Gestion des lésions d’usure associées à une récession gingivale

Conférenciers : Perrine Balland, Lucile Dahan

Responsable scientifique de séance : Bernard Schweitz

ADF 2023 morceaux choisis par la Team AO News - AO News #64 - Février 2024


 Lors de cette conférence, nous avons donc suivi la conférence de Perrine Balland, parodontiste exclusive à Metz et Luxembourg, et de Lucile Dahan, omnipraticienne à Paris.

 

 

Perrine Balland a commencé en nous expliquant l’étiologie des récessions gingivales. En effet, pour parler de récession gingivale, c’est qu’il y a forcément une déhiscence osseuse sous-jacente . Nous pouvons avoir une déhiscence osseuse sans recessions mais pas de récession sans déhiscence . Une déhiscence peut être causée par une malposition dentaire, des mouvements orthodontiques, une parodontopathie, un traumatisme occlusal etc… dès lors une rétraction de la gencive marginale peut subvenir, induite par l’âge (le pourcentage des récessions gingivales augments avec l’âge du patient), la présence de freins et brides en traction, la finesse du phénotype gingival, oui encore par habitudes iatrogène/traumatique comme le brossage trop agressif.

On classe les récessions selon la classification de Cairo. Il est à noter qu'on peut obtenir 100% de recouvrement pour les récessions de type RT1 alors que ce n’est pas le cas pour les récessions RT2 et RT3.

Cairo F, Nieri M, Cincinelli S, Mervelt J, Pagliaro U. The interproximal clinical attachment level to classify gingival recessions and predict root coverage outcomes: an explorative and reliability study. J Clin Periodontol. juill 2011;38(7):6616.

P. Balland insiste sur le fait que l’analyse clinique de la récession comme sur les diapositives ci-dessous est primordiale avant la mise en place d’une chirurgie de recouvrement de récession gingivale. Deux questions à se poser : quel est le type de récession (RT1 / RT2/RT3) ? Y a t’il ou pas une lésion cervicale non carieuse associée ?

De ces deux réponses va dépendre le potentiel de recouvrement .


 

Ensuite, le choix de la technique de greffe se fait en rapport avec les éléments suivants :

  • l’apport vasculaire du site,
  • la quantité de gencive attachée kératinisée (GAK),
  • le nombre de récessions,
  • la qualité des papilles,
  • la position 3D de la dent,
  • le bombé du profil d’émergence sont autant de facteurs qui déterminent l’option de traitement.

Afin de réaliser des greffes gingivales, avec le meilleur rendu esthétique possible, le choix du site donneur est primordial. Le palais est un vaste site de prélèvement dont les propriétés histologiques sont très différentes en fonction de la localisation du prélèvement.

Il est important de prévisualiser en pré-opératoire la ligne maximale de recouvrement (MRC) qui correspond à la jonction émail cément estimée. Cette JEC estimée est la tangente reliant les deux derniers points mésiaux et distaux où la jonction émail-cément réelle est visible. La jonction email cément estimée peut être identique à la JEC originelle en cas de RT1 , mais différente de celle-ci dans les cas de RT2 /RT3 , ou lorsqu’il y a malposition dentaire.


Voici désormais la classification relative aux LCNC: lésions cervicales non carieuses. Celle-ci préconise de réaliser un collage au composite sur les lésions cervicales d’usure non carieuses (LCNC) jusqu’à la JEC estimée avant de greffer de la gencive, pour coller dans de bonnes conditions d’isolation. L. Dahan rentrera dans les détails de ce protocole de collage en seconde partie.

 

Perrine Balland a insisté sur la nécessité de « guider » la cicatrisation gingivale selon le projet esthétique /prothétique finale que ce soit par des collages ou des restaurations provisoires qui simulent le rendu final souhaité. Il est possible de combiner collage composite, coronoplastie (afin de limiter le traumatisme occlusal en cas d’égression), et greffes parodontales pour obtenir un résultat fonctionnel et esthétique optimal.

 

Les objectifs de traitement combiné sont :

  • recouvrement complet (selon la ligne maximale de recouvrement),
  • minimum 2mm de tissus kératinisés,
  • tissus sains en présence,
  • résultat pérenne et esthétique au niveau du collage.

Pour y parvenir, les moyens employés sont les suivants :

  • maîtrise des différentes techniques de greffes et connaissance de l’anatomie des greffons,
  • collage rigoureux,
  • fermeture primaire optimale,
  • forte stabilité du greffon,
  • épaisseur suffisante pour obtenir une stabilité à long terme mais pas excessive pour avoir un rendu esthétique optimal,
  • traumatisme occlusal minimal.

La conférencière a ensuite axé sa conférence sur la présentation de nombreux cas cliniques détaillés.


 

Autre exemple de traitement combiné : collages cervicaux associés à une technique bilaminaire, résultat post opératoire 3 ans .

 

En résumé, le take home message est que l’approche combinée chirurgicale et restauratrice est décrite comme fiable et pérenne dans la littérature, plus que l’approche chirurgicale seule en cas de lésion cervicale non carieuse, et que la dentisterie restauratrice peut donner beaucoup d’options à nos patients. Cette conclusion a permis de réaliser la transition avec l’intervention de Lucille Dahan sur le traitement restauratif de ces lésions cervicales non carieuses.

D’isolation compliquée, cette zone où la dentine est hyper minéralisée en surface représente un défi technique en termes de protocole de collage et un défi esthétique extrêmement fréquent dans notre pratique quotidienne.


 

Selon une étude de 2004, l’adhérence à la dentine sclérotique est diminuée de 20 à 45% par rapport à l’adhérence sur une dentine saine. (Tay FR, Pashley DH. Resin bonding to cervical sclerotic dentin: a review. J Dent. mars 2004;32(3):17396.) Or depuis, il y a eu beaucoup de progrès dans le domaine des biomatériaux adhésifs.

 

Concernant l’isolation, certes la digue évite la contamination salivaire et sanguine ainsi que favorise l’ergonomie mais peut provoquer un saignement gingival contaminant le collage et la pose du clamp est traumatique sur une gencive déjà affaiblie. La pose de digue pour les lésions cervicales est donc réservée aux biotypes gingivaux épais avec une esthétique peu concernée, ce qui est extrêmement rare.

 

L. Dahan a listé le matériel nécessaire pour traitement des LCNC par collage composite :

  • Écarteur de bouche type OptraGate (Ivoclar)
  • Téflon roulé en fil et compacté dans le sulcus
  • Digue liquide en lingual qui revient en occlusal pour éviter que de la salive ne fuse dans les embrasures
  • Spatule de bouche (type Prodont Hollinger)
  • Sonde fissura (LM Arte)
  • Pinceau Optiglaze embout plat (GC)

Voici une vue clinique du set-up idéal qui est recommandé :

Elle déconseille l’utilisation de cordonnets imprégnés d‘agents hémostatiques qui contaminent la dentine et diminuent les valeurs d’adhérence. Leur utilisation nécessite une décontamination H3PO4 ou CHX 0,2% ou EDTA 10%. (J Adhes Dent 2017 ;19(3) :259-264 ; Brza Dent J. 2016 ;27(6) :688-692 ; J Contemp Dent Pract 2013 Jan 1 ;14(1) :26-33)

Les matériaux à utiliser sont les résines composites avec leur adhésif. La conférencière signale que le type de composite utilisé n’a aucune importance sur la longévité des restaurations des lésions cervicales non carieuses. A titre purement personnel, elle utilise le UD3/UD4 Enamel HRI (Bisico) pour la dentine, le Chroma Inspira (Edelweiss) pour donner un effet et le TE G-aenial Anterior (GC) pour l’émail de recouvrement.

Nous pouvons donc nous demander, quel système adhésif utiliser ?

 

Après un rappel sur les types d’adhésifs elle explique que les adhésifs universels sont à utiliser sur la dentine en tant que MR2 si on utilise de l’etching ou en SAM 1 lorsqu’on les utilise seuls.

Il est à savoir qu’’histologiquement, dans la dentine sclérotique, les tubuli dentinaires sont obturés de manière hétérogène par des cristaux acido-résistants ce qui complique leur infiltration par la résine afin de créer les brides résineuses nécessaires à la formation de la couche hybride pour l’adhésion. De plus, la couche hyperminéralisée de surface (résistante à la dissolution acide) présente une variabilité inter-régionale et intra-régionale en terme histologique et est remplie de bactéries ; elle est également recouverte d’une couche de bactéries filamenteuses (Tay. FR, Pashley.DH, J Dent 2004 ;32 :173-96). Ce substrat de collage est donc complexe et hétérogène. Il est à noter que la couleur de cette dentine sclérotique n’a rien à voir avec son histologie.

Pour coller efficacement, on veut attaquer superficiellement la surface qui est composée d’hydroxyapatite alors que l’etching va dissoudre l’hydroxyapatite car il est trop acide (ph<1,5). On doit alors utiliser un acide faible donc mode SAM en mode mild (ph = 2) ou ultra mild (ph > 2,5)

Pour se lier à l’hydroxyapatite, le 10-MDP est la molécule de choix.

 Voici les adhésifs qui peuvent être utilisés (voir fig)

 

Il faut, de plus, traiter les causes de ces LCNC et pour cela il faut identifier leur étiologie : érosion acide, abrasion ou abfraction. Pour traiter les causes, il faut corriger le brossage, les habitudes alimentaires, les prématurités et le bruxisme, ou référer à un spécialiste (gastro-entérologue, psychiatre, diététicien ou orthodontiste).

 

Rappel des gestes à faire absolument :

au niveau de la préparation, d’abord faire un biseau amélaire avec une fraise flamme ;

  • diminuer l’épaisseur de la couche hyperminéralisée avec fraise diamantée sur turbine délicatement pendant 1 à 3 secondes pour ne pas créer trop de boue dentinaire hyperminéralisée ;
  • mordançage amélaire périphérique ;
  • frotter vigoureusement l’adhésif pendant 20 secondes avec une force de 20-30g pour faire pénétrer le système adhésif, puis sécher et photopolymériser ;
  • mise en place du/des composites de restauration ;
  • polissage minutieux aux disques Pop-On (orange foncé petit diamètre) à faible vitesse de rotation et fraise Touati.

En cas de contamination sanguine ou salivaire au cours du collage, les protocoles à respecter.

 

Contamination salivaire/sanguine AVANT PHOTOPOLYMERISATION

  • avant application de l'adhésif : rinçage + séchage/application de l'adhésif = chute des valeurs d'adhérence ;
  • après l'application de l'adhésif : séchage/réapplication de l'adhésif = chute des valeurs d'adhérence
  • rinçage + séchage / ré-application de l'adhésif = chute

Contamination salivaire/sanguine APRES PHOTOPOLYMERISATION :

  • séchage = chute,
  • séchage + ré-application= chute,
  • rinçage + séchage = chute,
  • rinçage + séchage/ré-application = chute,
  • rinçage H202 à 3% pendant 1 min + séchage = chute (salive ok),
  • rinçage AC Ascorbique 10% pendant 1 min + séchage = chute (salive ok),
  • rinçage CHX 2% pendant 1 min + séchage = ok.

(Clinical Oral Investigations (2020) 24:4413-4426 International Journal of Adhesion & Adheslves 110 (2021) 102932 Niger 1 Oin Pract 1011;10M46-50)

 

Le collage au collet ne tolère aucune erreur de manipulation ! En cas d’erreur : il faut tout recommencer…

 

Pour terminer Lucille Dahan a insisté sur cette méthode qui convient à toutes les situations… Même celles où le patient refuse de réaliser les soins parodontaux et muco-gingivaux nécessaires, elle propose l’utilisation de composite rose pour éviter de reconstituer une dent trop longue (Enamel HRI, Tender Pink, Bisico et Gradia Gum Flow rouge (GC)). Il faut cependant penser à doubler le temps de photopolymérisation pour ce type de composites (40 secondes), car ils sont très opaques !!

Bernard Schweitz, responsable de la séance, a clos cette conférence en proposant 15 minutes de questions/réponse que le public a pu poser par écrit tout au long de la conférence.