Introduction
L’obturation tridimensionnelle de l’espace canalaire est essentielle pour le succès au long terme du traitement endodontique (1). C’est en cela qu’elle représente le troisième pilier de la triade endodontique de Schilder avec la mise en forme et la désinfection. L’objectif de l’obturation est de prévenir la percolation apicale en scellant le système canalaire dans sa « totalité ». Cependant elle est souvent perçue comme une étape fastidieuse et difficile à mettre en œuvre.
Le développement de nouveaux ciments dits biocéramiques, ou plus précisément ciments à base de silicates de calcium, permet de repenser cette étape mais aussi de la simplifier.
Les principes actuels de l’obturation
La gutta percha, matériau d’obturation le plus répandu, ne peut prétendre, à elle seule, à l’obturation tridimensionnelle de l’espace canalaire (2). Ce matériau d’obturation doit donc être associé à un ciment de scellement canalaire qui permet de faire le lien entre les parois radiculaires et la gutta percha, de remplir les vides au sein de la masse de la gutta percha et d’obturer l’anatomie secondaire de l’espace canalaire (isthme, canaux latéraux et accessoires).
Grossman définit dès les années 70 les propriétés idéales du ciment canalaire (3)(Tableau 1) dont on distingue 5 familles :
Malgré l’évolution de ce cahier des charges et des propriétés des ciments, à ce jour aucun ne satisfait tous ces critères.
Afin d’obturer de façon tridimensionnelle le réseau canalaire l’association d’un matériau de remplissage, tel que la gutta percha, et d’un matériau de scellement, le ciment canalaire, est fondamental. Pour cela, différentes techniques d’obturation ont été développées comme la condensation latérale à froid, la condensation verticale à chaud, les systèmes à tuteur, la compaction verticale à chaud. Cependant, subséquemment de la technique d’obturation choisie, les ciments canalaires présentent deux inconvénients considérables ; leur rétraction de prise et leur dégradation par les fluides péri apicaux (4)(5) qui mènent à la percolation du joint. On va donc chercher à avoir un minimum de ciment et un maximum de gutta.
Afin de pallier aux vides faisant suite à l’obturation à froid (la condensation latérale à froid, la technique monocône) différentes techniques à base de gutta chaude ont été développées. (Fig.1)
Les techniques de gutta chaude repose sur les propriétés de déformation de la gutta permettant à ce matériau d’épouser le plus fidèlement possible l’espace intracalanaire, et donc de prendre plus de place menant à la diminution de la quantité de ciment nécessaire.
La première technique de gutta chaude fut décrite par Schilder et repose sur l’alternance de phase de chauffe et compactage du maitre cône menant à l’obturation du tiers apical, c’est la condensation verticale à chaud (Fig.2). Sa variante, la technique dite de Buchanan, permet de chauffer et compacter le maitre cône en direction apicale en un seul mouvement.
Une fois le tiers apical obturé, suite à la phase de descente, s’en suit la phase de remontée qui consiste en l’obturation du reste du canal via un système de gutta injectable ou par thermocompactage.
Il est important de mentionner que ces techniques nécessitent une préparation canalaire importante, au détriment de la dentine radiculaire saine, afin d’emmener les différents fouloirs jusqu’au tiers apical.
Enfin, une technique à chaud dite « par tuteur » permet d’obturer le canal à l’aide d’un tuteur et de gutta percha préalablement chauffée dans un four adapté (Fig.3). Cette technique est peu utilisée car elle nécessite un équipement particulier plutôt onéreux et la présence du tuteur rend laborieux la préparation coronoradiculaire et la reprise de traitement endodontique.
La technique de condensation thermomécanique, bien que considérée comme une technique à froid, consiste à réchauffer et ramollir la gutta-percha tout en la propulsant en direction . apicale grâce à une lime spécifique montée sur contre angle, le thermocompacteur (Fig.4). Elle permet une obturation tridimensionnelle rapide mais un manque de maîtrise peut provoquer des dégâts importants.
Toutes ces techniques nécessitent une certaine courbe d’apprentissage, du matériel adapté et, pour la plupart, sont longues à mettre en œuvre.
La technique monocône qui repose sur la simple mise en place d’un ciment conventionnel dans l’espace canalaire et de l’insertion d’un cône de gutta ne fut plus recommandée pour l’obturation canalaire. De par la présence importante de ciment cette technique menait inexorablement à une perte importante de l’étanchéité (8).
L’introduction d’une nouvelle famille de ciment à base de silicate de calcium va conduire à revoir les concepts traditionnels de l’obturation canalaire et de remettre au gout du jour la technique monocône qui présente un avantage précieux : sa facilité de mise en œuvre.
La révolution biocéramique
L’introduction et la commercialisation du MTA (ProRoot MTA, Dentsply Sirona) dans les années 90 a permis, à la suite de recherche et de développement d’élargir le champ d’application de ces ciments biocéramiques notamment en endodontie.
C’est leur véritable capacité d’adhésion aux tissus dentaires (liaison covalente entre le ciment biocéramique et la dentine) qui font de ces matériaux des produits très intéressants (9). De plus, il a été démontré que cette étanchéité se bonifie dans le temps grâce aux échanges ioniques constant entre la dentine et le matériau (10).
Ils présentent aussi d’autres nombreux avantages dans le cadre de l’obturation canalaire tels que leur biocompatibilité voir leur bioactivité (11)(12), leur activité antibactérienne (grâce au relargage de Ca(OH)2 qui leur conférent un pH hautement basique comparable à l’hydroxyde de calcium), leur stabilité dans le temps et leur insolubilité (13). Ils présentent même une légère expansion de prise contrairement à tous les autres ciments traditionnels (14).
Les propriétés biologiques et physico-chimiques de ces ciments biocéramiques permettent de les considérer comme de réels matériaux d’obturation. C’est le ciment qui obture le canal tandis que le cône de gutta est là pour pousser le matériau en direction de l’apex et dans les anfractuosités du canal. Le cône de gutta se comporte comme une véritable pompe et permet de faire évoluer la technique monocône sous la forme de condensation hydraulique à froid.
Le concept de cette technique s’oppose aux techniques conventionnelles car l’on va chercher à avoir un maximum de ciment et un minimum de gutta et repose sur l’obtention d’une liaison chimique entre le matériau d’obturation, ici le ciment, et les parois canalaires (Fig.5).
Protocole dans le cadre de l’obturation canalaire
Les matériaux dit biocéramiques de première et seconde génération ne permettaient pas, sous leur forme, leur application dans le cadre de l’obturation (ProRoot MTA, Dentsply Sirona ; Biodentine, Septodont) et étaient réservés à la gestion des perforations radiculaires, aux techniques d’apexification et à l’obturation rétrograde.
Aujourd’hui différents ciments biocéramiques sont commercialisés en vue de l’obturation canalaire, tels que le TotalFill BC Sealer (FKG), l’AH Plus Biocéramique (Dentsply Sirona), qui se présentent sous forme de seringue où le matériau est prêt à être délivré dans le canal, et le Bioroot RCS (Septodont) qui se présente sous la forme d’une poudre et d’un liquide à mélanger (Fig. 6 à 8).
Comme pour toutes les autres techniques conventionnelles, un cône de gutta est adapté à la longueur de travail. Une radiographie « cône en place » est conseillée afin de confirmer cette bonne adaptation.
Valable pour toutes les techniques d’obturation, le canal ne doit pas présenter de suintement apical. Cependant une nuance doit être apportée quant au séchage du canal ; les ciments biocéramiques font leur réaction de prise par hydratation. Il sera donc nécessaire de ne pas assécher le canal et de garder une humidité résiduelle.
Il existe différentes façons de mettre en place ces matériaux d’obturation dans l’espace canalaire. Ils seront soit injectés dans le canal, technique la plus appropriée pour les ciments se présentant sous forme de seringue, soit enduits contre les parois via le cône de gutta chargé de ciment, technique adaptée aux ciments nécessitant un mélange préalable. L’utilisation du lentulo peut être aussi considérée soit comme la seule manière de déposer le matériau soit en le combinant aux deux premières techniques. Cependant toutes les précautions sont à prendre afin d’éviter une extrusion trop importante du matériau au-delà de l’apex et/ou la fracture du lentulo.
Une fois le ciment biocéramique en place le cône de gutta est lui aussi enduit de ciment puis inséré dans le canal jusqu’à la longueur de travail. Le cône de gutta est, par la suite, sectionné et compacté au niveau de l’orifice canalaire.
L’intégration de ces matériaux mène à une simplification de la procédure d’obturation sansfaire de compromis sur la qualité de cette dernière. La condensation hydraulique à froid (technique monocône associée à un ciment biocéramique) est particulièrement appréciée puisqu’elle permet de s’affranchir de la survenue d’évènements iatrogènes lors de l’obturation canalaire et s’adapte à toutes les situations cliniques.
Ces matériaux d’obturation permettent également la gestion des perforations radiculaires et l’obturation canalaire en un seul temps opératoires et permet aussi de procéder, immédiatement après l’obturation, à une restauration collée en méthode directe. Malgré les nombreux avantages de ces matériaux il est nécessaire de préciser que retrouver la perméabilité apicale en cas de retraitement n’est pas simple car à ce jour il n’existe pas de matériel ou de solvent permettant de passer à travers (15). Il est donc important d’associer ces ciments biocéramiques à un cône de gutta qui facilite le retraitement endodontique et la préparation radiculaire lorsqu’un ancrage est nécessaire.
Conclusion
La technique monocône associée à un ciment biocéramique facilite grandement l’étape de l’obturation canalaire tout en présentant un taux de succès supérieur à 90% (16).
Si d’autres études cliniques sont nécessaires pour confirmer ces premiers résultats, il ne fait aucun doute que cette technique associée à ces matériaux biocéramiques semble prometteuse.
Il est néanmoins important de garder en tête qu’aucune technique d’obturation canalaire, ni aucun matériau ne peut pallier aux défauts de mise en forme et de désinfection de l’espace canalaire.
Bibliographie