La Mort Blanche…….
Quand un ancien flic et l’une des meilleures plumes du polar arme son stylo pour viser l’histoire, l’envahissement de la Finlande par Staline en 39, il fait mouche et nous livre un roman historique haletant comme un policier. La Finlande, pendant des siècles fût une partie de la Suède, elle est passée sous souveraineté de Russie pendant un siècle encore pour devenir indépendante en 1917. A peine 22 ans après cette indépendance, l’ours soviétique, avec ses 170 millions d’âmes et ses 3000 chars, décide de dévorer la blanche et neutre colombe finlandaise, peuplée en 1939 de moins de 4 millions d’habitants n’ayant pour se défendre que 30 chars ! Des colonnes de chars contre des vieux fusils, un million de soldats rouges contre des ouvriers et des paysans en combinaisons blanches. L’histoire appellera ce conflit la Guerre d’Hiver mais l’histoire était-elle écrite ?
Olivier Norek nous donne une clé essentielle : Les conflits passés racontent qu’il faut cinq soldats entraînés pour affronter un homme seul qui se bat pour sa terre, sa patrie et les siens. L’histoire résonne et bégaye curieusement avec le conflit actuel russo-ukrainien où la disproportion des forces en présence est aussi importante, même si l’Ukraine bénéficie d’une aide considérable européenne et américaine en matériels. Dans cette guerre russo-finlandaise de 1939, la notion de patrie, tant décriée chez nous comme une valeur d’extrême-droite, prenait à cette époque tout son sens. Même les femmes prirent l’uniforme, comme infirmières (les Lottas), ou pour assurer la logistique des bases arrière, mais aussi les armes pour défendre leur terre.
Nous sommes en hiver, la température descend jusqu’à -40° ou -50°, un homme immobile pendant quelques minutes peut très vite mourir de froid. Pourtant cet environnement hostile, auquel les finlandais sont habitués, leur a forgé un moral d’acier et dissimulés dans d’immenses forêts, dans cet univers blanc, camouflés dans ces combinaisons blanches, ils disparaissent dans ces paysages monochromes. Il n’y a qu’une seule route, les chars russes progressent lentement, mais les finlandais tapis dans l’ombre blanche et derrière les arbres vont les prendre à revers et leur infliger de lourdes pertes avec leurs bombes artisanales qu’ils jettent dans le cockpit des chars, les fameux cocktails Molotov*. Ils disparaissent et le scénario va se répéter pendant des jours et des jours jusqu’à ce que les russes comprennent qu’il faut tracer des routes à travers la forêt et ne plus rester sur l’unique tracé finlandais. Personne n’ose avouer à Staline l’ampleur des pertes, lui qui pensait anéantir ce peuple en quelques jours sous les 20 millions d’obus largués au cœur de cette terre. Tu as sûrement entendu parler des enfers….. L’Union Soviétique a envahi un voisin si infinitésimalement petit qu’il ne pouvait lui faire aucun mal. Une petite nation qui n’aspirait à rien d’autre que de vivre en paix en tant que démocratie.
La guerre va durer 105 jours. Les généraux russes et les commissaires politiques se succèdent, incapables de diriger une armée hétéroclite, certains bataillons ne parlent pas la même langue. Un autre obstacle va se dresser sur la route des russes, Simo Häyhä, un jeune-homme, garçon de ferme qui va s’avérer être le plus grand sniper de tous les temps, pouvant toucher une cible sans la voir, sans lunette de précision, à 490 mètres. Une légende, « La Mort blanche » surnommé ainsi par les Russes. Pour Simo le pire n’est pas la mort, mais de voir mourir les siens, ses amis qui tombent autour de lui.
Olivier Norek nous traduit remarquablement les sentiments de ce jeune Simo au combat sur le front : La vengeance ne répare rien, ne ressuscite personne, elle remplit le vide de l’absence, elle donne un but pour ne pas sombrer, elle retient la tristesse et la colère, et une fois assouvie, elle libère tout en seul flot dévastateur, sans que rien n’ait vraiment changé. Ainsi, la Mort Blanche n’était ni repue ni apaisée, et le feu de sa rage en rien éteint.
Le bilan de cette guerre désastreuse fût énorme pour les russes, près de 400 000 blessés, tués ou disparus, dont il ne fallait surtout pas faire mention et jusque dans les manuels scolaires. Les finlandais qui devaient pleurer 70000 de leurs paysans-soldats, avaient fait néanmoins 6000 prisonniers. Quand ils furent restitués à la Russie, la plupart furent exécutés dès leur retour, pour les autres ce fût l’exil au goulag, leurs mémoires bâillonnées au fond d’une cellule. Le prix de la honte pour cette victoire à la Pyrrhus qui devait sombrer dans les profondeurs de l’oubli.
Le cynisme et la cruauté de Staline pouvaient rivaliser avec celle d’Hitler. Quand l’armistice fût déclaré le 13 mars 1940, il devenait effectif deux jours plus tard, mais dès le lendemain de la signature, l’armée rouge déversa sur la Finlande toute sa réserve de deux mois de bombes !
C’est grand, c’est beau le communisme ! N’oublions pas que récemment, le premier secrétaire du parti communiste, le sympathique Fabien Roussel, amateur de steaks et de barbecue, dans une école et devant de jeunes enfants, hésitait à classer Staline du côté des amis ou des ennemis…
Olivier Norek, avec son talent d’historien et de conteur, nous offre un passionnant ouvrage historique sur cet épisode peu connu de la dernière guerre mondiale, c’est haletant comme un polar, remarquablement écrit et documenté, la bibliographie est impressionnante. L’ex flic, déjà excellent spécialiste du polar, entre dans la cour des grands écrivains.
A ce propos, Il me revient une citation magnifique du grand écrivain américain, Philippe Roth (J’ai épousé un communiste) : Quand on généralise la souffrance, on a le communisme, quand on l’individualise, on a la littérature.
*Molotov, chef du gouvernement russe, quand il a bombardé Helsinki, au premier jour de la guerre a rassuré l’opinion internationale en promettant qu’il ne s’agissait pas d’obus mais de paniers repas envoyés à la population affamée. Alors s’il offre la nourriture, ce serait impoli de ne pas venir avec une bonne bouteille ou un petit cocktail ont riposté les finlandais !!