Les douleurs aigues sont de diagnostic aisé et bien prises en charge par le chirurgien dentiste. Par contre les douleurs chroniques orofaciales déconcertent les cliniciens car fréquemment sans signes objectifs. Le diagnostic s’appuie sur les caractéristiques de la description de la douleur d’où l’importance d’un entretien et d’un examen clinique rigoureux. Les douleurs orofaciales sont sur un territoire partagé par plusieurs spécialités : ORL, ophtalmologue, neurologue, chirurgien dentiste. Le point de vue de chaque spécialiste oriente son diagnostic et la prise en charge proposée. L’errance médicale consécutive à cette multidisciplinarité retarde le diagnostic, impacte la qualité de vie et contribue à la chronicisation de certaines douleurs tout en complexifiant la prise en charge.
Le chirurgien dentiste est en première ligne puisque 88% des patients présentant des douleurs similaires à des douleurs dentaires consultent un dentiste, dans 3% des cas l’origine est non dentaire et dans 8% elle est mixte.
Certains traitements dentaires irréversibles peuvent être pratiqués avec la caution du patient malgré l’absence de causes cliniques évidentes (1).
Les facteurs de risque de la chronicisation de la douleur augmentent avec l’âge et selon le sexe (chez les femmes) et incluent des douleurs généralisées et des facteurs psychologiques. (2)
Douleurs et troubles temporo mandibulaires (TTM)
TTM est un terme générique qui regroupe les douleurs et dysfonctions impliquant les muscles masticateurs et les articulations temporo-mandibulaires (ATM).
10 à 15% des adultes et 4 à 7% des adolescents sont concernés, plus fréquemment des femmes (2 femmes pour 1 homme).
Les TTM sont dans 83% des cas associées à d’autres pathologies, des comorbidités (céphalées primaires, syndromes somatiques fonctionnels, troubles du sommeil,
parafonctions, douleurs chroniques avec autre localisation, plaintes psychologiques). Le terme comorbidité a été introduit pour décrire un trouble coexistant avec une pathologie. Ce trouble est
susceptible de causer plus de souffrances et une réponse atténuée aux traitements. Il peut également entrainer des investigations et des consultations spécialisées non nécessaires.
Les myalgies sont présentes chez 80% des patients présentant des TTM, c’est le diagnostic le plus fréquent. Les arthralgies isolées représentent seulement 2% des diagnostics. Les céphalées attribuées aux TTM se localisent au niveau des tempes, elles sont modifiées par les mouvements des ATM et les parafonctions.
L’étiologie des TTM est multifactorielle et encore non complètement élucidée mais l’origine occlusale est largement minoritaire et le traitement orthodontique mis hors de cause. La prise en charge est non invasive par physiothérapie, apprentissage de la gestion du stress ou pose d’une orthèse.(3)
Critères Diagnostics de TTM liés à la douleur
Myalgie :
Douleur dans le muscle temporal ou masséter altérée par le mouvement de la mâchoire, la fonction ou la parafonction
- Douleur lors de la palpation de l'un ou l'autre muscle
- Douleur pendant l'ouverture maximale non assistée ou assistée .
Douleur Myofasciale :
Douleurs régionales à la palpation des muscles masticateurs ou de tête ou du cou.
- Douleur sourde et profonde
- Douleur augmentée par la fonction
- Présence de points gâchettes ou de cordon musculaire tendu
- Limitation d’ouverture par des myospasmes des m. masticateurs
Arthralgie :
Douleur dans la région pré-auriculaire altérée par le mouvement de la mâchoire, la fonction ou la parafonction
-Douleur lors de la palpation de l'ATM
-Douleur pendant l'ouverture maximale non assistée, l'ouverture assistée ou les mouvements d'excursion .
Les céphalées
La céphalée est un terme générique désignant toute douleur, quelle qu'elle soit, ressentie au niveau de la boîte crânienne. Également appelées maux de tête dans le langage courant, les céphalées sont très courantes et représentent un motif majeur et fréquent de consultation médicale.
Des céphalées temporales sont souvent présentes en association avec les troubles temporo mandibulaires.. (4)
La Céphalée « de Tension »
Ce sont les céphalées les plus fréquentes. Elles peuvent être épisodiques (moins d’une par mois) avec une prévalence de 80% des cas à chronique (entre 1 à 15 jours par mois) chez 3% de la population.
Elles apparaissent fréquemment entre 35 et 40 ans et diminuent avec l’âge.
Douleurs bilatérales, non pulsatiles, d’intensité faible à modérée et non aggravées par une activité physique de routine (à la différence de la migraine). Elles sont décrites comme une pression, un serrement au niveau de la tête (en étau) et leur durée pouvant aller jusqu’à 7 jours est invalidante. Pas de nausées mais parfois photophobie et phonophobie.
Les Céphalées Cervicogéniques : une céphalée assez répandues pour être signalée ; elle est présente chez 4 à 17 % de la population générale. Souvent confondue avec la migraine. C’est une douleur de l’hémiface, sourde ou perçante commençant à l’arrière de la tête ou du cou et irradiante jusqu’au front ou tempes. La douleur peut irradier jusqu’au bras homolatéral et être provoquée par une pression cervicale.
La migraine
La migraine épisodique a une forte prévalence (8 à 12% population) et principalement présente chez des femmes (75% de la population atteinte). Il existe des formes avec et sans aura mais également des formes chroniques. Les céphalées apparaissent le plus fréquemment dans les 30 premières années de vie. Une susceptibilité génétique est avancée, 50 à 60% des patients ont au moins un parent ayant vécu une expérience migraineuse. Dans 60% des cas, la céphalée est unilatérale et se localise au niveau de la tempe et derrière les yeux.
Les crises sont sévères et invalidantes souvent unilatérales et pulsatiles. Les symptômes peuvent être aggravés par le mouvement. Il existe également une sensibilité du cuir chevelu chez 2/3 des patients pendant ou après la crise. Certains patients ont une phase annonciatrice quelques jours ou heures avant la céphalée.
Les symptômes annonciateurs et ceux qui évoquent la fin de la crise sont:
- fatigue, difficulté de concentration, sensibilité cervicale
- sensibilité à la lumière ou au bruit, nausées
- trouble de la vision, bâillement, pâleur
Prodromes et symptômes d'alerte doivent être connus pour ne pas être confondus avec les auras. Le traitement de première intention sont les AINS et les Triptans.
L’algie vasculaire de la face
C’est une céphalée trigéminale autonomique (CTA) très rare puisque la prévalence est estimée à 0,1%
Attaques douloureuses sévères, strictement unilatérales localisées au niveau orbitaire, supraorbitaire, temporal ou une combinaison de ces sites. Les crises durent entre 15 et 180 minutes sont quotidiennes jusqu’à 8 fois par jour. Les douleurs sont décrites comme une sensation d'arrachement de broiement, de tournevis d'enfoncement dans l’œil.
La douleur est associée à un larmoiement, congestion nasale rhinorrhée, transpiration frontale et faciale, myosis, ptosis, injection conjonctivale.
Les céphalées autonomiques trigéminales sont des céphalées associées avec l'activation de réflexes autonomiques parasympathiques. Les plus fréquentes sont les algies vasculaires de la face mais il existe également les SUNCT, pathologie très rare, et l'hémicrânie paroxystique, désordre rare.
Les signes et symptômes sont similaires à ceux des AVF. L’efficacité de l’indométacine pour traiter l’hémicranie paroxystique est le signe pathognomonique de cette pathologie. Dans 85% des cas les crises sont épisodiques et dans 15% chroniques (en général secondaire à des épisodiques mais quelques cas de chroniques spontanées). La douleur peut irradier vers la tempe, la joue, la gencive supérieure et inférieure, le front l'oreille le cou, et envahir toute l'hémiface la nuque et l'épaule.
Les douleurs neuropathiques
La Névralgie Trigéminale Classique (NTC)
La NTC est une maladie rare présente chez 0,3% de la population.
La Névralgie Trigéminale Classique est définie dans l’ICDH3 comme étant une douleur ressemblant à une brève décharge électrique unilatérale récurrente d’apparition brutale et d’arrêt brutal. La douleur est limitée à une ou plusieurs divisions du nerf trijumeau (Vème nerf crânien) et peut être provoquée par un stimulus sensoriel « inoffensif » (allodynie).
La symptomatologie caractéristique de la NTC est le « tic douloureux », une douleur paroxystique d’intensité élevée de courte durée.
L’épisode paroxystique peut être isolé et durer seulement une fraction de seconde ou groupé en salves, il est suivi d’une période réfractaire sans douleur. Le patient rapporte plusieurs crises isolées par jour ou des séries d’attaque. 50% des patients présentent également une douleur de fond plutôt sourde ou sensation de brûlure de faible intensité dans la zone des douleurs paroxystiques.
Les points gâchettes (trigger point) qui déclenchent la douleur peuvent être extra (plus fréquemment au niveau de l’aile du nez, lèvre) ou intra-buccaux (gencive supérieure fréquemment). Des symptômes autonomiques peuvent être associés (larmoiement, rhinorrhée) (11) Les formes évoluées ont des crises d’une durée plus longue et accalmies plus courtes ce qui peut être assimilé à une douleur de fond continue à caractère de brûlure ou tension (12) Les localisations les plus fréquentes sont au niveau du V2 et V3. La forme V1 étant exceptionnelle il faut faire le diagnostic différentiel avec une douleur tumorale.
Un IRM est indiqué pour diagnostiquer une tumeur ou une SEP. Un ECG permet de dépister un bloc auriculo-ventriculaire qui est une contre indication au traitement classique de la NTC (carbamazépine)
Il est important également de tester les fonctions rénales, hépatiques et le taux de sodium qui peuvent être modifiés par le traitement médicamenteux. L’étiologie la plus commune est un conflit vasculo-nerveux avec compression ou autre changement morphologique du trijumeau.
Traitements médicamenteux carbamazepine ou oxcarbamazepine est le traitement de référence.
Traitement chirurgical par décompression microvasculaire.
Les Neuropathies Trigéminales Douloureuses Post -Traumatiques (NTDPT)
L’ICDH-3 propose ce terme pour définir une douleur neuropathique d’origine traumatique qui affecte le nerf trijumeau. Ce terme remplace les douleurs de déafférentation, neuropathies traumatiques ou autres douleurs fantômes. La forme intra-orale est de diagnostic complexe et il est important de se concentrer sur la localisation. (10)
C’est une douleur unilatérale faciale et/ou orale avec une histoire traumatique identifiable au niveau du trijumeau. Des signes de dysfonctionnement du trijumeau tels hyperalgésie, allodynie, hypoesthésie ou hypoalgésie peuvent être présents dans le territoire concerné. Les douleurs sont provoquées ou spontanées d’intensité modérée à sévère à type de brulure, décharges électriques ou autres. Forme intraorale souvent en lien avec une procédure invasive dentaire, mais la douleur peut se déplacer en parallèle des différentes procédures.
Les étiologies possibles sont :
- 3 à 5% des patients en post traitement endodontique
- 52-71% avulsion dents de sagesse mandibulaires
- 3,6-14% chirurgie implantaire
- 4-20% avulsions autres
Les douleurs induites par les chirurgies implantaires sont de moins bon pronostic que celles des avulsions. La douleur peut se développer entre 3 à 6 mois après l’événement traumatique.
Cette pathologie est sous estimée, présente souvent des femmes entre 45 et 50 ans avec une charge psychosociale importante.
Traitement topique application de lidocaïne ou capsaïcine 0,1% - Traitement médicamenteux gabapentine, prégabaline mais abandons fréquents à cause des effets secondaires
Des approches cognitive ou hypnose sont proposées avec des résultats encourageants.
La SI dure fréquemment plusieurs années avec des périodes de rémission possibles. Dans 50% des cas elle est d’apparition spontanée et 33% des cas suite à une procédure dentaire ou médicale. Aucune étude n’a évaluée l’aspect prospectif mais dans moins de 5% des cas la résolution est spontanée. (15)
Les maladies rhumatismales (18)
Les patients atteints de ces pathologies peuvent être en demande par rapport à des symptômes localisés au niveau des ATM. Ils ont souvent une inquiétude par rapport à l’évolution de la maladie chronique
La polyarthrite rhumatoïde (PR)
La polyarthrite rhumatoïde est une maladie inflammatoire chronique touchant préférentiellement les petites articulations. Le diagnostic est établi selon les critères ACR/ EULAR 2010. La PR est présente chez 0,5% de la population. 40 à 100% des patients ont une atteinte de l’ATM.
En moyenne cette atteinte apparaît 2 ans après le diagnostic de PR. L’atteinte de l’ATM est incluse dans le décompte articulaire pour évaluer la réponse clinique au traitement donc il est intéressant de la réévaluer régulièrement.
L’atteinte de l’ATM apparaît :
- avant le diagnostic de PR: 6,5% des cas. Exceptionnelle
- de manière concomitante au diagnostic de PR: 24%
- après le diagnostic de PR: 44%
Les spondylarthrites
Le groupe d’expert international ASAS (Assessment of Spondylo Arthritis international Society) a déterminé deux principales formes de spondylarthrite :
- sujet de moins de 45 ans : forme axiale ; forme périphérique radiographique (présence d’une destruction radiographique des sacro-iliaques) ou non.
- sujet âgé : pseudo-polyarthrtite rhizomélique ou atteinte paranéoplasique
- sujet jeune : arthrite juvénile idiopathique (AJI)
Atteinte des ATM chez 69% des AJI ; le diagnostic est souvent tardif.
Les douleurs en lien avec un cancer
Les douleurs orofaciales peuvent survenir en tant que symptôme d’un cancer dans la région douloureuse ou à distance. Dans 90% des cas les cancers de la tête et du cou sont des carcinomes à cellules squameuses fréquemment localisés au niveau de la langue. Des invasions périneurovasculaires par les cellules cancéreuses touchent au niveau orofaciale à 80% le nerf trijumeau et le nerf facial.
Les cancers de la thyroïde, œsophage, sein, poumon, rein, foie, organes génitaux féminins, prostate, colon et rectum peuvent métastaser en orofaciale. Une métastase au niveau des mâchoires peut être la seule d’un cancer primaire.
Les traitements type chimiothérapie et radiothérapie peuvent être également à l’origine de douleurs.
Conclusion
Afin d’améliorer la prise en charge des patients il est nécessaire de connaître les caractéristiques de ces pathologies malgré leurs prévalences très variables en cabinet dentaire. Cela évitera l’errance médicale fréquente en cas de douleurs chroniques orofaciales. Cette errance médicale est un des facteurs de la chronicisation de la douleur qui complique de manière notable le traitement.
Sur 100 douleurs oro-faciales non odontogènes, liées aux TTM ou à une autre affection de la région faciale ou céphalique, dans 44% des cas un traitement endodontique ou une extraction ont été effectués (20). Cela nous montre l’importance de la nécessité d’une meilleure connaissance des diagnostics différentiels.
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