Instrumentation et mise en forme canalaire

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Instrumentation & Mise en forme canalair
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Introduction

 

La mise en forme canalaire fait partie intégrante de la triade de Schilder posée dès les années soixante-dix : mise en forme, désinfection, irrigation [1]. Elle est aujourd’hui souvent associée au nettoyage lors de la désinfection chimio-mécanique (cleaning and shaping) 

 

Principes de mise en forme [2][3][4]

 

La préparation, ou mise en forme, idéale peut être considérée comme un tunnel conique continu et régulier, le plus étroit dans sa partie apicale et évasé à son entrée.

Les objectifs sont l’élimination des tissus durs et mous infectés ; de faciliter la distribution et l’efficacité de l'irrigant jusqu’à la zone apicale ; de permettre une obturation tridimensionnelle tout en conservant la résistance mécanique de la racine. Pour ce faire, une grande variété d’outils est à notre disposition. Ils sont en métal unique ou en alliage de métaux, à mouvement manuel ou mécanique. La technique la plus communément conseillée et utilisée est le crown-down, ou la préparation du canal en commençant par la partie la plus coronaire du canal, jusqu’à la plus apicale [5].

Tout au long de la mise en forme, il conviendra d’irriguer fréquemment pour éliminer les débris. Il sera aussi nécessaire de préserver la perméabilité apicale avec l’utilisation de limes manuelles de faible diamètre, typiquement K10 qui permettent une mise en suspension des débris afin d’éviter la création d’un bouchon apical [1].

 

L’instrumentation

 

Les instruments de mise en forme sont aujourd’hui en Nickel-Titane, appelé Niti. Cet alliage a des caractéristiques différentes selon sa température, grâce à un réarrangement atomique. A température ambiante, il a la capacité de se déformer et à garder cette déformation sans qu’elle n’altère sa structure. C’est la mémoire de forme, qui permet par exemple de précourber la lime avant l’introduction dans le canal. A haute température l’alliage est dit « super-élastique », il peut subir une déformation et revenir à sa forme originelle, également sans altération structurelle. Le traitement thermique permet d’allier, dans une certaine mesure, ces deux états et leurs caractéristiques lors d’une utilisation quotidienne. Les propriétés mécaniques sont alors améliorées (résistance à la fatigue cyclique, à la fracture, flexibilité augmentée)[6].

Les limes sont définies par leurs conicités, leurs diamètres et leurs longueurs : c’est leur anatomie. Elles peuvent aussi présenter des sections, formes de pointes, angles d’hélices ou pas d’hélices différents, nous n’aborderons pas ces détails ici. Historiquement, les procédures endodontiques (en particulier le nettoyage et l’obturation) exigeaient une mise en forme à 6%, voire plus.  Les technologies utilisées désormais peuvent être aussi efficaces que nous le voulons avec des canaux moins larges. Les conicités ont donc tendance à se réduire, en accord avec les concepts de dentisterie minimalement invasive, sans diminution de la qualité de nos traitements (Fig. 1)[7].

Les limes peuvent être actives par différents mouvements. Le mouvement de rotation continue fut le premier mouvement utilisé d’abord manuellement puis mécaniquement. Il consiste à une simple rotation et est caractérisée par une vitesse de rotation (en tours par minute, ou rpm) et un torque (en Newton.cm). Il peut être contrôlé par les contre-angles à moteurs, conçus pour délivrer une couple et une vitesse constante, et arrêter la rotation quand la force demandée pour la rotation dépasse le torque limite. La réciprocité se caractérise par une mouvement horaire-antihoraire d’amplitude variable. Les angles de rotations sont prédéfinis. L’angle le plus grand engage la lime dans le canal et coupe la dentine canalaire, tandis que l’angle inverse, plus petit, désengage la lime. Il a été montré que ce mouvement réduit les risques de fracture par torsion, mais peut augmenter la production de débris non évacués du canal. La mise en forme est réputée plus rapide, néanmoins l’irrigation doit être aussi fréquente que pour la rotation continue afin d’obtenir un canal aussi propre que possible[8][9][10].

 

Technique de mise en forme

 

Quel que soit l’instrumentation choisie, la technique de mise en forme suit le même schéma. Chaque portion du canal est travaillée avec la technique “crown-down” selon la séquence suivante : exploration, élargissement et mise en forme [11].

L’exploration se fait avec des limes manuelles de petit diamètre, l’élargissement avec des limes manuelles de plus gros diamètre, ou des limes mécanisées, et la mise en forme avec les instruments en alliage Nickel-Titane. 

 

La séquence pluri-instrumentale

 

Exploration

L’exploration consiste à évaluer les difficultés qui pourraient être rencontrées lors de la mise en forme, à l’aide d’une lime K08 ou K10, dans une cavité d’accès et des canaux remplis d’hypochlorite. Il arrive que la lime K10 arrive librement à la longueur de travail. L’utilisation d’un localisateur d’apex est la méthode qui permet la meilleure précision [12]. Il est alors possible de passer à la lime de conicité supérieur ou à une lime mécanisée pour l’élargissement du canal. Si la lime n’atteint pas à la longueur de travail, il convient de vérifier l’axe de notre lime, la bonne élimination des débris intracanalaire et d’élargir le tiers coronaire pour diminuer les contraintes mécaniques.

Elargissement

Après l’exploration, l’élargissement peut se faire à l’aide d’instruments NiTi (appelés openers), en rotation en en réciprocité (Fig. 2). Selon la séquence utilisée, un instrument d’ouverture des premiers millimètres coronaire peut être utilisé. Le premier instrument de la séquence est ensuite introduit dans le canal sans forcer, puis retiré par un mouvement de remontée en appui sur la paroi externe du canal. Le canal doit être fréquemment irrigué (entre chaque passage de limes) et une lime de cathétérisme passée afin de faire remonter les débris. A ce stade, l’accès aux canaux doit se faire facilement. L’objectif est de faciliter la détermination de la longueur de travail, l’évacuation des débris et la mise en forme du canal en entier [13].

 

Mise en forme

A ce stade, une lime de cathétérisme K10 est utilisée afin d’explorer le tiers apical. Cette étape permet de déterminer ou confirmer la longueur de travail, ainsi que d’avoir une idée plus précise de l’anatomie de cette portion. En effet l’anatomie va s’imprimer sur la lime. Si la lime parvient jusqu’à la longueur de travail, le canal est pré-élargi avec des limes manuelles de plus grand diamètre ou des limes mécanisée. Un blocage de la lime K10 avant la longueur de travail peut être dû à une courbure apicale importante, il faudra alors précourber la pointe de la lime pour essayer d’atteindre l’apex, toujours avec une irrigation abondante et fréquente. Si la courbure est trop aiguë, l’utilisation de lime de diamètre importante est contre-indiquée [14].

Une fois la longueur de travail atteinte, le mise en forme peut être réalisée par des limes de diamètre apical croissant (Fig. 5). Le praticien va alors amener au niveau du tiers apical les instruments suivants de la séquence, jusqu’aux limes de finition. Le diamètre apical sera jaugé en insérant une lime manuelle au diamètre correspondant à la dernière lime de finition utilisée. Si elle bloque à la longueur de travail, c’est que le diamètre apical correspond bien à celui attendu par la séquence. Cependant si la lime dépasse la longueur de travail, c’est que le diamètre initial de l’apex est supérieur au diamètre du dernier instrument utilisé et il conviendra alors d’utiliser une lime de plus grand diamètre [14].

 

La séquence mono-instrumentale

 

Lors d’une mise en forme avec une lime unique tels que le Reciproc®, le XP-Shaper®, ou encore l’Excalibur® (Fig. 3 et 4), la mise en forme est simplifiée. En effet, après préparation de la cavité d’accès, une lime K10 est insérée dans les canaux afin de procéder au pré élargissement. Des limes manuelles de diamètre supérieur (K15 et K20) ou des openers mécanisés peuvent ainsi être utilisé. Ensuite, l’instrument est inséré en progressant sans pression vers l’apex. Au moindre blocage, l’instrument est retiré et nettoyé. Le canal est irrigué et les limes de perméabilités sont insérées un peu plus loin dans le canal.  Cette progression pas à pas, jusqu’à la longueur de travail, évitera la création de butées, fausses routes ou de blocages du canal. L’irrigation est cruciale, entre chaque passage de limes pour garantir un canal aussi propre que possible [10].


 

Les problèmes liés à la mise en forme (fractures, butées, perforations, élargissement apical) [15].

 

L’utilisation des instruments de mise en forme peut engendrer des problèmes qui sont aujourd’hui bien identifiés et documentés.

Les fractures instrumentales peuvent se produire pour deux raisons principales. La première est la fracture par torsion [16]. Elle peut être observée quand la pointe d’un instrument est bloquée sur une portion canalaire plus petite que son diamètre. La capacité de coupe n’est plus assez efficace pour que la lime progresse, et si le moteur continue d’appliquer son mouvement de rotation sur la partie supérieure de la lime, l’instrument se fracture. Elle peut aussi se présenter lorsque l’instrument est gainé sur une large portion du canal, souvent encombré de débris. Le rôle du nettoyage du canal et de la lime elle-même est prépondérant, autant que la nécessité d’élargir le canal préalablement au travail des limes de mise en forme. Le second type de fracture est la fatigue cyclique. Elle est observée dans les courbures canalaires, ou lors d’utilisation successives, sans déformation préalable. Lors de la rotation, au niveau du point de flexion maximale de la lime, une alternance de tension et de compression s’applique. Le stress s’accumule sur ce point précis, qui sera à l’origine de la fracture. Les alliages traités thermiquement, les conicités faibles et un élargissement préalable diminuent les risques de fracture [17].

Les incidents peuvent aussi toucher le canal en lui-même. Si l’exploration et la mise en forme sont mal exécutées, une butée peut apparaître sur une portion du canal et compromettre la suite de la mise en forme. Elle est observée sur les faces externes des courbures et aboutit, si elle est poursuivie, par une perforation. Un déchirement apical peut survenir lorsque la lime se redresse vers l'extérieur de la courbure lorsqu’elle travaille à l’apex ou au-delà. Dans cette situation la préservation de l'intégrité de l’apex n’est pas respectée, et son obturation sera aléatoire [15].

 

Conclusion

 

Les termes les plus retrouvés dans les publications de la décennie 2010-2019 sont « review » et « instrument », ce qui fait de l’instrumentation et de la mise en forme les sujets les plus retrouvés dans les publications [18]. La recherche a, en effet, progressé de manière spectaculaire ces dernières années, et permet aujourd’hui l’utilisation d’instruments sûrs, fiables et accessibles. A voir si, à l’avenir, la mise en forme aura toujours une place centrale dans le traitement endodontique.

 

A retenir

Le meilleur instrument est celui que le praticien maîtrise le mieux

Le risque de complications diminue si les étapes de pré-élargissement sont effectuées rigoureusement. 

La qualité de la mise en forme est déterminante pour une désinfection efficace et une obturation étanche et dense.

 

 

Sources:

Schilder  H.  Cleaning  and  shaping  the  root  canal.  Dent  Clin  North  Am. 1974;18:269–296

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Cohen’s Pathway to the Pulp. Kenneth M. Hargreaves & Louis H. Berman, Elsevier, Eleventh Edition, 2016

Endodontie. Pierre Machtou, Wilhem-Joseph Pertot & Stéphane Simon, JPIO, Seconde Edition, 2021

Morgan LF, Montgomery S. An evaluation of the crown-down pressureless technique. J Endod. 1984 Oct;10(10):491-8

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