Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon
Jean-Paul Dubois • Éditions de L’Olivier
Deux hommes en colère…
Deux hommes dans la prison provinciale de Montréal. Paul Hansen, fils d’un pasteur danois et d’une exploitante de cinéma à Toulouse, purge une peine de 2 ans. Il se retrouve en cellule avec Patrick Horton, un Hells Angel, condamné pour meurtre. Tout les oppose. Horton, colosse, « cet homme et demi » fruste et tatoué veut casser en deux tous ceux qui ne lui reviennent pas, mais tombe dans les pommes comme une fillette lorsqu’on lui coupe les cheveux.
Hansen, fils d’un pasteur venu des terres froides du nord et d’une très belle femme insouciante et athée, a vécu une enfance toulousaine sans histoire entre les prêches du dimanche du père et la salle d’art et d’essais de sa mère. Adulte, il part pour Montréal, et après plusieurs petits boulots devient superintendant de L’Excelsior, une résidence où il entretien ascenseur, climatisation, piscine et jardin. Son dévouement est tel qu’il finit par réparer aussi les âmes âgées et rafistoler les affligés de l’immeuble. Il rencontre Winnona l’Algonquine, ils tombent immédiatement amoureux l’un de l’autre. Winnona pilote un petit Beaver qui suivant les saisons se pose sur la terre ferme, sur l’eau des lacs ou sur la neige canadienne. Ils s’évadent le week-end pour découvrir les sublimes paysages canadiens avec aux commandes du petit avion, Winnona que Paul admire pour son sens de l’orientation et sa parfaite maitrise de l’engin. Ils adoptent une petite chienne abandonnée, Nouk et vivent heureux dans la loge de gardien de L’Excelsior. Cette petite chienne m’a d’ailleurs rappelé le chien Tombouctou un des plus beau roman de Paul Hauster. (Précipitez-vous si vous ne l’avez déjà lu).
Grace à l’amour, Paul retrouve le bonheur de vivre après la mort prématurée de ses parents qui étaient séparés. La mère de Paul après quelques années de films d’art et d’essais avait décidé de se reconvertir dans le porno… logique pour une femme de pasteur !! La programmation de Gorge profonde, un classique du genre (pour les plus anciens), fut fatale au couple, les fidèles du dimanche n’appréciant que modérément les performances gutturales de l’héroïne américaine. Les profondeurs de l’âme ne passant assurément pas par celles de la gorge, le pasteur avait dû s’exiler au Canada !!
L’habile construction du roman met les deux captifs au centre du récit, les flash back remontent les aiguilles du temps pour tisser l’histoire de Paul Hansen jusqu’au drame. Dans leur cellule malgré la proximité et la perte d’intimité, les deux hommes se confient, se rapprochent. Jean Paul Dubois nous dépeint l’univers sordide de la prison mais grâce à l’humour, la subtilité de son écriture et sa maitrise de la langue, le plus glauque devient risible. Je vous avais déjà vanté les mérites de l’un des meilleurs écrivains français à l’occasion de la sortie de La Succession, roman déjà sélectionné pour le Goncourt 2016.Certains de ses thèmes récurrents sont toujours omniprésents : les névroses, la mort, changer de vie pour continuer à survivre et l’injustice, thème principalement traité ici. Que du réjouissant pour un ashkénaze en perte de repère !!
J.P. Dubois méritait indiscutablement ce prix Goncourt pour la virtuosité de son écriture. Ce roman, bouleversant de fraternité et d’amour, prend des allures de conte philosophique car la vie de L’Excelsior est une parabole sur la vie de notre société actuelle. A presque 70 ans, selon l’avis du président du jury Bernard Pivot, il était indispensable qu’il soit couronné.
Certes, ainsi que l’a fort justement écrit (et chanté) un autre auteur que nous apprécions tous, « noir c’est noir, il n’y a plus d’espoir », ce roman n’affectera nullement vos zygomatiques et si vous êtes plus ou moins dépressif, passez votre chemin sur l’étagère de la librairie.
Jean Paul Dubois pourrait ainsi être l’égal de Pierre Soulage dans la littérature !!