L’usure des tissus dentaires est devenue une préoccupation de premier plan dans le traitement de nos patients. Cette perte de substance multifactorielle s’explique entre autres par le stress de vies actives, les habitudes alimentaires de plus en plus acides, l’allongement de la vie (1,3). Notre arsenal thérapeutique s’est considérablement enrichi ces dernières années avec la maîtrise du collage et l’apparition de biomatériaux – colle et matériaux de restauration – de plus en plus adaptés (4). Surtout, le souci prédominant de conservation des tissus dentaires bouleverse notre pratique.
Le traitement des patients partiellement édentés et présentant des usures dentaires importantes est moins souvent évoqué que les usures sévères généralisées chez les patients totalement dentés. Leur traitement diffère dans la planification des étapes de réalisation des prothèses dento-portées (ou implanto-portées) et des prothèses amovibles.
Dans cet article, nous présentons le traitement d’une patiente par une prothèse amovible partielle dans une situation d’usure sévère. Le tableau clinique est fréquent, avec des édentements postérieurs et des pertes de substances amélaires et dentinaires importantes au niveau des dents antérieures.
Synthèse clinique
Madame D., âgée de 84 ans, en bonne santé générale, se présente pour une réhabilitation esthétique dans un contexte d’usure sévère.
Un diagnostic de parodontite généralisée superficielle est posé, sans maladie carieuse active. La patiente présente quelques restaurations anciennes, satisfaisantes. L’usure dentaire est particulièrement marquée au niveau des incisives et des zones cervicales. Au maxillaire, on note un édentement de type 1 modifié 2 fois et à la mandibule un édentement de type 1. Les courbes occlusales sont perturbées par l’égression des prémolaires et molaires, surtout dans le secteur 1, avec une perte d’espace prothétique associée (Fig. 1).
L’origine des usures est multifactorielle : bruxisme, érosion, abrasion aggravée par le déplacement progressif de la charge occlusale vers les dents antérieures au fur et à mesure de la perte des dents postérieures, en l’absence de compensation des édentements.
Les objectifs de traitement spécifiques chez cette patiente sont l’amélioration de l’esthétique et de la fonction avec restauration du calage postérieur et de la courbe occlusale, dans un grand souci d’économie tissulaire, et en limitant le nombre de séances cliniques du fait de la fatigue de la patiente.
Deux jeux de modèles sont montés sur articulateur pour enregistrer la situation initiale et préparer des cires diagnostiques (Fig. 2 et 3), avant de proposer à la patiente plusieurs propositions thérapeutiques (5).
Choix thérapeutique
Une augmentation de dimension verticale de 2 mm au niveau incisif permet de retrouver un espace prothétique satisfaisant, de rétablir la courbe occlusale et de créer l’espace nécessaire à la restauration des incisives.
La possibilité d’utiliser des implants étant écartée à moyen terme, la réalisation de prothèses partielles à châssis métallique est retenue pour la compensation des édentements et le rétablissement du calage postérieur.
Le traitement mandibulaire est classique avec la restauration des pertes de substance liées à l’usure au niveau antérieur par des composites directs et la réalisation d’une prothèse amovible partielle bilatérale postérieure en extension.
Pour le maxillaire, deux possibilités sont évoquées :
un traitement conventionnel, avec des couronnes sur les dents antérieures et une prothèse amovible partielle à châssis métallique, en passant par une phase transitoire (couronnes et prothèse amovible partielle provisoire) pour tester la nouvelle dimension verticale d’occlusion et situer les courbes occlusales ;
un traitement plus conservateur, sans préparation dentaire à l’exception des taquets occlusaux, impliquant des restaurations partielles sur les incisives (facettes palatines et composites vestibulaires), et la réalisation du châssis métallique. Le choix d’une restauration indirecte en palatin facilite les étapes de temporisation.
La deuxième solution est retenue en raison de la grande surface d’émail disponible pour le collage et du moindre coût tissulaire. La question de l’intérêt de prothèses de transition dans cette situation clinique est posée.
Planification du traitement
Dans les situations d’augmentation de dimension verticale d’occlusion, le patient doit retrouver un calage stable après chaque séance de soin. Toute une arcade doit être restaurée dans le même temps. Comment concilier cet impératif avec l’inévitable travail de laboratoire pour la réalisation des châssis ? Comment prendre l’empreinte de dents supports qui ne sont pas encore restaurées ?
Une analyse des pertes de substance par rapport aux volumes dentaires idéaux et aux améloplasties nécessaires à la sustentation, stabilisation et rétention des prothèses partielles est réalisée. Deux zones critiques sont identifiées : les faces palatines de trois incisives maxillaires et dans une moindre mesure la crête marginale mésiale de 45. En effet, ces dents servent d’appui à la future barre cingulo-coronaire et à un taquet occlusal.
Facettes palatines
Les facettes palatines seront réalisées par CFAO à partir des empreintes optiques du modèle et des cires diagnostiques (Fig. 4).
A partir des cires diagnostiques, des maquettes des facettes palatines en résine calcinable sont positionnées sur le modèle secondaire pour l’envoi au laboratoire et la fabrication du châssis (Fig. 5, 6 et 7). La présence de nombreux autres appuis dentaires permet la validation des étapes d’essai du châssis, d’enregistrement de la relation maxillo-mandibulaire et d’essai des cires. D’autre part, les cires diagnostiques sont scannées et superposées au modèle virtuel des dents à restaurer pour la réalisation des facettes palatines. Les facettes sont validées seules (adaptation des intrados) puis avec le châssis (adaptation des extrados) (Fig. 8).
Barrette occlusale
La perte de substance sur 45 est peu importante et ne nécessite pas la réalisation d’une restauration partielle par technique indirecte. Cependant, cette dent borde l’édentement, elle est porteuse d’un taquet occlusal stratégique dans la définition de la dimension verticale d’occlusion. La restauration composite est réalisée en deux temps : la partie mésiale accueillant le futur taquet est montée le jour de l’empreinte secondaire pour le châssis et ne sera pas déposée en inter séance car il n’y a pas de contact antagoniste. La partie distale sera reprise le jour de la pose des prothèses. Pour régler la restauration composite mésiale à la dimension verticale choisie, une barrette de résine s’appuyant au niveau des dents antérieures est réalisée sur articulateur (Fig. 9 et 10). Elle est ensuite placée en bouche pour la réalisation du composite direct.
Après cette étape préparatoire, l’empreinte secondaire est réalisée classiquement. La barrette occlusale est utilisée comme contrôle lors de l’enregistrement de la relation maxillo-mandibulaire.
Séance de pose et suivi
Séance longue ! Les facettes palatines sont temporairement fixées en bouche avec un film de glycérine pendant le contrôle et l’équilibration des prothèses amovibles. Elles sont ensuite collées, avant la réalisation des composites vestibulaires maxillaires.
Les restaurations composites mandibulaires sont réalisées lors du rendez-vous suivant.
L’intégration esthétique des restaurations est validée lors des séances d’équilibration (Fig. 11).
La réalisation de facettes vestibulaires en céramique sur 11 et 12 est proposée à la patiente.
L’intérêt d’une gouttière occlusale est discutable en présence de prothèses amovibles partielles qui calent l’occlusion et protègent les dents antérieures. Cependant, un mois suivant la pose des prothèses, une dent en céramique du châssis maxillaire se fracture ; une gouttière est donc réalisée. Aucune autre fracture n’est survenue après 1 an.
Conclusion
Les patients présentant des édentements partiels dans les secteurs postérieurs consultent tard lorsqu’ils ne sont pas gênés par la perte d’efficacité masticatoire. Le motif de consultation est souvent lié à une demande de réhabilitation esthétique dans les cas d’usure sévère. Cette réhabilitation ne peut passer que par le rétablissement d’un calage postérieur et souvent l’augmentation de la dimension verticale quand l’usure dentaire est compensée par une égression dento-alvéolaire.
Remerciements au Dr Lucien Dupagne pour la réalisation des facettes palatines.
Bibliographie
1. Yang J, Cai D, Wang F, He D, Ma L, Jin Y, et al. Non-carious cervical lesions (NCCLs) in a random sampling community population and the association of NCCLs with occlusive wear. J Oral Rehabil. 2016 Dec;43(12):960–6.
2. Wetselaar P, Vermaire JH, Visscher CM, Lobbezoo F, Schuller AA. The Prevalence of Tooth Wear in the Dutch Adult Population. Caries Res. 2016;50(6):543–50.
3. Lee A, He LH, Lyons K, Swain MV. Tooth wear and wear investigations in dentistry. J Oral Rehabil. 2012 Mar;39(3):217–25.
4. Marniquet S, Fron Chabouis H. Matériaux actuels pour les restaurations partielles. Le fil dentaire. 2015 Jan;
5. Muts E-J, van Pelt H, Edelhoff D, Krejci I, Cune M. Tooth wear: a systematic review of treatment options. J Prosthet Dent. 2014 Oct;112(4):752–9.