore). Le numérique (reconstitution 3D, discrétisation des composant sous gingivaux …fichiers transmissibles et exploitables) a frappé une nouvelle première fois.
Vous faites alors une empreinte optique de la partie externe surfacique de la bouche à l’aide de l’IOS (Intra-oral scanner) de votre choix. Le numérique a frappé une deuxième fois. Cette étape n’est pas forcément obligatoire et vous pouvez passer directement à la troisième étape mais il semble intéressant de la décrire. Vous disposez cette fois de deux fichiers, l’un sous gingival, et l’autre sus gingival. Le point commun entre ces deux fichiers est la surface stable et rigide des dents. Cette zone est appelée la zone de corrélation. Si vous fusionnez ces deux zones vous n’aurez plus qu’un seul objet 3D comportant la partie interne moyennement précise (sous gingivale), et la partie externe sus gingivale très précise. Vous pourrez déplacer cet objet nouvellement créé comportant la partie interne et externe de la bouche, la visualiser et l’analyser dans l’espace, grâce à vos lunettes à réalité augmentée.
Passons à la troisième étape, la plus intéressante et sans doute aussi novatrice que lorsque que nous avons introduit l’empreinte optique et la CFAO en dentisterie dans les années 70. Vous gardez vos lunettes à Réalité augmentée et vous regardez réellement à l’intérieur de la bouche de votre patient. Vous y verrez les dents (ce n’est pas surprenant !), mais évidemment vous ne verrez pas ce qui est sous la gencive, comme l’os ou les racines.
Certes vous pourrez voir l’image volumique que vous aviez créée précédemment dans l’espace 3D mais celle-ci sera visualisable que sur une petite partie de vos lunettes. Elle le sera en dehors de votre axe de vision dans la bouche de votre patient, pour ne pas vous déranger et ne pas occulter votre champ de vision.
Pourtant il existe un dénominateur commun entre cette reconstitution spatiale 3D virtuelle (dans le coin de vos lunettes) et la vue que vous voyez, en réel, dans la bouche de votre patient : c’est à nouveau la surface des dents. Cette surface des dents est donc l’élément commun entre la vue RX et la vue endo-buccale que vous observez au travers de vos lunettes RA (et accessoirement l’empreinte optique).
Imaginez maintenant que vos lunettes à réalité augmentée portent une, ou mieux, 2 caméras capables de numériser en temps réel la surface que vos yeux observent dans la bouche de votre patient et qu’elles soient capables de le faire en respectant l’angle de vue de votre regard. En utilisant le même concept de fusion que vous avez mis en action dans l’étape précédente, et en vous appuyant sur cette zone commune représentée par la surface externe des dents, vous pourrez de la même manière réunir en un seul objet la surface des dents que vous voyez dans la bouche et le fichier RX 3D issu de la première numérisation des contours osseux et des formes sous gingivales. Vous n’aurez plus qu’un seul fichier incluant la partie sous gingivale et la partie visible dans la bouche de votre patient.
Le fichier commun, le dénominateur commun, étant la surface des dents, vous pourrez visualisez directement dans la bouche de votre patient la fameuse dent incluse, les zones cariée et la crête prête à accueillir les implants. Vous pourrez même y voir les trajets nerveux et sanguin ou les déplacements des instruments canalaires dans les racines ou rotatifs durant la réalisation des préparations (proximité pulpaire).
La phase finale sera d’y adjoindre des références esthétiques, en couleur, et vous aurez une image complète, 3D, sous gingivale et esthétique, directement dans la bouche du patient.
C’est aussi cela l’apport de numérique à la dentisterie et l’esthétique …
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