Négar Djavari est un(e) auteur(e), (pour plier exceptionnellement devant la dictature de l’écriture inclusive), iranienne-française dont la famille a fui de véritables dictatures, en l’occurrence celle du Shah et celle des ayatollahs. Elle a publié avec succès en 2016 Désorientale et nous propose aujourd’hui un roman digne d’intérêt, à mi-chemin entre le polar et l’essai sociologique.
Benjamin Grossmann, (avec 2 n, ne pas confondre….) est l’archétype du jeune cadre dynamique à qui rien ne peut arriver, dirigeant de Becurrent, une plateforme américaine, sosie de Netflix, qui diffuse films et séries à des millions d’abonnés. Un soir le plus banalement du monde, il se fait subtiliser son téléphone, par un gamin en survêt et capuche, dans un bar-tabac de Belleville, le quartier de son enfance, en venant voir sa mère. Une poursuite s’engage jusqu’au bord du canal Saint-Martin, suivie d’une altercation sans violence, Benjamin ne ferait pas le poids.
Tout pourrait s’arrêter là, mais, le lendemain, une vidéo prise à la dérobée par une lycéenne fait le tour des réseaux sociaux. Sur le quai, les images du corps sans vie de l’adolescent, bousculé par une policière en intervention, sont l’élément déclencheur d’une spirale de violences dont aucun des protagonistes ne sortira indemne. Benjamin Grossmann, la jeune flic à la discipline exemplaire, la voleuse d’images solitaire, les jeunes des cités voisines, les flics, les mères de famille, tous seront entrainés et détruits selon la théorie des dominos, captifs de l’Arène des quartiers Est.
Ce quartier de Belleville m’est très cher et riche de nombreux souvenirs d’enfance, encore lumineux dans ma mémoire. C’était celui de mes grands parents paternels, immortalisé magnifiquement par les photographies de Robert Doisneau et Willy Ronis. Mes grands-parents étaient voisins rue Vilin, de l’immense écrivain Georges Perec (La vie mode d’emploi) qui y vécu son enfance, je l’ai découvert avec l’un de ses ouvrages W ou le souvenir. Cette petite rue Vilin, qui s’envole par un escalier mythique, théâtre de nombreux films, vers les hauts de Belleville, et vient s’éteindre près de la synagogue de mon grand-père, rue Julien Lacroix, d’ailleurs évoquée dans ce roman de N. Djavari. Ce quartier de Belleville était, dans les années 50, un des plus pittoresques et cosmopolites de Paris. La boucherie hallal côtoyait l’épicerie casher et le restaurant vietnamien. Et c’était l’un des plus paisibles. Daniel Pennac dans sa superbe saga (Au bonheur des ogres, la petite marchande de proses et la fée carabine) y a également fait vivre sa famille Malaussène. Malheureusement aujourd’hui, et c’est le thème de ce roman, le communautarisme domine, les bandes rivales s’affrontent et la violence est quotidienne.
Negar Djavari, à travers cette fresque sociale, porte un regard lucide sur la déliquescence de notre société, les problèmes des migrants, l’impact des réseaux sociaux sur les affrontements entre jeunes et policiers. La trame du roman est parfaitement construite pour nous faire vivre ce banal incident, qui dégénère inexorablement jusqu’à l’embrasement du quartier. L’auteure s’égare parfois dans des descriptions de lieux ou des détails qui nuisent un peu au rythme de l’ouvrage. Par exemple, si l’un des héros pose son manteau sur un fauteuil, nous avons droit au designer, au fabriquant et au distributeur !
C’est un bon roman qui illustre malheureusement pourquoi Belleville porte dorénavant très mal son nom.